
Huit ans après qu’elle a créé la glamourissime Ulrika, il y a encore des gens pour penser que Marianne James est un homme. Une rumeur qu’elle balaie d’un grand sourire et d’un revers de main : « Alors là, vraiment, ça m’est complètement égal. Que les gens croient ce qu’ils veulent, je n’ai rien à leur prouver. Si je n’avais pas de belles amitiés, de beaux amours autour de moi, ça m’affecterait peut-être mais ce n’est pas le cas. C’est ce côté excessif qui étonne sans doute ». Comme si la féminité exacerbée de son personnage était incompatible avec la vraie féminité. « Etre glamour, je sais ce que ça coûte, explique-t-elle, c’est trois heures de préparation tous les soirs avant d’entrer en scène. Alors dans la vie, je ne suis pas glamour, je suis une femme plutôt grande et plantureuse, à l’air tout à fait normal ».
La genèse de L’ultima récital commence à être connue : fatiguée de ne pas se voir proposer des rôles à la mesure de son talent, Marianne James abandonne le chant lyrique pour une carrière en dehors des sentiers battus. De cette frustration naîtra un personnage fort, vengeur — en un mot incontrôlable — et qui fera souffler un vent de liberté sur la scène : « J’aurais aimé aller au théâtre et voir un personnage comme elle ». Mais Ulrika, comme Rome — ou comme Berlin, eu égard à son origine teutonne — ne s’est pas faite en un jour. C’est avec la complicité d’une amie rencontrée sur les bancs de la Sorbonne, Véronique Vola, qu’émerge peu à peu l’idée d’un duo musical décapant et déjanté. Sur les conseils de quelques copains, elles affinent leur écriture et en 1991, L’ultima récital est globalement prêt.
Le bon ange — malicieux — de Marianne aura pour nom Jango Edwards. On pense souvent que c’est lui qui a amené son grain de folie au spectacle. « Pas du tout, précise Marianne. Nous étions déjà très proches de ce qu’il fait. Il s’est au contraire attaché à affiner le spectacle. Il a enlevé ce côté trop mec, trop travesti. Il m’a dit : tu peux tout faire passer si tu le fais à fond dans le glamour féminin. Et c’est à partir de là que nous sommes devenues de plus en plus raffinées ». Parce qu’elles sont très élégantes sur scènes, nos deux vedettes. Elles se conduisent mal, certes, mais avec tellement d’élégance !
Pendant deux ans, Marianne James et Ariane Cadier, sa partenaire, ont rôdé leur numéro en province. Deux années de petits festivals, de salles plus ou moins pleines, de soirées organisées dans des pizzerias, bref, le lot commun des artistes en mal de reconnaissance. Marianne en garde un souvenir attendri… « Je pense à tous ces gens qui ont pris des risques pour nous programmer. Il fallait y croire quand nous faisions cent spectateurs payants dans des salles de 600 personnes ! Il ont joué leur rôle de découvreurs de talents et ça, c’est magnifique ».
Politiquement incorrecte
A Paris, ce sont les gays qui ont été les premiers fans du spectacle et s’en sont fait les thuriféraires. « C’est un public fidèle mais je ne suis pas tendre avec eux . Je leur rentre souvent dans le gras. Je me rentre dans mon gras à moi, donc je me permets de rentrer dans celui des autres. Ce public, je le connais bien et comme j’aime bien traverser les frontières, j’ai même eu de belles histoires d’amour avec des homos ». Elle ajoute aussitôt, dans un sourire et histoire de brouiller les cartes : « Le gay reste un homme quoiqu’on en dise » ! En tout cas, ce public — rejoint depuis par les musicologues, les amateurs d’humour et même tous ceux qui l’ont découverte à la télé — constitue toujours le noyau dur des ultimaniaques, ces « fans qui connaissent le spectacle par coeur et nous écrivent dès qu’on change une virgule ». Car Marianne aime autant changer les virgules que mettre les points sur les i. « C’est grâce à l’improvisation à l’intérieur d’un canevas précis que j’arrive à garder la fraîcheur du personnage. Mes journaux quotidiens me permettent ainsi de rebondir sur l’actualité et de parler de tous les fascismes, que ce soit au Kosovo ou en France ». Asséner quelques vérités bien senties, elle adore, Marianne, et elle exporte même tout ce qui est politiquement incorrect sur les plateaux télé : « Ces animateurs qui ont tous les pouvoirs, j’aime les brocarder et ils me le rendent bien ! Tout est si paramétré, chronométré… alors quand j’amène mes faux cils et mon grand sourire, on sait qu’il va y avoir au moins un rire dérangeant … s’il n’est pas coupé au montage » !
