Making of Da Vinci — Da Vinci côté coulisses

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La troupe de Da Vinci © Thierry Quinson
La troupe de Da Vin­ci © Thier­ry Quinson

En ce début d’après-midi, cer­tains mem­bres de la troupe pren­nent un café à la brasserie située en face du Casi­no de Paris. Ce moment de détente n’est que de courte durée, il est déjà temps de rejoin­dre les autres dans la salle de répéti­tion. Grande, dépouil­lée, très haute de pla­fond, avec un pan de mur entière­ment recou­vert d’un miroir pour que les artistes puis­sent se voir évoluer, cette salle impres­sionne. Côté rue, un immense vit­rail laisse pass­er les rayons du soleil et donne une belle lumi­nosité à la pièce mais aus­si quelques degrés en trop !

Dans une ambiance décon­trac­tée, les comé­di­ens-chanteurs s’échauf­fent : étire­ments, révi­sions des textes, vocalis­es. Les danseurs tra­vail­lent inlass­able­ment une exigeante choré­gra­phie avec d’au­tant plus de mérite qu’il fait une chaleur étouf­fante. David Chabert, le cap­i­taine de troupe, m’ex­plique alors que si les seize comé­di­ens-chanteurs de la troupe font par­tie du pro­jet depuis sep­tem­bre 1999, huit « vrais » danseurs ont été engagés plus récem­ment pour « gag­n­er de la force au niveau des bal­lets ». Mais comme sur Da Vin­ci toutes les voix seront live (pas de choeurs préen­reg­istrés), cer­tains des comé­di­ens-chanteurs assurent aus­si par­faite­ment la plu­part des chorégraphies.

Un assis­tant-choré­graphe nom­mé Olivi­er Bénard 
L’un d’eux, qui met au point un porté avec sa parte­naire, n’est autre qu’O­livi­er Bénard, le Adam de Sept filles pour sept garçons aux côtés de Lio l’au­tomne dernier aux Folies Bergère (ou si vous préférez le Yann de la série culte de TF1 Sous le soleil !). Sur Da Vin­ci, il a une dou­ble cas­quette. Il fait par­tie de la dis­tri­b­u­tion puisqu’il inter­prète entre autres le gar­di­en du Lou­vre et un moine mes­sager, mais il a un autre rôle impor­tant qu’il a l’air de bien appréci­er, celui d’as­sis­tant-choré­graphe. Il éla­bore tous les bal­lets avec la choré­graphe Odile Bastien, sa com­pagne. « C’est beau­coup de tra­vail, on a un tim­ing très ser­ré pour met­tre au point les nom­breuses choré­gra­phies du spec­ta­cle ». Faisant allu­sion à sa précé­dente comédie musi­cale dont il garde un sou­venir ému, il pré­cise « On sera bien loin de l’am­biance folk­lorique et bal de vil­lage de Sept filles pour sept garçons ! ». Et il a sacré­ment rai­son à en juger par la séquence que présen­tent les danseurs au met­teur en scène. Celui-ci sem­ble d’ailleurs très sat­is­fait par cette choré­gra­phie pour le moins physique. Mais comme deux fois valent mieux qu’une, « on se la refait une petite fois ! ». Et c’est repar­ti pour une bonne séance de sauna !

Arrive alors une équipe de télévi­sion qui vient réalis­er un reportage pour le Jour­nal de 13 heures de France 2. Quand on sait les dif­fi­cultés pour exis­ter médi­a­tique­ment pour un spec­ta­cle comme celui-ci, un peu hors normes, la présence d’une caméra est la bien­v­enue. Et tant pis si ça doit per­turber quelque peu la répéti­tion. Mais très vite, l’a­cous­tique pose prob­lème au pre­neur du son. Qu’à cela ne tienne, toute la troupe se déplace dans une autre salle de répéti­tion située à quelques mètres du Casi­no de Paris. Et là, sous la direc­tion effi­cace du chef de choeur Michel Barouille, les comé­di­ens-chanteurs de la troupe enton­nent deux extraits du spec­ta­cle. Il n’y a rien à dire, c’est par­faite­ment réglé. Attirés par la puis­sance des voix et la beauté des har­monies, quelques jeunes artistes en herbe qui répè­tent dans des salles avoisi­nantes, vien­nent écouter leurs aînés (d’à peine quelques années). La jour­nal­iste de France 2, inter­viewe Mar­co Vale­ri­ani (Vin­ci), Léa La Lib­erté (Caterina/Mona Lisa) et Chris­t­ian Schit­ten­helm. Pour le reste de la troupe, c’est fini pour aujour­d’hui. Cette demi-journée de répéti­tion n’au­ra pas fait avancer beau­coup la mise en scène, mais un sujet au JT vaut bien une petite entorse au planning !

Pas tou­jours facile de se comprendre 
Pour en voir plus, une deux­ième journée avec la troupe de Da Vin­ci ne se refuse pas. En ce lun­di de Pen­tecôte, la répéti­tion a bien lieu. Pas de jour férié pour les artistes ! Pour­tant lorsque j’ar­rive, il n’y a pas grand monde. Patrice Blan­chard, le régis­seur général, m’in­forme que les danseurs ont répété dans une autre salle tout le matin le bal­let « The Wings of Light » et que cet après-midi, il est prévu un filage (répéti­tion en con­tinu de tous les tableaux) qua­si-com­plet de Da Vin­ci mais sans eux.

