
Liz Callaway est sans aucun doute une des plus jolies voix issues du théâtre musical américain avec un timbre d’une rare pureté lui ayant permis d’incarner de nombreuses princesses de dessin animé (Anastasia, par exemple).
Très jeune, Liz fait ses débuts à Broadway dans le légendaire musical de Stephen Sondheim, Merrily We Roll Along, cuisant échec public et critique tout en étant une des plus belles partitions du maître. A Broadway, on la verra également dans Miss Saigon, où elle crée le rôle d’Ellen, ainsi que dans Cats où elle incarne une poignante Grizabella.
Depuis ces dernières années, Liz se consacre principalement à ses concerts. Elle sera à Barcelone à la fin du mois pour une soirée dédiée à Stephen Sondheim.
Liz Callaway, vous êtes comédienne-chanteuse, votre soeur, Ann Hampton Callaway est chanteuse de jazz, avez-vous grandi dans un univers particulièrement musical ?
Ma mère est chanteuse et professeur de chant. Même si je n’ai jamais réellement pris de cours, j’entendais ma mère enseigner et d’une certaine manière, j’ai appris à travers elle. Mon père est journaliste et auteur, mais il chante également. On a donc toujours été entouré de musique à la maison : Broadway, jazz, classique, pop, un peu de tout. Je dis souvent aux gens que j’ai de bons gênes (rires). Je chante grâce à mon environnement familial !
Et puis, on allait souvent au théâtre avec mes parents. Le premier spectacle que j’ai vu à Broadway était Company, j’étais très jeune ! Et j’ai adoré.
Vous n’étiez pas un peu jeune pour voir Company ?
Quand j’ai vu le spectacle, je ne comprenais pas tout ce qui se passait mais je connaissais la musique par coeur, si bien que ça n’avait pas d’importance. Mes parents avaient acheté l’album au préalable et je l’avais mémorisé en entier. Je l’écoutais constamment, je dansais dans l’appartement… Plus tard, j’ai vu les deux revivals. Je ne me suis pas intéressée plus que ça au premier que j’ai vu [NDLR : 1995 avec Boyd Gaines et Jane Krakowski]. Je connaissais beaucoup de gens dans la distribution, et dans ma tête, tout le monde devait forcément être plus vieux que moi, puisque j’étais si jeune quand je l’ai vu pour la première fois ! Ca m’a un peu perturbée ! (rires)
La première fois que j’ai vraiment compris le livret et l’histoire, c’est en voyant le revival récent [NDLR : 2006, avec Raùl Esparza].
Quand avez-vous choisi de faire carrière dans le théâtre musical ?
En fait, j’étais très timide quand j’étais petite. Ca chantait beaucoup chez moi, mais moi, je ne voulais pas chanter devant qui que ce soit. J’aimais écouter des disques et chanter quand il n’y avait personne à la maison. Quand j’avais huit ans, je savais que j’avais une voix, mais je voulais faire quelque chose de complètement différent des gens de mon entourage. Je me disais : si ce que j’entreprends échoue, alors je me tournerai vers une carrière de chanteuse… ce qui est ridicule car on sait bien que c’est un milieu très difficile !
C’est au lycée, quand j’ai commencé à faire des spectacles, que j’ai réalisé à quel point j’aimais ça, pas tant pour le fait de chanter que pour l’aspect social, pour faire partie d’une troupe, pour ressentir cet esprit de famille.
Comment vous êtes-vous décidée à venir à New York pour tenter votre chance ?
Au départ, je suis allée à la fac à Cincinnati et pendant que j’y étudiais, on m’a proposé d’intégrer une troupe de théâtre musical en Californie. A 17 ans, j’ai quitté la fac, après seulement quelques mois, pour m’installer en Californie… mais ça n’a pas marché ! J’ai travaillé ensuite dans un parc d’attractions pendant six ou sept mois. Puis, ma soeur est venue me voir. Elle avait arrêté la fac après deux ans et avait décidé d’aller s’installer à New York. Je lui ai dit : « Je viens avec toi ! ». Ca n’a pas été une décision énorme, et du fait que j’étais avec elle, c’était beaucoup moins intimidant. Quand j’y repense maintenant, je me dis quand même que c’était incroyablement courageux de notre part. Mais à l’époque, on était très optimiste.
Je savais que j’avais des capacités, mais je savais aussi que j’étais encore très « verte » et qu’il me faudrait travailler beaucoup. Je ne me disais pas : « Je suis géniale donc je m’installe à New York ». J’ai pris des cours, j’ai énormément bossé mais j’ai aussi eu beaucoup de chance, celle d’être au bon endroit au bon moment. J’avais un objectif en arrivant : faire partie de l’ensemble d’un musical off-Broadway en moins de trois ans… bien sûr, il n’y a pas d’ensemble dans les spectacles off-Broadway ! (rires) Et j’ai fini par faire mieux et plus rapidement !