Marianne fait dire à Ulrika des choses avec lesquelles elle est fondalement opposée. « Mais je les dis tellement fort et de façon tellement caricaturale qu’il ne peut pas y avoir d’ambiguïté . A Toulon, quand je meurs sur scène et qu’Ariane commence à pianoter la mélodie du « Chant des Partisans », c’est toute une salle de 700 personnes qui reprend le refrain… moins une trentaine ! Et là, c’est un signal fort pour répéter qu’il y en a marre de cette mairie d’extrême droite. Ouvrir ma gueule, c’est un parti pris que je paierai peut-être un jour, je me prendrai peut-être quelques claques sur le nez. Ca n’est pas grave, on est là pour ça. Tant qu’on souffre, ça veut dire qu’on vit ».
« En attendant, je suis un bouffon et je fais sonner mes clochettes très fort sur ma tête afin de dénoncer tout ce qui doit l’être. Je reprends parfois mot pour mot le discours des gens que j’exècre et, heureusement je peux faire rire avec ça. Rire, ça permet de dégoupiller les grenades même si, parfois, je pense que les gens devraient en lancer plus, des grenades… mais bon… ».
Dr. Marianne et Mr. Ulrika
Depuis huit ans qu’elle vit presque quotidiennement avec son personnage, lui arrive-t-il de se prendre pour lui ? La réponse fuse : « Jamais ! Mes amis sont toujours là pour me remettre les pendules à l’heure : attention, ne fais pas ta Ulrika ! ». Mais s’il y a des différences fondamentales — entre autres politiques — entre les deux femmes, il y a aussi des points communs « La gourmandise, le bavardage et bien sûr la voix. Car si je n’ai pas son accent, je ne travestis évidemment pas ma voix ». De toute façon, en dépit de ses faiblesses, on ne peut pas ne pas aimer Ulrika. « Je suis vraiment sa première fan. Je l’habille, je la coiffe, je la maquille, je trouve les coloris ». Désignant le Perfecto aux manches ourlées de plumes qu’elle porte, elle ne peut s’empêcher d’ajouter : « c’est comme cette petite touche à la Ava Gardner, par exemple ! Je suis une petite fille qui s’amuse à la poupée mais ma poupée à moi, c’est Ulrika ! ».
Y a‑t-il une vie pour Ulrika après L’ultima récital ? « Pourquoi pas, puisqu’on la réclamera toujours ? On peut imaginer une Vie d’Ulrika au cinéma ou encore de nouveaux spectacles aux noms évocateurs des albums de Martine dans notre enfance : Ulrika à la plage, Ulrika au ski etc. Imaginez la en Transylvanie en train de terroriser une bande de premiers de cordée dans un chalet de montagne qui deviendrait un blockhaus au second acte ! Je me verrais bien avec une carrière à l’anglo-saxonne, alternant les spectacles en Marianne et ceux en Ulrika ». En attendant, c’est bien en Marianne qu’on pourra prochainement la retrouver. Avec son groupe de quatre musiciens, elle répète un récital qu’elle donnera à partir du 14 juillet aux Francofolies avant de gagner le Théâtre de l’Européen le 7 septembre pour au moins trois mois. « Je vais chanter un mélange de chansons originales que j’ai écrites et composées et de reprises surprenantes puisqu’elles iront de Camille Saint-Saëns au groupe Oasis ! C’est une nouvelle aventure et je me sens en pleine forme ». Pour Ulrika, le temps est venu de vraiment donner son Ultima récital. Pour Marianne en revanche, voici celui du Premier récital. On lui en souhaite beaucoup d’autres.