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Mel Brooks — Un « producteur » heureux !

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Mel Brooks ©DR
Mel Brooks ©DR

Vous sou­venez-vous de votre pre­mier con­tact avec Broadway ?
Et com­ment ! J’é­tais gosse et mon oncle m’avait emmené voir Any­thing Goes de Cole Porter. Je me sou­viens très pré­cisé­ment de cette représen­ta­tion. Moi, un gosse de Brook­lyn, j’ai fail­li tomber du deux­ième bal­con lorsque Ethel Mer­man a fait son entrée ! Quel tem­péra­ment, quelle voix et quelle femme. Le seul fait d’en­ten­dre les pre­mières notes de « You’re The Top » me rep­longe dans ce mer­veilleux sou­venir. Ce fut le déclic pour moi : j’ai su que j’avais trou­vé mon futur méti­er. Vous vous ren­dez compte : on tra­vaille pour un spec­ta­cle avec des filles superbes et à moitié nues, on écrit de la musique, des paroles, on donne du rythme à tout cela et on tente par dessus tout de séduire le pub­lic. Qui ne voudrait pas d’un tel métier ?

Encore aujour­d’hui, qu’est-ce qui vous plait le plus dans une comédie musicale ?
J’adore être instal­lé dans la salle, et me laiss­er sub­merg­er par la musique qui monte de la fos­se. A chaque ouver­ture d’un musi­cal j’ai con­servé la même sen­sa­tion : la chair de poule. La comédie musi­cale au théâtre est un méti­er d’ex­i­gence : on ne peut tolér­er la médi­ocrité, cela se voit immé­di­ate­ment et c’est la cat­a­stro­phe. C’est d’ailleurs ce qui m’a plu dans le tra­vail de Susan Stro­man : une grande pro­fes­sion­nelle, choré­graphe tal­entueuse et met­teur en scène inspirée.

D’où vous est venue l’idée des Pro­duc­teurs, votre pre­mier film ?
Dans ma jeunesse, j’ai tra­vail­lé pour un Max Bia­lystok, j’é­tais un peu Leo Bloom, avec très vite le désir de devenir auteur. A par­tir de cer­tains sou­venirs, j’ai tout d’abord écrit un roman. Comme il com­por­tait beau­coup de dia­logues mon édi­teur m’a con­seil­lé d’en faire une pièce, mais je ne voy­ais pas com­ment tout faire tenir dans le bureau de Max. C’est alors que j’ai ren­con­tré un pro­duc­teur de ciné­ma qui a trou­vé que l’his­toire ferait un bon film. Il m’a don­né ma chance et ayant juste une exi­gence : que je change le titre. Il n’imag­i­nait pas les façades des ciné­mas arbor­er « Un print­emps pour Hitler » !

On y entendait déjà deux chansons…
Effec­tive­ment ! Je ne pen­sais pas que, 30 ans après, Les pro­duc­teurs aurait une sec­onde jeunesse. C’est David Gef­fen qui m’a souf­flé l’idée. J’avais une expéri­ence de jeunesse à Broad­way puisque j’avais tout d’abord écrit des sketch­es pour une revue musi­cale : Leonard Sill­man’s New Faces of 1952, quelques années plus tard j’ai écrit le livret de Shin­bone Alley, un musi­cal avec la féline Eartha Kitt et au début des années 60 j’ai écrit celui de All Amer­i­can. Cela m’a donc per­mis de me rep­longer dans mes jeunes années, comme une cure de jou­vence en somme. Je ne me sen­tais toute­fois pas capa­ble d’écrire les musiques. C’est Jer­ry Her­man, qui a été pressen­ti pour tra­vailler sur le pro­jet, qui m’a dit qu’il fal­lait que je le fasse, ayant enten­du préal­able­ment les dif­férents titres que j’avais écrits pour mes films. Quel com­pli­ment… Je n’avais plus qu’à m’exé­cuter ! Dans mon film, comme vous l’avez relevé, j’avais déjà com­posé « Spring­time for Hitler » et « Pris­on­ers of Love », il ne me restait donc plus que quelques titres à écrire !

