Après avoir franchi la porte de l’entrée des bureaux (mais aussi des artistes !) du Palais des Sports, je me retrouve rapidement dans les coulisses quasiment vides. Et pour cause : toute la troupe répète sur la scène. Comme on ne peut pas traverser le plateau, il faut d’abord monter une échelle dans le plus grand silence en faisant attention aux câbles qui pendent, puis parcourir quelques mètres de couloir avant d’accéder à la salle de 4 000 places. Quelques journalistes, des photographes et une équipe de télé assistent à la répétition mais également Lionel Florence, co-auteur des textes, et…madame Obispo sans Pascal, retenu par la préparation et la promotion de sa tournée.
Un décor de péplum
En entrant dans la salle, on se trouve face à une scène immense et un décor grandiose pour le moins pharaonique qui ne peut pas laisser insensible. Certains le trouveront peut-être trop pompeux, tape-à-l’œil, mais on a rarement vu un décor d’une telle dimension dans une production française. Conçu par Giantito Burchiellaro et Luigi Machione, il mesure 20 mètres de largeur pour une profondeur de 40 mètres. C’est un « trois-en-un » : à gauche, la richesse et le clinquant de la cour de Ramsès (un trône doré et incrusté de pierres sous la tête géante d’une statue de pharaon étonnante de vérité) ; à droite, la misère et le dépouillement des Hébreux et au centre, un large plateau avec mur et colonnes où se déroulent les mouvements de foules et les affrontements. Trois écrans géants, parfaitement intégrés en fond de scène et à chaque extrémité du décor, sur lesquels sont projetées des images tournées en Israël et en Égypte cet été par Élie Chouraqui, le metteur en scène, donnent de la luminosité et encore plus d’envergure et de profondeur au décor.
C’est dans ce décor de péplum, qui est déjà monté depuis mi-août, que répète la troupe des Dix Commandements. Il fallait bien une scène aussi grande car ils sont nombreux : neuf chanteurs solistes, six choristes/doublures, trente-six danseurs, un figurant et deux acrobates. Ils évoluent déjà dans les conditions du spectacle : les micros branchés, maquillés et en costume. Et quels costumes ! Créés par Sonia Rykiel, leur fabrication a demandé six mois de travail à cinq personnes. Il faut dire qu’on en dénombre pas moins de 220, c’est à dire deux à cinq tenues par rôle ! Les artistes répètent avec eux depuis mi-septembre. À la fois simples et raffinés, traditionnels et modernes, ces costumes apportent beaucoup à l’esthétique du spectacle.
Le but des dernières répétitions est bien sûr de préciser certains points de mise en scène mais surtout de régler les lumières, séquence par séquence. Aujourd’hui, j’assiste à plusieurs filages des cinq premières chansons du deuxième acte (« Celui qui va », « Mais tu t’en vas », « C’est ma volonté », « Laisse mon peuple s’en aller », « À chacun son glaive »). Pas d’orchestre à l’horizon, les chanteurs chantent live mais, hélas, sur une bande-son, pour des raisons économiques sans doute. Toutefois, c’est le premier spectacle en « son cinéma » et ça se sent… jusque dans les fauteuils que les basses font légèrement vibrer. Peut-être l’effet ne sera-t-il pas le même quand la salle sera pleine !
