
Matthieu Bonicel, comment êtes-vous venu au théâtre musical ? Y a‑t-il des films ou des spectacles qui vous ont donné envie de faire ce métier ?
J’ai toujours été passionné de théâtre et de musique. J’ai une formation de musicien et de chanteur, classique à la base, mais je pense que les arts du spectacle sont un tout et qu’il faut pouvoir mélanger les genres. J’ai commencé le théâtre musical en entrant dans la compagnie Frères Poussière qui créait à l’époque Les Masques de Vénus, une pièce musicale que nous avons jouée au festival Off d’Avignon en 2004. Je suis, par la suite, resté dans cette compagnie avec laquelle nous avons monté Hedwig pour la première fois en 2006.
L’opéra m’a beaucoup attiré vers le monde du théâtre musical. J’ai une passion pour Offenbach, notamment pour les nouvelles productions qui ont été faites par Marc Minkowski et Laurent Pelly. Je me souviens d’une représentation de La belle Hélène au Théâtre du Châtelet qui m’a complètement fasciné ou de la version d’Orphée aux Enfers avec Natalie Dessay, qui reste mon idole absolue, avant tout parce qu’elle affirme sans cesse que le jeu est aussi important que le chant dans le théâtre musical.
Au cinéma, dans un tout autre style, l’univers du Rocky Horror Picture Show a été une révélation par son style, son esprit déjanté. Ça m’a donné envie de faire des spectacles décalés et originaux.
Comment avez-vous découvert Hedwig and the Angry Inch ?
C’est Guilain Roussel, notre directeur artistique, qui m’a fait voir le film en juin 2005, à l’époque où je cherchais une nouvelle pièce pour la monter chez Frères Poussière et que j’avais envie de me confronter à l’oeuvre d’un auteur (nous n’avions jusqu’alors fait que des créations originales). Le film m’a complètement scotché. Quand Guilain m’a dit qu’il était adapté d’une pièce, je me suis dit, « il faut qu’on la monte, c’est évident ! ».
Par la suite, je me suis documenté et j’ai écrit à John Lynch, de Janus Theatre Company en Angleterre, qui a monté Hedwig pendant presque dix ans. Sa réaction a été extrêmement positive ; il nous a invités à voir sa production en Grande-Bretagne et nous a immédiatement proposé son aide pour la mise en scène. Nous avons eu tout de suite l’impression d’entrer dans une grande famille.
Mais ce qui m’a séduit, aussi et surtout, c’est que l’oeuvre est à la croisée de plusieurs mondes qui n’ont pas forcément l’habitude de se rencontrer : le théâtre, la musique rock, l’identité de genre. De ce fait, Hedwig est un objet scénique rare en son genre et donc passionnant à travailler.
Avez-vous rencontré des difficultés pour le produire en France ?
La grosse difficulté du spectacle en termes de diffusion est qu’il ne rentre dans aucune case. Ce n’est pas un concert mais une vraie pièce, et il est donc difficile de le jouer dans une salle de rock où la plupart du temps le public est debout. En plus, ces salles de concert n’ont souvent pas l’équipement lumières nécessaire pour du théâtre. D’un autre côté, la formation musicale (un groupe de rock et deux chanteurs) fait que la plupart des salles de théâtre à la portée financière d’une petite production n’ont pas de régie son suffisamment étendue ou d’insonorisation suffisante.
Pourquoi le choix de maintenir les paroles chantées en anglais et les dialogues en français ?
Hedwig a grandi à Berlin Est, vécu aux Etats-Unis et probablement tourné dans pas mal de pays d’Europe de l’Est. Sa langue, pas plus que son sexe, ne sont très clairement définis. En outre, ses influences sont essentiellement anglo-saxonnes : Bowie, Lou Reed, Iggy Pop… Nous avons voulu rendre compte de cette complexité. Les surtitres permettent de transmettre les messages forts véhiculés par les chansons. En outre, nous ne nous sentions pas le courage de toucher aux magnifiques paroles de Stephen Trask, qui ont un rythme qui nous semble très difficile à rendre en français, qui n’est pas la langue du rock. D’autres casts à travers le monde ont procédé différemment et fait une traduction. Certains, comme au Japon, ont une pratique mixte, chantent certaines chansons en japonais, d’autres en anglais, d’autres enfin en deux langues.
Pour ceux qui ne connaissent pas ce spectacle, pouvez-vous nous en parler un peu, sans toutefois nous en dévoiler trop ?
Eh bien, au cours d’un de ses concerts auquel vous assistez, Hedwig, accompagnée de ses musiciens venus d’Europe de l’Est, revient avec humour et ironie sur son parcours et ses blessures. Elle raconte son adolescence à Berlin-Est et ses rêves américains, sa fuite grâce à une opération ratée. Elle devient cette artiste méconnue, pourtant à l’origine du succès de la rock star Tommy Gnosis. Spoliée de ses chansons et désillusionnée dans la quête de son autre moitié, elle nous entraîne dans son chemin à travers l’Amérique suivant la tournée triomphale de celui qu’elle croyait être son âme-soeur.
Ce qui est intéressant avec Hedwig, c’est qu’au-delà de son apparence provocante, elle est avant tout un personnage universel. Elle est en quête d’elle-même, à la recherche de sa propre identité.
Au cours de nos différentes représentations, nous avons été surpris de voir la diversité des publics qui se sont réunis autour d’Hedwig et qui en sont repartis avec tellement des choses différentes !
Avez-vous d’autres envies après Hedwig ?
Nous avons plein d’autres projets avec Guilain ou d’autres membres de l’équipe comme Baptiste, notre créateur vidéo. Tout n’est pas encore bien calé car nous nous concentrons avant tout sur Hedwig pour le moment mais notre souhait est de défendre un spectacle vivant subversif, décalé et bien sûr musical ! Nous sommes très influencés par ce que les Anglais appellent le « burlesque » et qui n’a pas encore vraiment pris en France. L’idée de numéros qui s’enchaînent, avec ou sans fil conducteur, dans le but de présenter au public un panel aussi large que possible de talents et de formes scéniques, nous intéresse énormément.