J’interprète Marie, c’est la petite articulation, le fil rouge prétexte à toutes ces chansons sur Paris choisies pour être mises ensemble. Le matin de son mariage, une jeune provinciale décide de dire « non »… Elle quitte la province car elle a envie de vivre quelque chose avec plus d’ampleur, d’inconnu, d’aventure et se rend donc à Paris. Elle arrive dans un dancing à moitié cassé : « L’air de Paris », avec deux lampes sur dix en état de marche, une clientèle qui fait partie des murs. Le monsieur Loyal des lieux, interprété par Patrick Dupond, récite son boniment depuis des lustres. Chaque soir il embobine une femme dans le public et ce soir là, c’est Marie. Il décide de la faire pénétrer dans l’Air de Paris, du coup Marie entre dans un monde parallèle à la Lewis Caroll, une sorte d’Alice aux pays des merveilles. Elle rencontre, parmi les clients, les archétypes parisiens comme Julie la Rousse, Prosper le souteneur, Solange la nostalgique de l’ancien Paris, le peintre de Montmartre. Elle va tomber amoureuse de Paris, incarné implicitement par Dupond et voyager dans Paris avec ses joies, ses déceptions, ses retrouvailles qui aboutissent à un final dans la lignée des revues.
Nous suivons l’itinéraire de cette fille, que l’on découvre inquiète et émoustillée, puis déçue (elle cauchemarde une trahison amoureuse d’un Paris volage). On n’est pas dans l’idée d’une revue comme celles proposées par les Folies Bergère avec 200 filles en strass mais plus dans une revue intimiste où une histoire permet de s’attacher à des personnages-symboles qui permettent aux chansons de s’ancrer dans un ensemble cohérent. Chacun possède un trajet à défendre sur le plan théâtral.
Comment ont été mises en avant les chansons choisies pour ce spectacle ?
Il y a des chansons magiques. Marie passe de la provinciale à la parisienne, telle est l’aboutissement de son trajet, en chansons. On le découvre dans le tableau de Mademoiselle Swing où Marie conduit la danse entourée de boys ! Tout cela traité sur le mode humoristique, bien sur grâce entre autre au chorégraphe Bruno Agati qui apporte beaucoup de deuxième degré.
Avec votre parcours musical important, qu’est-ce qui vous a attiré dans cette aventure ?
Tout d’abord un monde musical que j’adore : l’époque des Brel, Mouloudji, Barbara, Francis Lemarque… Une chanson qui n’est pas véritablement réaliste mais où l’on sort ses tripes, où l’on n’a pas peur d’exprimer la difficulté d’être idéaliste, de se casser les dents sur la réalité. Je trouve que l’écriture d’aujourd’hui manque de lyrisme. Je suis très heureuse de chanter en duo les prénoms de Paris de Brel, Sous le ciel de Paris, A Paris, une partie de la complainte de la Butte, la complainte de la Tour Eiffel et bien d’autres. Je chante également un extrait de Paris les autres, issus du film de Claude Lelouch Les uns et les autres. Des univers différents, toujours très sensibles, drôles, swing, c’est très amusant de faire ça.
Comme je viens de la danse, travailler avec Patrick Dupond est un grand honneur. Pendant 8 ans, de petit rat à mon prix de Paris, je ne pensais qu’à la danse et jamais je n’aurais pensé un jour faire de la comédie musicale ! Calfeutrée dans la petite loge, au poulailler, réservée aux petites danseuses je me souviens être allée l’applaudir aux 14 représentations du Fantôme de l’Opéra, ballet chorégraphié par Roland Petit sur une musique de mon père. Le pas de deux entre lui et Dominique Calfouni représentait pour moi le « Beau ». De valser avec lui aujourd’hui c’est plus qu’un clin d’oeil de la vie, on dirait un signe porteur de sens… Je suis en tout cas plus que contente.
Quant à Roland Romanelli… Le premier jour où nous sommes allés travailler avec Patrick dans son studio à Suresnes restera gravé dans ma mémoire. Nous nous sommes retrouvés dans une petite pièce, il faut vous dire que son studio était en travaux, et dès que l’on a commencé à chanter, accompagnés par son accordéon, c’était vraiment émouvant. Penser qu’il fut l’âme soeur de Barbara sur tout une vie, de créations… Ces hommes me font penser à des arbres, avec une science, une sagesse, un souffle formidable. Dupond est comme cela également.