Un metteur en scène à l’écoute
De son pupitre au milieu de la salle, Élie Chouraqui mène la répétition d’une main de maître. Avant de commencer un filage, il rappelle à l’ordre tout le monde : « Je veux qu’on fasse le silence partout, personne ne bouge dans la salle, tout le monde est assis » ou encore « Personne derrière les écrans, sinon mes nerfs vont lâcher et vous avez vu ce que ça donne ! » Pourtant on a bien du mal à imaginer Élie Chouraqui piquant une colère et « martyrisant » ses artistes. Son calme, sa gentillesse et son humanité font l’unanimité. Et puis son professionnalisme est loué par tous. Il n’a donc pas besoin de lever beaucoup la voix pour se faire respecter. Pendant les filages, il observe, prend des notes mais n’intervient jamais sauf une fois, avant une scène, il demande à Daniel Lévi (Moïse) d’essayer un autre costume. Celui-ci revient avec un superbe manteau en cuir souple qui semble satisfaire son metteur en scène : « C’est mieux, ça va mieux dans l’émotion ». Soudain Johnny débarque sur la scène et passe tranquillement devant Daniel Lévi pendant qu’il chante ! Non, il ne s’agit pas de notre rockeur national qui se serait trompé de comédie musicale (Les Mille et Une Vies d’Ali Baba de son producteur Jean-Claude Camus, c’est au Zénith), mais du chien fidèle d’Élie Chouraqui qui est devenu la mascotte de toute l’équipe. En tout cas, cela illustre bien le climat détendu des répétitions. Du travail mais pas de stress inutile. À la fin de chaque filage, le metteur en scène quitte son pupitre et monte sur le plateau. Il va voir individuellement chacun des comédiens-chanteurs pour leur faire part des remarques qu’il a notées et leur donner des indications précises. Il les appelle par le nom de leur personnage « Où est Ramsès ? ». Le chorégraphe Kamel Ouali, qui apporte une efficace contribution à la mise en scène, fait de même avec les danseurs pour la plupart en sueur. Il faut dire que certaines chorégraphies demandent une sacrée forme physique !
Après chaque filage, pendant qu’on règle les lumières sur le plateau mais aussi la projection des images sur les écrans, les artistes ont droit à une pause plus ou moins longue. Certains restent sur la scène pour revoir leurs déplacements ou travailler les enchaînements de leur chorégraphie. D’autres font part de problèmes techniques, comme Anne Warin (Yokébed) qui, alors qu’elle vient de chanter « Laisse mon peuple s’en aller » et que son micro est encore branché, s’adresse à l’ingénieur du son : « À la fin avec les chœurs, je ne m’entendais plus dans l’oreillette, j’ai chanté faux ! » Aussitôt Daniel Lévi (Moïse) et Ahmed Mouici (Ramsès) viennent la rassurer et lui donner des conseils. Il existe une incontestable solidarité et fraternité au sein de la troupe. Avant de quitter le plateau, Lisbeth Gudbaek (Bithia), quant à elle, arrange l’ourlet de sa magnifique robe. Eh oui, ça arrive même aux robes Sonia Rykiel !
Pharaon boit du Coca !
Pendant la pause la plus longue, toute la troupe se retrouve en coulisse derrière la scène. C’est la pause « casse-croûte ». Des sandwichs ont été préparés. Un distributeur de boissons est également à leur disposition. Avouez que ce n’est pas tous les jours qu’on a l’occasion de voir un pharaon en costume d’apparat prendre un Coca ! Les artistes en profitent pour se détendre, se défouler, plaisanter ou tout simplement se reposer dans leur loge. Certains d’entre eux, assis par terre et plein d’entrain, improvisent un superbe « Oh Happy Day » a cappella et à plusieurs voix. Si, pour la plupart cette pause est un vrai moment de détente, pour Daniel Lévi, premier rôle oblige, c’est plutôt un marathon des interviews ! Il nous reçoit dans sa loge, entre une équipe de M6 et une autre de RTL. Et un peu plus tard, il doit partir afin de participer à l’enregistrement d’un « Tapis Rouge » sur France2. Pascal Obispo (compositeur des Dix Commandements) l’y a convié pour chanter un duo avec lui.
Du coup, la répétition reprend sans lui. C’est l’occasion de découvrir sa doublure, celui qui le remplacera toutes les soirées du vendredi et les matinées du samedi. Il s’appelle Joshaï. On remarque immédiatement de fortes similitudes dans l’aspect physique mais ce qui frappe encore davantage c’est la voix. Incroyable mais c’est pratiquement la même ! Il est moins à l’aise dans les déplacements que Daniel Lévi, ce qui est normal, il répète moins souvent le rôle. Mais le metteur en scène et le chorégraphe sont très compréhensifs et l’aident beaucoup.
Tout le monde semble satisfait du travail effectué, particulièrement Élie Chouraqui qui lance aux artistes un chaleureux et paternel « c’est bien les enfants, bravo ! ».