Michael Flatley — Le seigneur de la danse

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Michael Flatley ©DR
Michael Flat­ley ©DR
Quand on lui demande ce qu’il sait dire en français, Michael Flat­ley lâche dans un grand rire : « Château-Latour » ! Il est vrai qu’il n’est rien de meilleur pour accom­pa­g­n­er le steak qu’il aime dévor­er… au petit-déje­uner ! Mais s’il ne par­le pas notre langue, ce bon vivant sait par­ler en ter­mes élo­gieux de son pub­lic hexag­o­nal. « Lors de mon pre­mier pas­sage, nous avons eu droit à qua­tre stand­ing ova­tions le même soir ! Les Français sont con­nais­seurs en matière d’art et ils peu­vent saisir tout le tra­vail que représente la mise au point de notre spec­ta­cle ».

Michael Flat­ley a le regard bleu et pro­fond des lacs du Con­nemara mais il est aus­si per­pétuelle­ment bronzé qu’un Cal­i­fornien pure souche. Pour ce chantre de la cul­ture cel­tique mât­iné de pro­fes­sion­nal­isme typ­ique­ment yan­kee, tout est tou­jours super­latif. Il n’est pas seule­ment danseur, il est le pre­mier Améri­cain à avoir rem­porté le cham­pi­onnat du monde de danse irlandaise. Il n’est pas danseur de cla­que­ttes, il est record­man du monde de vitesse de cla­que­ttes avec, tenez-vous bien, 35 pas à la sec­onde ! Et impos­si­ble de met­tre cela en doute : « Les représen­tants du livre Gui­ness des Records et mes avo­cats étaient tous là pour cer­ti­fi­er ma vitesse. Avec un pas clas­sique, on ne peut pas y arriv­er. Moi, j’ai créé un pas spé­cial qui me per­met d’être le plus rapi­de » . Tou­jours ce goût d’être le meilleur.

Le meilleur, il l’est devenu à la force du mol­let. Con­fort­able­ment instal­lé sur le canapé de sa suite dans un palace parisien, il est bien loin aujour­d’hui de la ban­lieue de Chica­go où il est né. « Per­du au milieu des blacks, des his­paniques et des immi­grés por­to-ricains et ital­iens, il n’é­tait pas facile à un petit Irlandais de se faire respecter. Je me bagar­rais tous les jours et je voulais devenir boxeur ». Heureuse­ment, Papa et Maman Flat­ley veil­laient au grain. Ils voulaient que fis­ton eût quelques bases artis­tiques. Imag­ine-t-on ce petit dur à la barre par­al­lèle ? « Pour­tant, ce qui a com­mencé comme une corvée devient peu à peu intéres­sant et même pas­sion­nant à par­tir du moment où j’ai com­pris que je pour­rais en vivre ». De ce passé qui mélangeait sport et danse, il lui est resté une grâce qui n’a rien d’éthérée, une viril­ité agres­sive qui met son pub­lic lit­térale­ment en transe.

Il a fait le suc­cès de River­dance — l’autre grand groupe cel­tique — mais s’en est éloigné à la suite de ce qu’on nomme pudique­ment des « diver­gences artis­tiques » pour fonder sa pro­pre troupe, Lord of the Dance, en 1996. Un spec­ta­cle qu’il a conçu, dirigé, choré­graphié et inter­prété : soif de con­trôle absolu ? Il s’en défend. « Plus le nom­bre de déci­sion­naires est impor­tant et plus le pro­duit final est affaire de com­pro­mis et moi, je voulais priv­ilégi­er une seule vision, la mienne. Mais faire tout ça à la fois ne me pose aucun prob­lème, au con­traire, j’adore. J’ai un pas de danse dans la tête, je le crée sur scène et ensuite, je vois les autres le repren­dre : c’est mer­veilleux ».

Le monde est à ses pieds
Ne lui dites surtout pas qu’il surfe sur la vague du renou­veau celte et, plus générale­ment, de la demande d’au­then­tic­ité du pub­lic con­tem­po­rain. « Je ne crois pas prof­iter de ce suc­cès. Je pense au con­traire que notre spec­ta­cle est en par­tie à l’o­rig­ine de cet engoue­ment. Nous mon­trons la pro­fonde richesse et la moder­nité de cette musique cel­tique clas­sique. Et la musique clas­sique est une musique que le monde entier est capa­ble d’ap­préci­er parce qu’elle pro­pose une thé­ma­tique uni­verselle ». Il en veut pour preuve le suc­cès phénomé­nal de Lord of the Dance partout dans le monde. « Nous rem­plis­sons les stades mieux qu’un groupe de rock . Les gens veu­lent du grand spec­ta­cle et nous savons leur en don­ner ! ».

Il se réjouit de faire tra­vailler des dizaines de danseurs irlandais. « Ils gag­nent leur vie en faisant ce qu’ils aiment plutôt que de rester à la rue, c’est for­mi­da­ble, non ? Mais c’est vrai qu’il m’ar­rive quelque­fois de regret­ter de ne plus danser ». Mais com­ment en aurait-il le temps avec trois troupes por­tant son nom qui tour­nent en Europe et en Amérique du Nord ? Il lui faut veiller à ce que la qual­ité ne baisse pas… dès qu’il n’est plus là. « Ma meilleure garantie, c’est la pas­sion que mes danseurs met­tent dans leur art… et la com­péti­tion qui règne entre les troupes. C’est à celle qui sera meilleure que les autres »…

Et bien sûr, tout cela ne suf­fit pas encore à ce boulim­ique du tra­vail qui gère sa recon­ver­sion avec brio : il vient d’achev­er un livre, Vic­to­ry, qui sor­ti­ra en fin d’an­née. « Je l’ai écrit pour encour­ager les gens à suiv­re leurs rêves et à faire preuve de déter­mi­na­tion dans l’ad­ver­sité. C’est aus­si ce que racon­tera mon film ». Ah, parce qu’il y a un film en chantier ? « Oui. Il est actuelle­ment en pré-pro­duc­tion. Il devrait s’ap­pel­er Dream Dancer et ce sera une his­toire d’amour… où la danse sera évidem­ment très présente sans que cela soit pour autant une vraie comédie musi­cale ». D’ailleurs, le lende­main déjà, il quitte Paris pour l’ou­ver­ture du Fes­ti­val de Cannes…

« Vain­cre l’ad­ver­sité », l’ex­pres­sion revient sou­vent dans sa bouche pour par­ler de son spec­ta­cle, de son livre, de son film. Vain­cre ses adver­saires, se vain­cre soi-même, on sent que les cica­tri­ces du petit boxeur écorché vif ne sont pas toutes refer­mées… « Quand on grandit dans un envi­ron­nement aus­si hos­tile, tout a valeur de tests, les coups qu’on prend, les coups qu’on donne », explique-t-il, soudain plus som­bre. « Je crois qu’on reste comme ça toute sa vie. Les moments dif­fi­ciles nous ren­dent plus forts pour savoir appréci­er les bons moments à leur juste valeur ». Il est des revanch­es qu’on ne finit jamais totale­ment de pren­dre, n’est-ce-pas ? Le sourire est rede­venu con­quérant. « Oh, mais j’au­rai tou­jours de nou­veaux défis à relever. Plus on grimpe haut, plus la vue porte loin à l’hori­zon ».

En tout cas, tant que le suc­cès sera au ren­dez-vous, Michael Flat­ley aura toutes les bonnes raisons de revenir régulière­ment en France. Les caves de Château-Latour n’ont qu’à bien se tenir !