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Maury Yeston et les secrets de Nine

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Maury Yeston
Mau­ry Yeston

Mau­ry Yeston, quelle a été votre réac­tion quand vous avez appris que Nine allait être adap­té au cinéma ?
J’ai été extrême­ment ravi d’ap­pren­dre par Har­vey Wein­stein [NDLR : pro­duc­teur] qu’il avait envie de faire un film de Nine, et encore plus ravi de décou­vrir que Rob Mar­shall voulait le réalis­er. J’ai été très clair dès ma pre­mière con­ver­sa­tion avec Rob : pour moi, le ciné­ma est l’art du réal­isa­teur et je voulais qu’il ait le plus de lib­erté pos­si­ble pour chang­er l’œu­vre théâ­trale et l’adapter  à la forme ciné­matographique et à toutes ses possibilités.
Après tout, c’é­tait la per­mis­sion que Felli­ni m’avait don­née, dans le sens inverse, quand il m’a autorisé à chang­er et adapter son chef d’oeu­vre (8 1/2) en spec­ta­cle musical.

Et com­ment avez-vous réa­gi à l’an­nonce de la distribution ?
J’ai vrai­ment été estom­aqué quand j’ai enten­du le nom­bre de per­son­nes incroy­ables qui avaient envie de faire par­tie du film. Jamais je n’au­rais imag­iné que je tra­vaillerais avec Sophia Loren, Dame Judi Dench… Puis d’avoir ensuite Mar­i­on Cotil­lard, Pene­lope Cruz ! C’é­tait plus que je ne pou­vais rêver !

Dans la ver­sion ciné­matographique, cer­taines chan­sons ont été coupées, d’autres ajoutées. Avez-vous eu votre mot à dire dans le proces­sus ? Est-ce dif­fi­cile pour un auteur-com­pos­i­teur de « per­dre » cer­taines chan­sons ? Que pou­vez-vous nous dire sur les nouvelles ?
J’ai été impliqué de façon intime et déli­cieuse dans chaque étape, de la sup­pres­sion aux ajouts en pas­sant aus­si par la « ré-inven­tion » de la par­ti­tion — ce qui inclut aus­si bien le fait d’écrire des nou­velles chan­sons, des nou­veaux lyrics, que de ral­longer des chan­sons pré-existantes.
Tous les change­ments ont été sug­gérés ou demandés par le réal­isa­teur, et tous, à mon avis, sont bril­lam­ment jus­ti­fiés. Par­mi les nom­breuses raisons à ces change­ments, les deux plus impor­tantes sont 1) les spé­ci­ficités d’un film — en tant que médi­um visuel — qui sont dif­férentes des spé­ci­ficités de la scène. Par exem­ple, sur scène, pour illus­tr­er une chan­son, vous pou­vez avoir trois comé­di­ens se suc­cé­dant, debout au milieu du plateau, sous un pro­jecteur. Mais à l’écran, ce serait une séquence très ennuyeuse ! Donc les nou­velles chan­sons per­me­t­tent de prof­iter de l’ac­tion cinématographique.
2) De même que beau­coup de chan­sons de la pro­duc­tion scénique orig­i­nale étaient inspirées par les comé­di­ens (Lil­iane Mon­tevec­chi, par exem­ple), les tal­entueux acteurs du film ont aus­si inspiré la créa­tion de nou­velles chan­sons — et plus par­ti­c­ulière­ment Mlle Loren et Mlle Cotillard !
Donc je n’ai « per­du » aucune chan­son : elles sont tou­jours toutes dans la ver­sion scénique. En revanche, j’ai gag­né l’op­por­tu­nité d’adapter mon pro­pre tra­vail et de le ré-imag­in­er pour ce film — l’op­por­tu­nité d’écrire des nou­velles chan­sons dans une forme artis­tique dif­férente et pour des stars extra­or­di­naires — et tout ça, de mon vivant !

