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Maury Yeston — Le titan du Titanic

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Maury Yeston ©DR
Mau­ry Yeston ©DR

Alors qu’il assiste à l’âge de dix ans à une représen­ta­tion de My Fair Lady, Mau­ry Yeston sent naître en lui sa voca­tion d’écrire des comédies musi­cales pour Broad­way. Quelques années plus tard, après avoir étudié entre autre la musi­colo­gie et obtenu de nom­breux prix et récom­pens­es pour ses com­po­si­tions à l’U­ni­ver­sité de Yale, il passe deux ans au Clare Col­lege de Cam­bridge où il se famil­iarise avec la musique sym­phonique anglaise. C’est là qu’il écrit et com­pose sa pre­mière pièce de théâtre musi­cale, Alice au Pays des Mer­veilles, d’après l’oeu­vre de Lewis Car­roll. Mais sa pre­mière vraie comédie musi­cale pro­duite sur scène à Broad­way sera Nine, d’après le célèbre film de Felli­ni, 8 ½.

Nine, son pre­mier grand succès 
Mau­ry Yeston explique qu’il a ressen­ti un vrai choc en voy­ant ce film pour la pre­mière fois. «J’avais dix-sept ans et je me suis recon­nu dans le per­son­nage prin­ci­pal, Gui­do, parce que mal­gré son âge, il se posait des ques­tions d’ado­les­cent sur le mariage, l’amour, l’i­den­tité. Il a fait sur moi une grande impres­sion». Ce n’est pour­tant que dix ans plus tard qu’il com­mence à écrire un musi­cal sur son film préféré. Il fau­dra encore laiss­er pass­er huit années pour qu’il trou­ve un pro­duc­teur et que ce spec­ta­cle soit enfin créé à Broad­way en 1982. Pour un début, c’est un très grand suc­cès tant pub­lic que cri­tique. Il obtient qua­tre Tony Awards. Et pour­tant ce n’est pas une comédie musi­cale facile d’ac­cès. Mau­ry Yeston le recon­naît bien volon­tiers « Nine est un show à part, révo­lu­tion­naire et sur­réal­iste, dans lequel j’ai mis mon expéri­ence de jeunesse en Europe avec de la musique ital­i­enne, française et alle­mande. C’est un spec­ta­cle vrai­ment des­tiné aux ?afi­ciona­dos’ de la comédie musi­cale ». L’échec pub­lic de la pro­duc­tion française, en 1997 aux Folies Bergère, ne l’a donc pas sur­pris. Mais pour lui ce fut mal­gré tout une grande réus­site artis­tique. « Le spec­ta­cle était bril­lant, la dis­tri­b­u­tion française était ?opti­male’, par­ti­c­ulière­ment Jérôme Pradon dans le rôle de Gui­do, il ressem­blait à Mar­cel­lo Mas­troiani ! Et toutes les comé­di­ennes étaient splen­dides ». Dans ce spec­ta­cle, il y avait un moment qu’il con­sid­ère comme un mir­a­cle du théâtre, la chan­son «Folies Bergère», « que j’avais écrite pour ma grande amie Lil­iane Mon­tevec­chi, était présen­tée pour la pre­mière fois sur la passerelle des vraies Folies Bergère et avec l’ef­fet d’un grand miroir qui descendait der­rière, c’é­tait les Folies Bergère dans les Folies Bergère ! ». Si le spec­ta­cle n’a pas marché en France, il con­tin­ue à être joué avec suc­cès dans plusieurs pays et Mau­ry Yeston nous livre même un scoop « pour le 20ème anniver­saire de sa créa­tion, Nine sera remon­té à Broad­way en 2002 ! ».