Enfin, je suis ravie de revenir dans ce théâtre, où j’ai tous ces souvenirs merveilleux… Grâce à Monsieur Cardin, nous avons pu reprendre ici Le manège de Glace. Un lien très fort m’unit à ce lieu.
Quels sont vos rapports à la comédie musicale ?
Par hasard, lors d’un tour de chant de mes compositions au théâtre de Suresnes, une femme, amie de Pierre Jacquemont qui dirigeait la compagnie des Musicomédiens, m’entend chanter. Pierre lui avait parlé d’un projet musical sur des musiques de Gérard Calvi et des textes de René de Obaldia, il cherchait une fille susceptible de jouer une enfant. Le principe de ce spectacle étant de montrer les rêves, confidences et bêtises de 4 enfants le temps d’une nuit. Elle m’a repéré, j’ai finalement eu le rôle. Nous avons joué Les innocentines deux mois au Théâtre 14 puis en reprise quatre mois au théâtre de la Potinière. Ce spectacle, nommé aux Molières, a joué le rôle de déclencheur. Ensuite j’ai fait L’as-tu revue à l’opéra comique, Phi-Phi au Bataclan…
Tant que vous ne faîtes pas un tube, la vie d’un auteur-compositeur aujourd’hui est plus qu’aléatoire. J’ai donc accueilli ces aventures avec bonheur. J’aime par dessus tout être en scène, danser, chanter, jouer… C’est mon élément. Par le biais de la comédie musicale, on me dit que j’ai une dimension drôle et pétillante qui ne me vient pas dans mes compositions où je suis davantage mélancolique. Je peux défendre, en tant qu’interprète, des choses que je défends moins dans mes créations personnelles. Cela m’amuse, sans parler du plaisir que représente le travail en équipe, différent du travail en tout de chant, plus solitaire.
Aimiez-vous toutefois ce genre ?
Je n’avais pas le mythe de la comédie musicale même si j’ai de grandes admirations pour Liza Minnelli, Judy Garland, Julie Andrews… J’aime ces femmes parce qu’elles ont toutes une dimension tragique. Même si elles n’ont rien à voir, je rapproche souvent Liza Minnelli de Piaf dans leurs excès. Des femmes qui n’hésitent pas à s’abîmer pour exprimer des choses fortes. Elles me bouleversent. En revanche, je suis beaucoup moins sensible à l’image de Broadway avec plumes, strass et grand escalier ! C’est du champagne, une gaîté qui me plait parfois mais peut aussi me donner la sensation d’être tellement volontairement artificielle vis à vis de la « vraie vie » qu’elle peut me donner le cafard !
Il faut tenir compte des goûts du public pour monter un spectacle mais pas se sentir uniquement soumis à cet aspect des choses. Ce que je trouve merveilleux c’est de parvenir à toucher les gens par la surprise. Dans le domaine de la chanson des gens réussissent cela formidablement comme Bashung, Brel, Barbara… D’ailleurs les plus grands ont tout d’abord choqués, gênés, ils ont mis du temps avant d’avoir la reconnaissance du public.
Notre spectacle se veut séduisant, nous espérons tous qu’il aura un joli goût !
Parlez-nous du Manège de glace, que vous avez écrit et interprété ?
Suite à M’as-tu revue, Pierre Médecin alors directeur de l’opéra comique m’a demandé de faire un spectacle autour de mes chansons. Il montait en parallèle une jeune troupe lyrique, il était donc très attaché à faire des choses avec des jeunes. Ce fut une chance extraordinaire. J’ai essayé de bâtir une histoire qui exprime tout ce qui ne peut pas se dire, tous les décalages, les empêchements, la limite de la parole, l’illusion de l’amour… traité sur le mode onirique. C’est la tranche de vie d’une femme, on ignore s’il s’agit d’un rêve, si l’histoire se déroule dans sa chambre de petite fille. L’intrigue trouve ses racines dans l’enfance. Ce fut compliqué car un chorégraphe contemporain a travaillé sur le spectacle, des choses de mise en scène n’allaient pas. Du coup, tout revoir avec Daniel Mesguisch représente ma plus belle expérience théâtrale. Sa mise en scène a été présentée avec succès à Los Angeles. Peut-être la reprendra-t-on à Paris si Monsieur Cardin le souhaite. D’ailleurs je l’appelle non pas Pierre Cardin mais Pierre Merlin l’enchanteur ! Lorsqu’il a des coups de coeur, il va jusqu’au bout comme les mécènes à l’époque de Louis XIV, c’est rare.