Retrou­ver un cast­ing aus­si effi­cace que Zero Mos­tel et Gene Wilder était un pari ambitieux ?
Oui, mais il est tou­jours agréable de voir que le vivi­er de tal­ents se renou­velle et que de nou­veaux artistes vous pro­curent des joies aus­si belles, même si elles sont dif­férentes, que les comé­di­ens que vous avez engagés sur un pre­mier pro­jet. De plus, mon exi­gence pour la comédie, et le tim­ing qu’elle implique, n’a pas changé : je suis in-tran-si-geant ! J’aime dénich­er les actri­ces et acteurs qui pos­sè­dent ce fameux « fun­ny bones », ce sens inné du comique, qui font qu’ils exploseront, tant sur une scène que sur un écran. Pour le ciné­ma, j’avais en pré­parant mon film ten­dance à être plus coulant quant au choix des comé­di­ens. Andreas Voutsi­nas, qui inter­pré­tait Car­men Ghia et est un grand directeur d’ac­teur, me dis­ait : « on ne peut pas dire ‘ou’ mais ‘aus­si’  », par exem­ple « ne choi­sis pas ce comé­di­en parce qu’il sait chanter ou danser, mais parce qu’il maîtrise les deux dis­ci­plines ». Je me suis très vite ren­du compte qu’il avait rai­son. Con­traire­ment à Max Bia­ly­stock, j’aime être entouré des meilleurs !

Par­lez-nous de votre impli­ca­tion, en tant que pro­duc­teur, dans le show de Broad­way puis dans le film ?
J’ai fait tout le cast­ing des rôles prin­ci­paux pour Broad­way. Il ne fal­lait pas se tromper. J’ai hésité un moment pour Matthew Brod­er­ick. Je l’avais vu dans How To Suc­ceed In Show Busi­ness, il m’avait bien plu mais il devait toute­fois me con­va­in­cre de sa capac­ité à inter­préter un rôle aus­si comique que celui de Léo Bloom. Je suis ravi de sa com­po­si­tion, d’au­tant qu’il se révèle très bon chanteur, c’est la pre­mière fois qu’il chante autant ! Nathan Lane, je l’ai vu dans de nom­breuses pièces. Il suc­cède bril­lam­ment à Zero Mos­tel, qui était une fig­ure dans le monde du théâtre. Nathan sait tout faire, il a une belle voix ample et sait par­faite­ment bien bouger. Quant à Uma Thur­man, elle a rejoint l’équipe du film et nous a tous impres­sion­nés par ses capac­ités à chanter et danser. Elle s’est glis­sée avec beau­coup d’hu­mour dans le rôle de la secré­taire délurée. Pour l’adap­ta­tion ciné­matographique, je suis presque tous les jours sur le plateau. Je suis pro­duc­teur, alors for­cé­ment : je sur­veille ! Mais je n’en avais nulle­ment besoin : Susan Stro­man m’a épaté, elle a par­faite­ment su diriger son équipe, avec humil­ité. C’é­tait son pre­mier film, et pas une pro­duc­tion min­i­male tournée dans un apparte­ment autour d’un oeuf dur.

Vous sem­blez avoir un amour pour les musicals ?
J’adore ! J’adore…

Si vous deviez en choisir une, quelle serait votre chan­son favorite ?
C’est une tor­ture que vous venez d’in­ven­ter ? Je n’ai pas une mais des chan­sons que j’aime beau­coup. Et je ne men­tionne pas les miennes ! Alors on pour­rait con­sid­ér­er (Mel Brooks com­mence à chanter) « Heav­en, we’re in heav­en… our hearts beat so that I can hard­ly speak » de Irv­ing Berlin, et j’aime aus­si « Night and Day » de Porter, « You were nev­er love­li­er, nev­er ever divine » de Kern… et
« Embrace­able You » de Gersh­win. On s’est fait un mini Broad­way à Paris !

Vous auriez pu jouer Max à Broadway ?
Oui, mais je ne peux pas jouer dans une pro­duc­tion pour laque­lle on a besoin de mon regard extérieur, aider à polir les choses, met­tre en place. Je ne peux pas faire deux choses à la fois. Mais ça m’au­rait plu, c’est certain !