
Quelle est la genèse de ce spectacle ?
J’écrivais un solo que je devais créer en février 2007. Début janvier, on m’annonce le cancer, donc… coup de frein. J’avais déjà écrit tout ce qui concerne l’avancée dans le temps, ce qui participe de mes obsessions. Gros mouvement intérieur. Très rapidement, je me demande si je peux faire le solo : chauve et mal en point, je n’étais pas sûre de pouvoir faire rire, même en racontant les choses les plus drôles. Tout le monde n’est pas prêt à ça, à commencer par moi. Mais me résoudre à être sur scène, abandonner ce qui me tient debout, une de mes raisons de vivre ? Impossible. Une porte étroite s’est ouverte, celle qui m’a permis de découvrir un nouveau monde, un nouveau paysage, des nouvelles sensations. Plusieurs personnes m’ont aidée, dont Marie-Odile mon administratrice, avec son bon sens terrien. Elle m’a remise à l’endroit en me permettant de me dire : « je suis artiste, ce que je vis c’est ma matière, je vais donc la regarder et travailler dessus. C’est mon métier de boulanger la vie comme elle est. De la filtrer, de la pétrir, de cuire la pâte pour la rendre digeste ».
Comment s’est déroulée cette nouvelle phase ?
J’ai pris beaucoup de notes, écrit un petit journal que j’envoyais à mes amis toutes les trois semaines. Il faut savoir qu’en faisant une chimiothérapie, on fonctionne par cycle de trois semaines. La première, on pète la forme : je doublais tout le monde à vélo ! Deuxième semaine : aplasie, et là on est vraiment à plat avec traversée des tristesses (ce qui m’a permis de m’apercevoir que je ne suis pas quelqu’un de triste). Et troisième semaine, ça remonte, mais jamais aussi haut que là où on était parti et hop, le cycle reprend, on nous recueille au passage. Autant dire qu’on descend lentement mais sûrement.
En août, pendant la radiothérapie, j’ai eu envie absolument de transcender toute cette matière. Le brut : mes notes ; le raffiné : ce que j’envoyais à mes amis. Pour peaufiner, être capable de le donner à l’inconnu. Le Limonaire, petit lieu que j’adore, m’a accueilli et j’ai pu tester trente minutes de spectacle. J’ai besoin d’échéance sinon je n’avance pas. Suzy Firth, qui avait écrit le solo, n’était pas là, alors Anne Artigau, qui a fondé la compagnie avec moi, m’a épaulée, m’a aidée à prendre de la distance. Elle m’a incité à démarrer de mon enfance. Cette première demi-heure a été cruciale : quelque chose existait. Par la suite, nous avons testé à plusieurs reprises le spectacle, revu les choses avec Suzy et Anne jusqu’au spectacle que vous pouvez voir aujourd’hui.
Parlez-nous de la présence de l’accordéon dans votre vie ?
J’ai démarré le théâtre professionnel grâce à l’accordéon. Pour résumer, durant les cours de théâtre parisiens, j’ai eu Jérôme Deschamps comme professeur. Avec lui, on s’amusait et ça faisait du bien. On s’est bien entendu. Il me parle d’un spectacle qu’il veut monter avec un accordéoniste. Même si je n’avais pas touché l’instrument depuis des lustres, je me propose. Coup de bol, j’ai pu remplacer la personne pressentie qui n’est jamais venue ! J’ai composé toutes les musiques des premières pièces de Jérôme Deschamps dans lesquelles je jouais. A partir de là j’ai toujours été « l’actrice avec l’accordéon ». Quand j’ai fondé ma compagnie, j’ai eu envie de transmettre les choses pas uniquement par la parole, même si je suis dingue des mots dont j’aime les sens et l’essence. La musique m’accompagne partout. Dans La vie va où ?, c’est aussi une façon de faire des pauses. Il représente également le lien à mon père que j’ai perdu petite. C’est une aventure de la vie… Elle a tellement d’imagination… Par où elle nous fait passer pour nous rendre encore plus vivant. Faut vraiment lui faire confiance, arrêter notre volonté de tout vouloir régenter. Juste faire volontiers… Dès qu’on est repris par la société, les infos, les hommes politiques qui veulent plier la vie à leur volonté, c’est cuit. Plions notre volonté à la vie ! C’est pour ça qu’ils nous rendent malheureux. Ils veulent avoir du pouvoir sur nous, alors qu’il faut juste avoir du pouvoir sur soi, c’est le seul intérêt : accepter une frustration pour découvrir autre chose. Aller vers l’inconnu.
Quels retours avez-vous des spectateurs ?
Les questions que je me pose, ça n’arrête pas. Est-ce que les gens comprennent et entendent tout ce que je veux dire ? Sinon je devrais écrire autre chose pour faire sonner. Ce spectacle, je le laisse tel qu’il est. J’apprends toujours face aux gens et reste étonnée de toute l’énergie que je reçois : l’échange a véritablement lieu. Un jeune garçon a écrit dans le livre d’or une phrase qui me bouleverse : « ah ! Je savais bien qu’il y avait une vie avant la mort. » Là je me dis, si ça a pu donner ça : j’ai fait mon travail. Depuis la maladie je n’entre plus jamais dans les journées comme avant. Je vis dans le cadeau de la vie. Donc beaucoup de choses tombent, je vais à ce que la vie réserve.
Auriez-vous envie de vous lancer dans un spectacle musical ?
Le travail de troupe, c’est ma famille. Tout le monde peut s’exprimer, inventer. Tous les moyens sont bons. Du visuel, de l’auditif, du clown… Emouvant puis drôle. Le côté festif par le nombre, la générosité, et on n’a pas le trac. Vingt ruisseaux qui affluent dans le fleuve ! Mettre sur pied un spectacle de cabaret demande beaucoup d’énergie. Là, je dois me relever de beaucoup de choses, mais j’ai envie. J’aimerais remonter la troupe, ramener du sang jeune. Mélanger tout ça et donner de la fête. J’ai horreur du terme : « profiter de la vie », préférant de loin : « l’apprécier ». Dans la fête, c’est la même chose. Profiter c’est prendre, c’est pas échanger, ça me plait pas. J’ai un projet sur les complexes où l’on oublie de développer notre music-hall intérieur, le tout basé sur une phrase lue dans une bande dessinée d’un journal de province : « la nature a fait des différences, l’homme en a fait des inégalités. » Inégalités et donc complexe. Et à partir de ce matériel, en l’analysant, le transformant, en s’en amusant, on revient à la fête, à la joie. Pas l’excitation.