« Xavier mets moi de la lumière ! Jacques Charles, Voltera, vous êtes équipés ? Allez les amis, on la refait ! » La voix vient de résonner dans la pénombre. Des silhouettes s’agitent. Un projecteur s’allume soudain, et des cuivres déchirent le calme apparent du Casino de Paris. C’est (re)parti. En ce vendredi soir, la troupe de Mistinguett recommence sa chorégraphie. Une nouvelle fois. La énième depuis le matin.

C’est ainsi depuis le 25 août, date à laquelle les équipes du spectacle se sont installées en résidence dans la salle parisienne, après trois semaines d’entrainements dans un gymnase. 30 artistes et près de 70 techniciens, qui travaillent pour peaufiner le show, assemblent tous les ingrédients et répètent inlassablement les tableaux de l’un des grands spectacles attendus de la rentrée. Six jours sur sept de midi à 21heures. Il faut bien cela pour célébrer celle qui donna ses lettres de noblesse au music-hall, épuisa au passage chorégraphes et danseurs, et mit Paris à ses pieds. Et à six jours de la première, le rythme s’intensifie.
«Si cela ne tenait qu’à nous, on prolongerait les répétitions plus tard le soir» avoue Gregory Benchenafi assis près de la console lumière au milieu de la salle. Le comédien est-il fatigué ? « Non ! Excité ! C’est magique. On voit naitre le spectacle progressivement. Les scènes se mettent en place, les tableaux se créent sous nos yeux. Tout prend vie. Oui, c’est magique». Le comédien ne résiste pas à l’envie de dévoiler une partie de ses futurs costumes créés et cousus sur mesure – manteaux des années 20 et vestes esprit Maurice Chevalier–. Sous la penderie, une paire de chaussures de claquettes qu’il désigne dans un clin d’œil. Bienvenue au cabaret ! Pour l’heure, les plumes et le grand escalier n’ont pas encore fait leur apparition, mais la musique jazzy –saxo, banjo, cuivres– transpire déjà les années folles, la modernité en plus. «On s’éclate vraiment. Depuis un mois on a tous appris à se connaître et l’ambiance est excellente. Y compris sur scène ; c’est vraiment agréable de travailler avec François.»
François c’est François Chouquet.
Micro à la main, sautant de la scène à la salle, le metteur en scène est l’homme-orchestre du projet. Il faut dire qu’il connait son métier sur le bout des doigts. Collaborateur de Robert Hossein, il a participé à la création de Danton et Robespierre, des Misérables au Palais des Sports en 1980, avant d’œuvrer sur les Dix Commandements et le Roi Soleil. L’homme coordonne, coache, rabâche et… rassure lorsque le doute affleure à mesure que le jour J se rapproche. «Il sait s’adresser aux artistes, s’adaptant au caractère de chacun. Quelle patience !» souffle Gregory.

« La mise n’est pas là ! » En pleine interprétation, Cyril Romoli vient de s’interrompre. L’occasion pour tous de faire une courte pause. La lumière rallume la salle vide. « Ceux qui veulent aller boire un verre d’eau, c’est le moment. Jean Phil, tu te cales sur le dernier pont ? » Si les répétitions se font en partie sur bande-son, le spectacle bénéficiera tous les soirs de la présence des musiciens sur scène. De quoi créer une vraie ambiance au show. «Cela lui donnera une autre énergie. Une vraie spontanéité aussi. Et permettra des passages de pure acoustique. On est totalement dans le spectacle vivant» confie Albert Cohen. Le producteur assiste à toutes les répétitions de Mistinguett. Sans exception.
La voilà justement. Mistinguett. Carmen Maria Vega termine quelques vocalises au milieu des décors avant d’entonner l’un des tubes du show « Je l’ai convaincu avec ma bouche ». « Jouer une femme de caractère, c’est tout moi ! » ironise-t-elle. À la voir évoluer au milieu de la dizaine de jeunes danseurs issus pour la plupart de l’Académie Internationale de Danse, le doute n’est plus permis ! En shorts, baskets et survêts, « ses » hommes se lancent autour d’elle dans des déhanchements sulfureux et maîtrisés. Un soupçon de testostérone… une grande part de concentration et des heures de travail.
Au milieu de la salle, attentif, Guillaume Bordier observe méticuleusement chacun des pas. Ancien soliste de Roland Petit et de Maurice Bejart, chorégraphe des Opéras en plein air, on retrouve sa patte sur des défilés de haute couture ou au Paradis Latin. « C’est la première fois que je crée des chorégraphies pour tout un musical. C’est très différent et beaucoup plus compliqué. Dans des délais très serrés, il m’a fallu inventer des figures pour tous les tableaux, faciliter leur intégration dans le spectacle et les rendre harmonieuses avec les souhaits du metteur en scène. Il a ses idées, j’ai les miennes. S’y ajoutent le jeu des comédiens et leurs scènes chantées, tout doit être homogène».
« Stop, on arrête ! Qui a pris la chaise ici ? » François Chouquet, à qui décidément rien n’échappe, fait irruption sur le plateau. « C’est un accessoire les amis, ce n’est pas une chaise ! » La phrase provoque un fou rire général. « Allez, on s’y remet, reprenez vos repères ». Chacun retourne à sa place, la chaise reprend la sienne et la séquence repart. Originalité du spectacle, certains accessoires de Mistinguett n’ont pas eu à être fabriqués de toutes pièces. Ce sont des originaux –centenaires- dénichés ici ou là, qui découvrent une nouvelle vie.
Ce n’est pas le cas des costumes. Derrière le rideau, les danseuses procèdent aux derniers essayages. De vrais-faux costumes d’époque signés Frédéric Olivier qui font la part belle aux paillettes et aux plumes. Ça c’est Paris ! A l’image des revues, chaque tenue a été conçue de manière à faciliter les changements rapides. Elles sont encore manipulées avec minutie… Pour combien de temps ?
En bord de scène, manipulant une carte à jouer, Fabian Richard échange avec un technicien. Inutile de lui demander son état d’esprit, il se lit sur son visage qui affiche un large sourire. Les yeux pétillants, faux cigare à la main, le voyou de Mistinguett a vraiment été bien choisi. « On est heureux et surtout impatients d’y être. Avec les costumes, les effets de lumière et les décors, ça promet ! » A peine le temps de la confidence, qu’il remonte sur le plateau. Dissimulés derrière un paravent avec son compère Cyril Romoli, ils plaisantent, déchainés, comme des gamins dans une cour d’école. Déjà près de trois heures que la troupe se dépense non-stop sur scène. Une voix se fait entendre derrière le rideau de fil : « Merci les amis c’est super. Mais allez, on la refait ! »
Cent ans après, Mistinguett n’a pas fini d’épuiser les hommes…

Mistinguett- Reine des années folles
A partir du 18 septembre 2014 au Casino de Paris
Mistinguett-lespectacle.fr
Retrouvez les vidéos du show-case de Mistinguett.