Son Phan­tom con­cur­rencé par celui de Lloyd Webber 
Après le suc­cès de Nine, on pro­pose à Mau­ry Yeston et Arthur Kopit (le libret­tiste de Nine) d’adapter en comédie musi­cale Le fan­tôme de l’Opéra, le roman de Gas­ton Ler­oux. D’abord réti­cent, Mau­ry se met au tra­vail avec Arthur Kopit. Phan­tom est créé en 1991 à Hous­ton. C’est un tri­om­phe. «C’est mon plus grand suc­cès à ce jour » nous dit Mau­ry Yeston, « nous avons eu plus de 600 pro­duc­tions aux Etats-Unis, une tournée alle­mande qui a duré sept ans, et actuelle­ment une nou­velle tournée sil­lonne les USA et le Cana­da ». Quand on le ques­tionne sur Phan­tom of the Opera d’An­drew Lloyd Web­ber créé pra­tique­ment en même temps à Lon­dres (et tou­jours à l’af­fiche), il répond sim­ple­ment dans un sourire « dans ?show busi­ness’, il y a ?show’ mais il y a aus­si ?busi­ness’ ». Et de don­ner son sen­ti­ment sur son ?con­cur­rent’ : « beau­coup de gens pensent que mon Phan­tom est meilleur que celui de Lloyd Web­ber, c’est vrai­ment une his­toire basée sur la musique lyrique du spec­ta­cle et non pas sur un décor ! ». Une adap­ta­tion française n’est pas impos­si­ble « parce que c’est un roman français à l’o­rig­ine dont l’ac­tion se passe à l’Opéra Gar­nier ».

Grand admi­ra­teur de Nine, le célèbre ténor espag­nol Placido Domin­go demande un jour à Mau­ry Yeston de lui com­pos­er la musique d’un spec­ta­cle autour du pein­tre Goya. Mais faute de disponi­bil­ité du ténor, le spec­ta­cle ne peut se mon­ter. En revanche, un disque est enreg­istré. « J’aime beau­coup cette par­ti­tion, elle occupe une grande place dans mon coeur parce que j’ai tra­vail­lé avec des artistes excep­tion­nels : Placido Domin­go, Dionne War­wick, Glo­ria Este­fan,… ». Cette oeu­vre mêle musique d’in­spi­ra­tion clas­sique et pop. Mau­ry nous annonce qu’il est en dis­cus­sion pour met­tre en place une tournée européenne de la ver­sion con­cert de Goya qui pour­rait com­mencer aux Pays Bas.

Mau­ry Yeston ne se con­tente pas de créer des oeu­vres orig­i­nales, il lui arrive aus­si de jouer les sauveurs ! Un jour de 1989, son ami Tom­my Tune qui met en scène une nou­velle ver­sion d’un vieux musi­cal incon­nu des années 50, At the Grand, l’ap­pelle pour sauver le spec­ta­cle du désas­tre. A la demande des auteurs, et avec l’aide du libret­tiste Peter Stone, Mau­ry com­pose une ouver­ture, rem­place sept chan­sons et réécrit toutes les paroles des autres chan­sons, le tout en qua­tre semaines. Le résul­tat c’est Grand Hotel, un musi­cal qui sera joué plus de 1 000 fois et qui recevra plus de 5 Tony Awards* !

A croire que tout ce que touche Mau­ry Yeston se trans­forme en or. Il est donc nor­mal qu’on l’in­ter­roge sur sa façon de tra­vailler. Par exem­ple, par quoi com­mence-t-il : les paroles ou la musique ? En réponse, il cite avec mal­ice cette anec­dote « lorsqu’on demandait à Cole Porter ce qui lui venait en pre­mier, les paroles ou la musique, il répondait ?le chèque’ ! ». Plus sérieuse­ment il estime qu’ « il faut avant tout se posait trois ques­tions : où doit-on plac­er la chan­son ? quel en est le sujet ? et que doit-elle racon­ter pour faire avancer l’his­toire ? Une fois qu’on a la réponse à ces ques­tion, paroles et musique vien­nent en même temps ». Et le pro­fesseur Yeston de pour­suiv­re son cours « pour qu’une comédie musi­cale fonc­tionne, il y a une règle essen­tielle à respecter : il faut que les dix pre­mières min­utes expliquent tout ce que le pub­lic doit com­pren­dre pour suiv­re l’his­toire. C’est exacte­ment le cas de Titanic ».

