Notre avis : Voilà une oeuvre qui prend à contre-pied le préjugé classique selon lequel la comédie musicale traite principalement de thèmes légers ou joyeux. Assassins, de Stephen Sondheim et John Weidman, est un musical mettant en scène une douzaine d’hommes et de femmes. Leur point commun et fil rouge du spectacle ? Ils ont tous essayé (avec ou sans succès) d’assassiner un président des Etats-Unis d’Amérique. Présenté à la Menier Chocolat Factory, l’espace scénique a été entièrement repensé avec une entrée dramatique via la bouche d’un clown géant un peu inquiétant, une scène centrale au niveau du sol et des gradins de part et d’autre. Deux immenses enseignes libellées « HIT » et « MISS » s’éclairent en fonction de la réussite (ou de l’échec) du protagoniste dans sa mission meurtrière. Le décor rappelle une fête foraine cartoonesque qui aurait tourné au drame.
Dans cette ambiance, les différents personnages défilent, se rencontrent, et tentent de prendre la vie. On en oublie parfois qu’il s’agit de faits réels, tant Sondheim et Weidman les rendent humains, avec leur faiblesse et leur folie. Mais l’histoire rattrape vite le spectateur à chaque mention de personnalité politique ou historique, ou même les passages radiophoniques diffusés pour les tentatives les plus récentes. La proximité des acteurs permet une immersion totale, mais le décalage avec la production visuelle (décors, costumes et maquillages : tous absolument parfaits) complètement surréaliste donne un certain recul sur les scènes les plus dures. Le metteur en scène Jamie Lloyd (Urinetown, Passion et Company au Donmar, entres autres) arrive à maintenir le bon équilibre entre inconfort et immersion.
La distribution absolument impeccable est menée par deux « têtes d’affiches », Catherine Tate (Doctor Who, The Office) en Sara Jane Moore (qui essayé de tuer le Président Ford en 1975) et Aaron Tveit (Next to Normal, Catch Me If You Can, Les Misérables) en John Wilkes Booth (assassin d’Abraham Lincoln), mais le reste de l’équipe est tout aussi méritante. Simon Lipkin (Avenue Q, Spamalot) porte une bonne partie du show dans le rôle (fictif) du Propriétaire, et Jamie Parker passe très subtilement du Balladeer à Lee Harvey Oswald. Si subtilement qu’on ne peut s’empêcher de penser en sortant de la pièce qu’un assassin n’est au fond qu’une personne comme les autres.
Clairement, Assassins donne à réfléchir… Et le thème n’aura pas fait peur aux Anglais. Cette production off-West End affichait déjà complet des semaines avant l’ouverture, et même si l’on espère un transfert, il n’est pas sûr que la mise en scène puisse s’adapter à un lieu plus grand. Le Menier n’est pas inconnu aux transferts à échelle plus importante (A Little Night Music, Merrily We Roll Along, La Cage aux Folles avaient commencé là avant le West End) mais le spectacle repose sur énormément de tension psychologique et la proximité des acteurs. De plus, le Menier a déjà annoncé toute sa saison, ôtant tout espoir d’une prolongation…
Vous pouvez toujours tenter les « returned tickets » le jour même, au box office deux heures avant chaque représentation.