Depuis les années 60, le divorce par consentement mutuel a été prononcé entre Hollywood et Broadway. Peu de spectacles de théâtre musical américain intéressent réellement les grands studios. Mais ceci ne signifie aucunement que le théâtre musical ait disparu. Même si les journaux français n’en parlent guère, il y a Outre-Manche et Outre-Atlantique une créativité immense et une activité intense. Un rapide regard sur les pays voisins de la France constaterait aussi une vitalité étonnante en Allemagne, Belgique, Espagne. Les exceptions restent l’Italie, encore marquée par l’Opéra, et la France.
Parler l’anglais, même rudimentaire, permet d’accéder à des spectacles de qualité. La connaissance du résumé de l’histoire suffit souvent. Pourquoi alors ne pas commencer avec un « musical » (comme disent les anglophones) comme Les Misérables, d’après Victor Hugo (ce dernier a aussi inspiré Notre Dame de Paris). Ce spectacle a d’ailleurs été écrit et composé par un tandem français: Claude-Michel Schönberg et Alain Boublil. Ils connaissent une gloire immense hors de l’hexagone, alors qu’ils restent inconnus sous les cieux français. Les Misérables (depuis 1985 et toujours à l’affiche) constituent un spectacle stupéfiant. L’histoire est connue. On suit le destin de Jean Valjean en quête d’intégration dans une société qui rejette les forçats. On vit des histoires d’amour heureuses et malheureuses et on traverse la révolution idéaliste de 1832 L’oeuvre joue sur plusieurs niveaux: Les destins individuels des nombreux personnages qui ont chacun leur caractérisation théâtrale et musicale, et l’arrière plan historique incarnés par de valeureux héros anonymes. Les moments forts se succèdent, mêlant les moments intimistes et des scènes d’ensemble. Le devant de la scène est occupé successivement par les nombreux protagonistes qui ont chacun leurs morceaux de bravoure. Les mélodies superbes s’enchaînent merveilleusement en maintenant une haute qualité durant 3 heures. Après avoir vu Les Miz (comme les appellent leurs fans), on peut déjà confirmer si on aime ou non le théâtre musical d’expression anglaise.
Les classiques de la scène londonienne
Le répertoire récent anglophone compte des spectacles qui tiennent le haut de l’affiche depuis plusieurs années simultanément à Londres et New-York. Des mêmes Schönberg et Boublil, Miss Saigon (1989) a conforté les auteurs au firmament du théâtre musical.
Du coté des anglais, Cats de Andrew Lloyd Webber attire les foules depuis près de 20 ans. Ses auteurs avisés le sous-titrent aujourd’hui « Now and Forever » (maintenant et pour toujours), car son succès ne faiblit pas. Tout le monde connait au moins « Memory », popularisé par Barbra Streisand.
Du même auteur, Phantom Of The Opera est le « musical » de la déclaration d’amour. Son romantisme débridé et tragique facilite les déclarations enflammées dans le noir des représentations. Les mélodies sont faciles d’accès et d’une grande beauté. La mise en scène est spectaculaire et séduisante. Ces titres constituent des valeurs sûres pour l’initiation. Les amateurs expérimentés retournent aussi les voir de temps à autres. Et ils constatent que ces spectacles fonctionnent toujours comme la première fois. Ceci explique que ces affiches fassent le tour du monde avec succès et ont un statut de comédies musicales d’initiation.