Titan­ic débar­que en Europe 
Titan­ic est à ce jour la dernière créa­tion de Mau­ry Yeston. Com­ment a‑t-il eu l’idée de met­tre en musique ce ter­ri­ble naufrage ? « Depuis 1985, les sujets des musi­cals de Broad­way sont devenus plus sérieux et dra­ma­tiques avec entre autre l’ar­rivée des Mis­érables et Miss Saï­gon. Le pub­lic et les auteurs ont dévelop­pé un goût pour ces sujets. Quand, en sep­tem­bre 1985, on a retrou­vé l’é­pave du Titan­ic, je me suis dit « voilà un bon sujet ». Cet extra­or­di­naire naufrage a mis fin en 1912 à la société du 19ème siè­cle et sa struc­ture de class­es, c’est aus­si une his­toire sur l’orgueil de l’hu­man­ité. Et puis en jan­vi­er 1986, une navette spa­tiale a explosé en plein vol avec à son bord une insti­tutrice. C’é­tait le résul­tat du même orgueil, de la même stu­pid­ité, du même petit détail qui détru­it tout et le même sac­ri­fice d’in­no­cents, c’est ça qui m’a vrai­ment décidé à écrire Titan­ic ». Avec son libret­tiste Peter Stone, ils com­men­cent à tra­vailler dessus en 1990 et ter­mi­nent l’oeu­vre en 1993. Si le pro­duc­teur est vite trou­ver, il n’en va pas de même pour le met­teur en scène. « Nous avons dis­cuté avec les plus grands, ils voulaient tous le faire ! Même Fran­co Zef­firelli. Mais tous avaient déjà de nom­breux engage­ments ». Finale­ment c’est Richard Jones qui met­tra en scène le spec­ta­cle. Titan­ic est créé en avril 1997 à Broad­way. C’est tout de suite un tri­om­phe. Mau­ry Yeston n’est pas sur­pris. « Je savais que les spec­ta­teurs seraient boulever­sés en voy­ant le spec­ta­cle car mal­gré la tragédie, on trou­ve un mes­sage posi­tif ». Et de pré­cis­er « Titan­ic est aus­si une his­toire d’e­spoir, jusqu’au bout les pas­sagers espèrent qu’ils vont sur­vivre ». Une autre rai­son du suc­cès c’est la force de la musique sym­phonique du spec­ta­cle. « Comme on ne pou­vait pas recon­stituer le Titan­ic en entier dans le théâtre, il fal­lait créer un Titan­ic de musique ! Comme une grande musique de film. Cette nou­velle dimen­sion sym­phonique dans le théâtre musi­cal était pour moi très intéres­sante ».

Quand on l’in­ter­roge sur la pro­duc­tion française présen­tée par l’Opéra Roy­al de Wal­lonie de Liège, le vis­age de Mau­ry Yeston s’il­lu­mine. Il est par­ti­c­ulière­ment sat­is­fait par l’adap­ta­tion des lyrics. « Stéphane Laporte a fait un tra­vail admirable, c’est un génie. Il respecte par­faite­ment le rythme et les rimes. Le pub­lic fran­coph­o­ne peut voir main­tenant un spec­ta­cle qua­si français et pas étranger ». Quant à la mise en scène de Jean-Louis Grin­da, il la juge « mer­veilleuse et de pre­mière classe ». Et de s’ex­clamer « tout est encore plus grand qu’à Broad­way ! ». Il s’en­t­hou­si­asme égale­ment pour la dis­tri­b­u­tion « Il y a beau­coup de tal­ents, ils sont tous bons ».

Mau­ry Yeston a l’e­sprit très ouvert et s’in­téresse aus­si à ce qui se fait en France en matière de comédies musi­cales. « Je vais aller voir Notre Dame de Paris, j’ai enten­du dire que c’é­tait quelque chose de nou­veau qui fai­sait venir le pub­lic des con­certs de rock et de var­iété. J’aime bien ça car il faut agrandir le pub­lic du théâtre musi­cal ». D’un naturel opti­miste, il pense que ce pub­lic, parce qu’il a déjà franchi le pre­mier pas en direc­tion de la comédie musi­cale, vien­dra ensuite voir des spec­ta­cles comme… Titan­ic par exem­ple ! Il va même jusqu’à dire que dans dix ans, le pub­lic français sera enfin prêt à recevoir Nine et que cette fois-ci « ce sera un grand suc­cès ». Mau­ry Yeston voit loin, d’ailleurs il ne manque pas de pro­jets. Il tra­vaille entre autre sur un musi­cal d’après les Con­tes d’Edgar Allan Poe et comme il a de la suite dans les idées, il souligne aus­sitôt « ce serait très bien pour la France » !