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La vraie vie de Michèle Guigon

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Michèle Guigon © Pierre-Emmanuel Rastoin
Michèle Guigon © Pierre-Emmanuel Rastoin

Quelle est la genèse de ce spectacle ?
J’écrivais un solo que je devais créer en févri­er 2007. Début jan­vi­er, on m’annonce le can­cer, donc… coup de frein. J’avais déjà écrit tout ce qui con­cerne l’avancée dans le temps, ce qui par­ticipe de mes obses­sions. Gros mou­ve­ment intérieur. Très rapi­de­ment, je me demande si je peux faire le solo : chauve et mal en point, je n’étais pas sûre de pou­voir faire rire, même en racon­tant les choses les plus drôles. Tout le monde n’est pas prêt à ça, à com­mencer par moi. Mais me résoudre à être sur scène, aban­don­ner ce qui me tient debout, une de mes raisons de vivre ? Impos­si­ble. Une porte étroite s’est ouverte, celle qui m’a per­mis de décou­vrir un nou­veau monde, un nou­veau paysage, des nou­velles sen­sa­tions. Plusieurs per­son­nes m’ont aidée, dont Marie-Odile mon admin­is­tra­trice, avec son bon sens ter­rien. Elle m’a remise à l’endroit en me per­me­t­tant de me dire : « je suis artiste, ce que je vis c’est ma matière, je vais donc la regarder et tra­vailler dessus. C’est mon méti­er de boulanger la vie comme elle est. De la fil­tr­er, de la pétrir, de cuire la pâte pour la ren­dre digeste ».

Com­ment s’est déroulée cette nou­velle phase ?
J’ai pris beau­coup de notes, écrit un petit jour­nal que j’envoyais à mes amis toutes les trois semaines. Il faut savoir qu’en faisant une chimio­thérapie, on fonc­tionne par cycle de trois semaines. La pre­mière, on pète la forme : je dou­blais tout le monde à vélo ! Deux­ième semaine : aplasie, et là on est vrai­ment à plat avec tra­ver­sée des trist­esses (ce qui m’a per­mis de m’apercevoir que je ne suis pas quelqu’un de triste). Et troisième semaine, ça remonte, mais jamais aus­si haut que là où on était par­ti et hop, le cycle reprend, on nous recueille au pas­sage. Autant dire qu’on descend lente­ment mais sûrement.

En août, pen­dant la radio­thérapie, j’ai eu envie absol­u­ment de tran­scen­der toute cette matière. Le brut : mes notes ; le raf­finé : ce que j’envoyais à mes amis. Pour peaufin­er, être capa­ble de le don­ner à l’inconnu. Le Limon­aire, petit lieu que j’adore, m’a accueil­li et j’ai pu tester trente min­utes de spec­ta­cle. J’ai besoin d’échéance sinon je n’avance pas. Suzy Firth, qui avait écrit le solo, n’était pas là, alors Anne Arti­gau, qui a fondé la com­pag­nie avec moi, m’a épaulée, m’a aidée à pren­dre de la dis­tance. Elle m’a incité à démar­rer de mon enfance. Cette pre­mière demi-heure a été cru­ciale : quelque chose exis­tait. Par la suite, nous avons testé à plusieurs repris­es le spec­ta­cle, revu les choses avec Suzy et Anne jusqu’au spec­ta­cle que vous pou­vez voir aujourd’hui.

Par­lez-nous de la présence de l’accordéon dans votre vie ?
J’ai démar­ré le théâtre pro­fes­sion­nel grâce à l’accordéon. Pour résumer, durant les cours de théâtre parisiens, j’ai eu Jérôme Deschamps comme pro­fesseur. Avec lui, on s’amusait et ça fai­sait du bien. On s’est bien enten­du. Il me par­le d’un spec­ta­cle qu’il veut mon­ter avec un accordéon­iste. Même si je n’avais pas touché l’instrument depuis des lus­tres, je me pro­pose. Coup de bol, j’ai pu rem­plac­er la per­son­ne pressen­tie qui n’est jamais venue ! J’ai com­posé toutes les musiques des pre­mières pièces de Jérôme Deschamps dans lesquelles je jouais. A par­tir de là j’ai tou­jours été « l’actrice avec l’accordéon ». Quand j’ai fondé ma com­pag­nie, j’ai eu envie de trans­met­tre les choses pas unique­ment par la parole, même si je suis dingue des mots dont j’aime les sens et l’essence. La musique m’accompagne partout. Dans La vie va où ?, c’est aus­si une façon de faire des paus­es. Il représente égale­ment le lien à mon père que j’ai per­du petite. C’est une aven­ture de la vie… Elle a telle­ment d’imagination… Par où elle nous fait pass­er pour nous ren­dre encore plus vivant. Faut vrai­ment lui faire con­fi­ance, arrêter notre volon­té de tout vouloir régen­ter. Juste faire volon­tiers… Dès qu’on est repris par la société, les infos, les hommes poli­tiques qui veu­lent pli­er la vie à leur volon­té, c’est cuit. Plions notre volon­té à la vie ! C’est pour ça qu’ils nous ren­dent mal­heureux. Ils veu­lent avoir du pou­voir sur nous, alors qu’il faut juste avoir du pou­voir sur soi, c’est le seul intérêt : accepter une frus­tra­tion pour décou­vrir autre chose. Aller vers l’inconnu.

Quels retours avez-vous des spectateurs ?
Les ques­tions que je me pose, ça n’arrête pas. Est-ce que les gens com­pren­nent et enten­dent tout ce que je veux dire ? Sinon je devrais écrire autre chose pour faire son­ner. Ce spec­ta­cle, je le laisse tel qu’il est. J’apprends tou­jours face aux gens et reste éton­née de toute l’énergie que je reçois : l’échange a véri­ta­ble­ment lieu. Un jeune garçon a écrit dans le livre d’or une phrase qui me boule­verse : « ah ! Je savais bien qu’il y avait une vie avant la mort. » Là je me dis, si ça a pu don­ner ça : j’ai fait mon tra­vail. Depuis la mal­adie je n’entre plus jamais dans les journées comme avant. Je vis dans le cadeau de la vie. Donc beau­coup de choses tombent, je vais à ce que la vie réserve.

Auriez-vous envie de vous lancer dans un spec­ta­cle musical ?

Le tra­vail de troupe, c’est ma famille. Tout le monde peut s’exprimer, inven­ter. Tous les moyens sont bons. Du visuel, de l’auditif, du clown… Emou­vant puis drôle. Le côté fes­tif par le nom­bre, la générosité, et on n’a pas le trac. Vingt ruis­seaux qui afflu­ent dans le fleuve ! Met­tre sur pied un spec­ta­cle de cabaret demande beau­coup d’énergie. Là, je dois me relever de beau­coup de choses, mais j’ai envie. J’aimerais remon­ter la troupe, ramen­er du sang jeune. Mélanger tout ça et don­ner de la fête. J’ai hor­reur du terme : « prof­iter de la vie », préférant de loin : « l’apprécier ». Dans la fête, c’est la même chose. Prof­iter c’est pren­dre, c’est pas échang­er, ça me plait pas. J’ai un pro­jet sur les com­plex­es où l’on oublie de dévelop­per notre music-hall intérieur, le tout basé sur une phrase lue dans une bande dess­inée d’un jour­nal de province : « la nature a fait des dif­férences, l’homme en a fait des iné­gal­ités. » Iné­gal­ités et donc com­plexe. Et à par­tir de ce matériel, en l’analysant, le trans­for­mant, en s’en amu­sant, on revient à la fête, à la joie. Pas l’excitation.