Les auteurs et oeuvres cités plus haut émanent de la scène londonienne. La capitale anglaise a en effet montré un renouveau époustouflant depuis 25 ans environ, coïncidant avec l’ascension fulgurante du compositeur Andrew Lloyd Webber et du producteur Cameron Mackintosh. Ce rayonnement a atteint la scène new-yorkaise. Les grands succès d’outre-Manche deviennent également les succès de Broadway… au grand dam des créateurs et artistes américains d’ailleurs. Mais l’inverse est également vrai. Broadway a également ses spectacles à succès qui franchissent l’Atlantique dans l’autre sens. Mais ils tiennent moins longtemps. En simplifiant, les européens élaborent des spectacles séduisant à longue durée de vie alors que les américains intellectualisent leur shows. Ceci qui leur confère une vie plus courte car ils sont davantage liés aux phénomènes de mode. Ironiquement, la situation de concurrence entre les anglo/français et les américains se présente à l’inverse de ce qu’on observe pour le cinéma. Les reproches que les amateurs de théâtre américain adressent aux européens sont les mêmes que ceux que les défenseurs du cinéma européens adressent à Hollywood : manque de substance, trop d’effets spectaculaires et faciles… c’est l’éternel débat entre le divertissement et le cérébral. Quoiqu’il en soit, la rivalité des deux cotés de l’Atlantique est féroce mais elle profite largement au spectateur. Il est indéniable que les spectacles des européens Andrew Lloyd Webber et Boublil/Schönberg ont ramené un large public dans les théâtres de Broadway qui se languissaient dans les années 70. Depuis 1980, Broadway a fini par retrouvé un rythme de croisière entre créations de nouveaux spectacles, reprises, et les succès confirmés de Londres.
Réservé aux accros…
Dans le domaine de la création américaine, un nom est incontournable: Stephen Sondheim. Il crée depuis plus de 30 ans. Ses spectacles, dont il écrit paroles et musiques, hormis à ses débuts (il est le parolier de West Side Story), sont des événements. Sondheim a imposé un grand-écart à Broadway : il a hérité de l’expérience d’un grand maître, Oscar Hammerstein II (à l’origine des grands succès populaires comme Oklahoma !, South Pacific et La mélodie du bonheur) mais il a choisi la voix de l’hyper-sophistication, en composant sur des livrets intellectuellement très ambitieux. Pour qui accepte l’effort de solliciter ses neurones, le résultat est effectivement gratifiant, d’autant que musique et paroles sont superbes et parfaitement intégrés au texte. Cependant le public américain lui-même ne suit pas toujours ce créateur qui évolue hors des sentiers battus. Les curieux essaieront Into The Woods et Follies. Attention, une fois qu’on est mordu, c’est toute la discographie de Sondheim qui risque de se frayer un chemin vers votre discothèque.
Dans le domaine des valeurs sûres, les reprises, ou « revivals » concernent essentiellement les grands maîtres des années 30 à 60. Les spectacles ayant fait l’objet d’une adaptation au cinéma seront bien sûr privilégiés. Les grands noms qui reviennent de manière récurrente sont Irving Berlin (Annie Get Your Gun), Rodgers et Hammerstein (voir plus haut), Jerome Kern (Show Boat), George et Ira Gerschwin (Lady, Be Good !, Porgy and Bess), Lerner et Loewe (My Fair Lady, Camelot), Cole Porter (Anything Goes, Kiss Me, Kate). Lors de ces reprises, les metteurs en scène s’attachent à faire du neuf avec de l’ancien. Ils doivent naviguer habilement entre la référence de la production originale et une actualisation nécessaire pour le nouveau public espéré nombreux. Les « revivals » occasionnent donc rarement de mauvaises surprises.
Récemment un nouvel acteur majeur a fait son entrée: Disney. Les dessins animés ont rencontré l’énorme succès qu’on connaît depuis la fin des années 80, grâce aux talents de Broadway notamment. Le tandem auteur/compositeur Howard Ashman/Alan Menken est issu de ce monde, ainsi que les voix des personnages. Il n’en a pas fallu davantage pour que l’adaptation sur scène ait lieu avec La belle et la bête, puis Le roi lion. De la même façon que pour les reprises, l’adaptation des dessins-animés capitalise sur l’oeuvre initiale largement connue pour attirer le public. Mais Disney essaie toutefois de le surprendre en proposant des relectures originales, notamment pour Le roi lion.