Le met­teur en scène ne cache pas son agace­ment devant le manque de ponc­tu­al­ité de cer­tains artistes, il en fait part au cap­i­taine de troupe. S’en­gage alors entre eux une con­ver­sa­tion « mise au point ». Comme dans toute troupe, il y a des inter­ro­ga­tions, des petits con­flits rela­tion­nels. David Chabert m’ex­plique alors que son rôle de cap­i­taine de troupe qui con­siste à servir de lien entre les comé­di­ens et le met­teur en scène n’est pas tou­jours bien com­pris par ses parte­naires pour la plu­part Cana­di­ens. « Ils n’ont pas les mêmes habi­tudes de tra­vail, ni les même con­cep­tions de la hiérar­chie, ils me deman­dent sou­vent de quel côté je suis ! ». Mais rien de grave, il suf­fit de s’ex­pli­quer. Et puis, out­re leurs qual­ités humaines, il loue leur pro­fes­sion­nal­isme et leur capac­ité de concentration.

Quand tout le monde est enfin là, il faut « check­er les essayages de per­ruques » ! En d’autres ter­mes, il s’ag­it de régler le plan­ning de pas­sage chez le per­ruquier. Tous les comé­di­ens doivent y aller dans la semaine. Sur cette pro­duc­tion, le met­teur en scène tient à ce que les artistes aient au max­i­mum l’ap­parence des per­son­nages de la Renais­sance qu’ils inter­prè­tent. C’est d’ailleurs pour cette même rai­son que la créa­tion de la cen­taine de cos­tumes a été con­fiée à un spé­cial­iste du genre, Bernard Hourit, qui a longtemps tra­vail­lé pour l’Opéra de Paris. Tous les cos­tumes sont ter­minés et, pour ce que j’ai pu en voir, le résul­tat est à la hau­teur des espérances.

Que le filage commence ! 
Après les per­ruques et des ques­tions d’in­ten­dance vite réglées, le filage peut enfin com­mencer. Tout le monde se met en place pour le pre­mier tableau. En atten­dant que les décors sor­tent des ate­liers d’Alain Paroutaud, chef déco­ra­teur sur les films de Luc Besson, quelques chais­es et un banc fer­ont l’af­faire ! La musique démarre et dès les pre­mières notes on est plongé dans l’at­mo­sphère du spec­ta­cle. Les tableaux s’en­chaî­nent. Chris­t­ian Schit­ten­helm inter­vient régulière­ment pour pré­cis­er un déplace­ment, un geste, un regard, une inten­tion. Même si les danseurs ne sont pas présents, la choré­graphe Odile Bastien est là aus­si et donne par­fois son avis, notam­ment sur les atti­tudes et les mou­ve­ments cor­porels. Les comé­di­ens sont à l’é­coute et ne rechig­nent jamais lorsqu’ils doivent repren­dre une même scène plusieurs fois. On reste sérieux mais tou­jours dans la bonne humeur. Ils n’hési­tent pas à exprimer par­fois leurs doutes au met­teur en scène, comme Mar­co Vale­ri­ani qui lui dit « Je ne me sens pas très con­fort­able là, Chris­t­ian ». Si Chris­t­ian Schit­ten­helm se dépar­tit rarement de son calme, il lui arrive tout de même de lever le ton et d’a­pos­tro­pher sa troupe. A la fin d’un tableau illus­trant une péri­ode de guerre, jugeant la sor­tie des comé­di­ens un peu « légère », il leur lance : « Ne partez pas comme ça ! Vous n’êtes pas sur Le Lac des cygnes ! ».

Mal­gré la mau­vaise acous­tique, les voix solistes ressor­tent par­ti­c­ulière­ment bien et parvi­en­nent pra­tique­ment tou­jours à cou­vrir la musique. Il faut dire que cer­tains comé­di­ens-chanteurs ont quelques années de lyrique der­rière eux et d’autres ont déjà don­né de la voix dans des comédies musi­cales et pas des moin­dres. Ain­si Eve Mont­petit, l’une des sym­pa­thiques québé­cois­es, m’in­ter­pelle : « Eh, tu sais que nous autres là, on est trois à avoir joué dans Les Mis­érables à Toron­to et Mon­tréal ! Frayne (Mac Carthy) c’é­tait Mar­ius, Nor­man (Robert) jouait Enjol­ras et moi, Epo­nine ». Le résul­tat est bien là, s’il y a une chose qui ne fait pas de doute, c’est la qual­ité vocale de la plu­part des interprètes.

Sol­i­dar­ité et bon esprit 
Après chaque tableau, les comé­di­ens qui n’y par­ticipent pas applaud­is­sent sincère­ment leurs cama­rades. Mar­co Vale­ri­ani est même car­ré­ment ova­tion­né à la fin de son inter­pré­ta­tion d’un des airs les plus émou­vants du spec­ta­cle « Adieu ma Toscane », ce qui sem­ble d’ailleurs le gên­er. La troupe est très sol­idaire, tout le monde s’en­cour­age et se donne des con­seils. Il y a vrai­ment un bon esprit. C’est déjà le tableau final, Léa La Lib­erté entraîne toute la troupe « Dans une autre vie », le dernier choeur. Les comé­di­ens se lâchent un peu et, le rythme aidant, impro­visent dans un fou rire une chorégraphie…finalement pas si mal !

Le compte à rebours a com­mencé. Le plus gros du tra­vail de mise en scène est réal­isé. Reste à régler cer­tains détails et surtout à finalis­er les choré­gra­phies. La dernière semaine avant la pre­mière, Chris­t­ian Schit­ten­helm espère pou­voir faire qua­tre filages par jour dans les con­di­tions du spectacle.
Alors que ses comé­di­ens décom­pressent, chahutent entre eux, inter­ro­gent la mes­sagerie de leur portable, il les remer­cie pour leur tra­vail sans oubli­er de leur rap­pel­er une nou­velle fois qu’ils doivent être à dis­po­si­tion tous les jours de 10h à 18h…que ce soit pour tra­vailler ou pour essay­er des perruques !