Penelope Cruz dans Nine (c) DR
Pene­lope Cruz dans Nine © DR

Avez-vous été impliqué dans l’en­reg­istrement stu­dio ? Et qui vous a par­ti­c­ulière­ment impres­sion­né ? Et, par curiosité… com­ment était « notre » Mar­i­on Cotil­lard nationale ?
J’ai été très impliqué dans la pré­pa­ra­tion de tout ce qui précé­dait l’en­trée en stu­dio, mais je ne pense pas que ça aurait été une bonne idée que je sois dans le stu­dio durant l’en­reg­istrement des voix. Je pense  que tout le monde aurait été nerveux d’avoir l’au­teur présent.
Je suis réelle­ment impres­sion­né, et je pense que tout le monde le sera, devant la qual­ité spec­tac­u­laire de toutes les per­for­mances vocales. Quant à Mar­i­on Cotil­lard, elle est franche­ment géniale, et c’est une superbe chanteuse. Ses per­for­mances sont flu­ides, évi­dentes, poé­tiques, lyriques et bouleversantes.

Quelles sont les dif­férences quand on tra­vaille avec des acteurs d’Hol­ly­wood plutôt qu’avec des per­form­ers de Broadway ?
Aucune ! Les grands acteurs pro­fes­sion­nels ont tous la même incroy­able humil­ité. Ils sont per­fec­tion­nistes, généreux, ils ont une grande gen­til­lesse et un respect de l’œu­vre qu’ils jouent. Ca a été un hon­neur d’avoir été asso­cié à ces stars de ciné­ma, et être avec elles était comme être avec une troupe de Broad­way : on se retrou­ve dans une famille de gens doués et formidables.

Daniel Day-Lewis et Marion Cotillard dans <i>Nine</i> (c) DR
Daniel Day-Lewis et Mar­i­on Cotil­lard dans Nine © DR

La plu­part du temps, les orches­tra­tions de ciné­ma sont plus « rich­es », plus « pro­duites » que les orches­tra­tions de scène ? Est-ce que ce sera le cas pour Nine ? Que pou­vez-vous nous en dire ?
Mon Dieu ! Oui, bien sûr ! Je réalise à présent comme c’est exci­tant de pass­er d’un orchestre de Broad­way avec 24 musi­ciens à un ensem­ble hol­ly­woo­d­i­en de 60, voire plus ! Oui, la musique est donc plus riche, plus pleine, plus prenante dans son traite­ment. Ca a été une expéri­ence unique dans ma vie d’en­ten­dre mon tra­vail de cette façon, et j’en suis extrême­ment reconnaissant.

Avez-vous déjà vu le film, ou un pre­mier montage ?
Oui, j’ai vu le film en entier et ça été une expéri­ence inten­sé­ment per­son­nelle. La chose la plus intime que je peux con­fi­er est que j’ai tou­jours ressen­ti une oblig­a­tion morale envers Felli­ni — qui a eu la générosité de m’au­toris­er à adapter son chef d’œu­vre et qui a eu con­fi­ance en mon respect de son œuvre. Voir aujour­d’hui Rob Mar­shall me retourn­er cette faveur, ain­si qu’à Felli­ni, en ren­dant hom­mage au film qui a inspiré cette incroy­able odyssée per­son­nelle, est un mer­veilleux cadeau. Je pense que la vision que Rob a apportée à l’œu­vre, avec la col­lab­o­ra­tion de Antho­ny Minghel­la  [NDLR : réal­isa­teur du Patient anglais et co-scé­nar­iste de Nine], fera de ce film un clas­sique du ciné­ma musical.

Daniel Day-Lewis et Judi Dench dans Nine (c) DR
Daniel Day-Lewis et Judi Dench dans Nine © DR

Quel est votre pronos­tic sur le futur du musi­cal à Hol­ly­wood ? Pensez-vous qu’il est vrai­ment de retour ?
J’e­spère bien ! Tant que les gens seront flex­i­bles et prêts à faire des change­ments, ces films peu­vent fonc­tion­ner. On ne peut pas sim­ple­ment point­er une caméra vers une scène en espérant que ça devi­enne un film. Il faut pren­dre des risques et adapter, et faire un film en util­isant le lan­gage cinématographique.

Lire nos inter­views précé­dentes de Mau­ry Yeston, à l’oc­ca­sion de Titan­ic à Liège en 2000, et lors du revival de Nine en 2003.
En savoir plus sur Nine dans la rubrique Grandes oeu­vres.

La bande annonce du film :

[youtube]http://www.youtube.com/watch?v=Zqw3QcrsspY[/youtube]

Un extrait de Nine, avec Anto­nio Ban­deras, lors du revival à Broad­way en 2003.

[youtube]http://www.youtube.com/watch?v=ScdHbMuUjHc[/youtube]