Le succès de certains spectacles français, comme Starmania ou Notre Dame de Paris, est immense mais ces réussites sont encore rares. A l’heure des échanges internationaux, il est donc aisé d’accéder à ces grandes villes culturelles que sont Londres et New-York. On fustige parfois les Américains pour leur impérialisme culturel, mais il est un domaine dans lequel ils excellent discrètement : le théâtre musical. Les grands films musicaux passés et présents ont montré leur ébouriffante vitalité d’acteurs chantants et dansants. Si vous passez à Londres ou à New-York, allez voir cela sur scène. Avec l’authenticité et l’intimité du théâtre, c’est simplement magique !
Les oeuvres et les créateurs cités dans l’article :
Andrew Lloyd Webber
Evita (1979): Un film est sorti en 1996 réalisé par Alan Parker, avec Madonna, Antonio Banderas et Jonathan Pryce. Disponible en vidéo.
Cats (1981): Voir la représentation filmée spécialement pour la vidéo, éditée en 1998.
Le fantôme de l’opéra (1987): Commencer par le CD des extraits qui contient la sélection des meilleures chansons.
Alain Boublil et Claude-Michel Schönberg
Les Misérables (version originale française 1980, version londonienne 1985). Existe en plusieurs versions CD. En français, il y a la version originale de 1980, et l’enregistrement correspondant aux représentations de 1991 à Paris. Il y a ensuite les versions londoniennes, de Broadway. Les amateurs d’exhaustivité ou de curiosités peuvent ensuite parcourir la planète pour acquérir les CD des adaptations pour différents pays. Enfin il y a une fabuleuse vidéo anglaise (en PAL) du concert du 10e anniversaire avec une distribution de rêve pour les connaisseurs du théâtre musical anglais.
Miss Saigon (1989). La version de la distribution d’origine à Londres avec la merveilleuse chanteuse Lea Salonga s’impose. Cette dernière a été remarquée par Disney qui lui demandé depuis d’interpréter les voix américaines chantées de Jasmine dans Aladdin et Mulan dans le film éponyme.
Stephen Sondheim
Follies (1971). Pour une initiation aisée, commencer par le concert de 1986 en 2 CD.
Into The Woods (1987). S’intéresser au CD de la distribution d’origine de Broadway. Le spectacle a été filmé et existe en vidéo américaine (NTSC). Si vous accrochez, essayez …
Sunday In The Park With George qui existe aussi en vidéo. Ce spectacle est certainement le plus intellectualisant et le plus séduisant qu’ait produit Broadway.
Irving Berlin
Annie Get Your Gun (1946). Le plus grand succès du compositeur, grand faiseur de tubes de l’âge d’or de Broadway. Un reprise prestigieuse est en cours depuis cette année à Broadway.
Richard Rodgers et Oscar Hammerstein II
Oklahoma ! (1943). Le premier succès du tandem. Fait l’objet d’une reprise à Londres en 1999.
Carousel (1945). A fait l’objet d’une reprise récente à Londres et Broadway.
Le roi et moi (1951). Le cinéma vient d’en faire une adaptation en dessin animé qui sort en France en juillet 1999. Pour s’initier on préférera le film de 1956 avec Yul Brynner et Deborah Kerr .
La mélodie du bonheur (1959). Fait l’objet d’une reprise à Broadway depuis 1999. Le film, avec Julie Andrews, est très célèbre.
Disney
La belle et la bête (1994). Musique de Alan Menken, paroles de Howard Ashman, compléments de Tim Rice. Pour débuter on peut regarder le célèbre dessin animé du même nom.
Le roi lion (1998). Musique de Elton John, paroles de Tim Rice, chansons supplémentaires de Lebo M, Mark Mancina, Jay Rifkin, Julie Taymor et Hans Zimmer. Pour débuter on peut regarder le célèbre dessin animé du même nom. Une bonne façon d’initier les enfants au théâtre musical !
Vous pourrez ensuite enchaîner avec George et Ira Gershwin, Cole Porter, Lerner et Loewe et Jerome Kern. Et vous serez alors suffisamment initié(e) pour vous débrouiller…