Etonnante histoire que celle de ce spectacle créé à Londres le 6 avril 1999. A l’origine, il y a bien sûr ABBA, le fameux groupe suédois rendu mondialement célèbre en 1974 après avoir gagné l’Eurovision. A l’époque, c’est la chanson « Waterloo » qui leur avait permis de remporter le concours. Cette chanson allait devenir numéro 1 en Angleterre et figurer dans le top 10 des meilleurs ventes aux Etats-Unis. A force de succès au hit parade, de concerts systématiquement complets et même d’une apparition au cinéma, ABBA est rapidement devenu un phénomène. Au cours de leur carrière, Agnetha, Benny, Björn et Anni-Frid ne vendront pas moins de 350 millions de disques.
En 1982, le groupe se sépare. Si Anni-Frid tente une carrière en solo, Agnetha se retirera de la vie publique. Benny Anderson et Björn Ulvaeus vont, eux, se lancer dans une nouvelle aventure. Ils rencontrent le parolier Tim Rice qui vient de mettre un terme à sa collaboration avec Andrew Lloyd Webber après un désaccord lors de la préparation de Cats. L’auteur de Jesus Christ Superstar et Evita propose aux deux musiciens de participer à la conception d’un spectacle situé dans le milieu des échecs. Chess — c’est le nom de cette comédie musicale — permettra à Anderson et Ulvaeus d’intégrer le monde du théâtre musical anglais tout en signant deux tubes supplémentaires, « I Know Him So Well » et « One Night In Bangkok ». Le spectacle rencontre un joli succès à Londres mais ne tient l’affiche que quelques mois à Broadway. C’est dans leur pays d’origine que les deux partenaires vont monter leur spectacle suivant. Kristina Fran Duvelama, une épopée musicale racontant le destin d’une paysanne suédoise émigrée aux Etats-Unis, reste, encore aujourd’hui, le plus gros succès pour une création musicale en Suède.
C’est la productrice Judy Craymer, qui avait travaillé sur Chess qui va avoir l’idée de créer une pièce de théâtre musical à partir des chansons les plus célèbres de ABBA. La difficulté principale résidait dans l’écriture d’une histoire suffisamment solide pour éviter au spectacle de devenir un simple inventaire des tubes du groupe. C’est Catherine Johnson, une auteur de théâtre plusieurs fois primée, qui signera le scénario de cette comédie musicale co-produite par Craymer, Richard East et Björn Ulvaeus lui-même. L’action se déroule sur une petite île grecque où Sophie, une jeune fille de 20 ans, s’apprête à se marier. Sa mère, Donna, qui fut dans sa jeunesse la vedette d’un trio musical, est à ses côtés. En revanche, son père est absent. Il se trouve que Donna n’a jamais su véritablement qui était le père de Sophie. Celle-ci fouille alors dans le journal intime de sa mère, y choisit trois anciens amants susceptibles d’endosser cette paternité et les invite à la noce. S’ensuit alors une série de péripéties qui conduiront Sophie et Donna à réfléchir sur leurs choix de vie. Loin de toutes référence à ABBA, Johnson propose donc une véritable comédie romantique contemporaine. A partie de cette trame, Johnson choisira avec l’aide d’Anderson et Ulvaeus, les chansons les plus appropriées pour chacun des personnages et chacune des situations. Au final, une vingtaine de chansons, qui vont de classiques comme « Dancing Queen » ou « The Winner Takes It All » à des compositions moins connues comme « Slipping Through My Fingers » et « Our Last Summer » constitueront la base de ce que Björn Ulvaeus appellera : « le musical que nous avons écrit sans nous en rendre compte ».
Phyllida Lloyd, connue pour son travail au National Theatre et dans le domaine de l’opéra, assurera la mise en scène du spectacle. Mark Thompson (Art) prendra en charge la réalisation de décors, Martin Kosh (Les Misérables), la direction musicale et Anthony Van Laast (Jesus Christ Superstar version télé), la chorégraphie. Pour la première au Prince Edward Theatre de Londres, les rôles principaux seront tenus par l’ex-vedette de Evita Siobhan Mc Carthy (Donna) et Lisa Stokke (Sophie). Le succès est immédiat et Mamma Mia! se joue à guichets fermés pendant plusieurs années. Le spectacle est toujours à l’affiche aujourd’hui, après avoir été transféré au Prince of Wales Theatre. Le 18 octobre 2001 a lieu, à Broadway, la première américaine de Mamma Mia!, avec Louise Pitre, inoubliable Fantine dans Les Misérables à Paris, en Donna et Tina Maddigan en Sophie. On note aussi la présence de Karen Mason (doublure de Glenn Close, Betty Buckley et Elaine Paige dans Sunset Boulevard) et Judy Kaye (créatrice du rôle de Carlotta pour la première américaine de Phantom of The Opera) qui incarnent les anciennes partenaires de Donna. Là encore, le spectacle, qui se joue au Winter Garden Theatre, fait un carton. Il obtiendra plusieurs nominations aux Tony Awards (meilleur musical, meilleur livret de comédie musicale et meilleure actrice dans un musical pour Pitre) et continue, à l’heure actuelle, à faire le plein. Mamma Mia fera le tour du monde, de l’Allemagne au Canada, en passant, bien sûr, par la Suède et, aujourd’hui, Paris. Plus de trente ans après l’Eurovision, les chansons d’ABBA n’ont pas fini de faire parler d’elles.