Michael Flatley a le regard bleu et profond des lacs du Connemara mais il est aussi perpétuellement bronzé qu’un Californien pure souche. Pour ce chantre de la culture celtique mâtiné de professionnalisme typiquement yankee, tout est toujours superlatif. Il n’est pas seulement danseur, il est le premier Américain à avoir remporté le championnat du monde de danse irlandaise. Il n’est pas danseur de claquettes, il est recordman du monde de vitesse de claquettes avec, tenez-vous bien, 35 pas à la seconde ! Et impossible de mettre cela en doute : « Les représentants du livre Guiness des Records et mes avocats étaient tous là pour certifier ma vitesse. Avec un pas classique, on ne peut pas y arriver. Moi, j’ai créé un pas spécial qui me permet d’être le plus rapide » . Toujours ce goût d’être le meilleur.
Le meilleur, il l’est devenu à la force du mollet. Confortablement installé sur le canapé de sa suite dans un palace parisien, il est bien loin aujourd’hui de la banlieue de Chicago où il est né. « Perdu au milieu des blacks, des hispaniques et des immigrés porto-ricains et italiens, il n’était pas facile à un petit Irlandais de se faire respecter. Je me bagarrais tous les jours et je voulais devenir boxeur ». Heureusement, Papa et Maman Flatley veillaient au grain. Ils voulaient que fiston eût quelques bases artistiques. Imagine-t-on ce petit dur à la barre parallèle ? « Pourtant, ce qui a commencé comme une corvée devient peu à peu intéressant et même passionnant à partir du moment où j’ai compris que je pourrais en vivre ». De ce passé qui mélangeait sport et danse, il lui est resté une grâce qui n’a rien d’éthérée, une virilité agressive qui met son public littéralement en transe.
Il a fait le succès de Riverdance — l’autre grand groupe celtique — mais s’en est éloigné à la suite de ce qu’on nomme pudiquement des « divergences artistiques » pour fonder sa propre troupe, Lord of the Dance, en 1996. Un spectacle qu’il a conçu, dirigé, chorégraphié et interprété : soif de contrôle absolu ? Il s’en défend. « Plus le nombre de décisionnaires est important et plus le produit final est affaire de compromis et moi, je voulais privilégier une seule vision, la mienne. Mais faire tout ça à la fois ne me pose aucun problème, au contraire, j’adore. J’ai un pas de danse dans la tête, je le crée sur scène et ensuite, je vois les autres le reprendre : c’est merveilleux ».
Le monde est à ses pieds
Ne lui dites surtout pas qu’il surfe sur la vague du renouveau celte et, plus généralement, de la demande d’authenticité du public contemporain. « Je ne crois pas profiter de ce succès. Je pense au contraire que notre spectacle est en partie à l’origine de cet engouement. Nous montrons la profonde richesse et la modernité de cette musique celtique classique. Et la musique classique est une musique que le monde entier est capable d’apprécier parce qu’elle propose une thématique universelle ». Il en veut pour preuve le succès phénoménal de Lord of the Dance partout dans le monde. « Nous remplissons les stades mieux qu’un groupe de rock . Les gens veulent du grand spectacle et nous savons leur en donner ! ».
Il se réjouit de faire travailler des dizaines de danseurs irlandais. « Ils gagnent leur vie en faisant ce qu’ils aiment plutôt que de rester à la rue, c’est formidable, non ? Mais c’est vrai qu’il m’arrive quelquefois de regretter de ne plus danser ». Mais comment en aurait-il le temps avec trois troupes portant son nom qui tournent en Europe et en Amérique du Nord ? Il lui faut veiller à ce que la qualité ne baisse pas… dès qu’il n’est plus là. « Ma meilleure garantie, c’est la passion que mes danseurs mettent dans leur art… et la compétition qui règne entre les troupes. C’est à celle qui sera meilleure que les autres »…
Et bien sûr, tout cela ne suffit pas encore à ce boulimique du travail qui gère sa reconversion avec brio : il vient d’achever un livre, Victory, qui sortira en fin d’année. « Je l’ai écrit pour encourager les gens à suivre leurs rêves et à faire preuve de détermination dans l’adversité. C’est aussi ce que racontera mon film ». Ah, parce qu’il y a un film en chantier ? « Oui. Il est actuellement en pré-production. Il devrait s’appeler Dream Dancer et ce sera une histoire d’amour… où la danse sera évidemment très présente sans que cela soit pour autant une vraie comédie musicale ». D’ailleurs, le lendemain déjà, il quitte Paris pour l’ouverture du Festival de Cannes…
« Vaincre l’adversité », l’expression revient souvent dans sa bouche pour parler de son spectacle, de son livre, de son film. Vaincre ses adversaires, se vaincre soi-même, on sent que les cicatrices du petit boxeur écorché vif ne sont pas toutes refermées… « Quand on grandit dans un environnement aussi hostile, tout a valeur de tests, les coups qu’on prend, les coups qu’on donne », explique-t-il, soudain plus sombre. « Je crois qu’on reste comme ça toute sa vie. Les moments difficiles nous rendent plus forts pour savoir apprécier les bons moments à leur juste valeur ». Il est des revanches qu’on ne finit jamais totalement de prendre, n’est-ce-pas ? Le sourire est redevenu conquérant. « Oh, mais j’aurai toujours de nouveaux défis à relever. Plus on grimpe haut, plus la vue porte loin à l’horizon ».
En tout cas, tant que le succès sera au rendez-vous, Michael Flatley aura toutes les bonnes raisons de revenir régulièrement en France. Les caves de Château-Latour n’ont qu’à bien se tenir !