En 1981, vous avez fait vos débuts à Broadway dans Merrily We Roll Along, un des plus grands échecs de Sondheim, et en même temps, une de ses plus belles partitions. Que ressentiez-vous à l’époque ?
J’étais très excitée à l’idée de travailler avec Sondheim, surtout après avoir vu Company. Il était mon idole. J’ai dû passer cinq auditions pour ce spectacle, puis les répétitions ont été repoussées de neuf mois car Hal Prince [NDLR : le metteur en scène] devait mettre en scène un opéra, donc j’ai eu tout ce temps pour faire monter l’excitation. Nous étions tous très jeunes, mais pour ma part, je n’ai jamais été complètement naïve, et pendant les répétitions, je me disais : « Oh oh, ce spectacle a des problèmes ». Au moment de la première, je pensais que ces problèmes étaient résolus. Quand on joue dans un spectacle, quelles que soient les circonstances, à un moment, on doit croire que ce spectacle est bon. J’ai joué dans quelques fours, mais il y a un moment où on doit y croire quoi qu’il en soit. C’était vraiment très décevant de fermer aussi rapidement [NDLR : le spectacle a joué 52 previews et seulement 16 représentations] mais je pense aussi que c’était une première expérience à Broadway parfaite. Si j’avais d’emblée joué dans un énorme succès, je n’aurais pu que redescendre ensuite. Là, je travaillais avec les meilleurs, tout en prenant conscience de la réalité de ce milieu. Ce fut une grande expérience, avec beaucoup de hauts et de bas.
Qu’est-ce qui n’allait pas avec ce spectacle ?
Je ne sais pas… Je pense que le concept de faire interpréter des adultes par des jeunes gens lui donnait presque un côté spectacle de fin d’année. La narration à rebours pouvait aussi gêner certains.
Il y avait beaucoup de bonnes choses dedans… mais les gens détestaient ! Le bouche-à-oreille était tellement négatif. Je crois pourtant que le spectacle était bien meilleur que ce que les gens en pensaient réellement. Si ce spectacle avait été créé de nos jours, à l’ère d’Internet, cela aurait été pire. Aujourd’hui, on ne peut rien essayer sans que tout le monde le sache ! Mais j’aimais vraiment beaucoup ce spectacle.
Il y a quelques années, on a fait un concert exceptionnel réunissant la distribution originale et au cours duquel on a surtout interprété les chansons, et moins le livret. C’était superbe et le public a adoré. Aujourd’hui, les gens ont une réelle tendresse pour cette oeuvre, ils l’apprécient plus maintenant. Je suis sûre qu’il y aura un revival à Broadway dans les cinq prochaines années. Ce n’est peut-être pas le spectacle parfait… mais quel spectacle l’est ?
En 1991, vous avez fait partie du cast original de Miss Saigon, à Broadway, en créant le rôle d’Ellen. Quels sont vos souvenirs de cette production ?
C’est drôle, mais… mes souvenirs de cette époque ne sont pas liés au spectacle. Peu de gens le savent mais quatre semaines avant le début des previews, j’ai donné naissance à mon fils. J’ai eu un congé de maternité de deux semaines et je suis retournée au travail ! (rires) Donc, je manquais terriblement de sommeil, j’avais mon fils en loge, et je m’occupais de lui quand je sortais de scène. C’était une période un peu folle !
Concernant Miss Saigon, je n’avais pas vraiment le sentiment de « créer » un rôle puisque le spectacle avait déjà été fait à Londres et on avait en plus deux interprètes de la production originale : Lea Salonga et Jonathan Pryce.
C’est étrange comme sentiment : j’ai toujours voulu jouer dans un succès, et j’ai obtenu ce que je voulais, mais ce n’était pas aussi gratifiant que ce que j’avais imaginé. C’est comme si tout était déjà prévu à l’avance. Je suis ravie de l’avoir fait, et c’était une distribution et une équipe formidables, mais c’était une expérience différente. On savait que même si le spectacle ne recevait pas de bonnes critiques, ce serait un succès de toutes façons. C’était intéressant d’être sur un spectacle qui était prédestiné à triompher.
J’ai revu le spectacle quand on a fait une soirée spéciale pour la 4.000e représentation ou quelque chose comme ça, et je l’avais vu aussi à Londres avant d’auditionner. Je trouve que c’est un show génial mais je n’avais pas la même perception quand je jouais dedans.
C’était une situation très différente par rapport à Baby, par exemple [NDLR : comédie musicale de Maltby et Shire, créée en 1983 et pour laquelle Liz a été nommée aux Tonys], un projet plus intime sur lequel on a travaillé pendant des années, en espérant que les gens aiment, et au final, le spectacle ne rencontre pas le succès espéré.
Mais un peu comme Merrily, Baby est désormais culte.
Mais Baby a duré plus longtemps que Merrily, non ?
Baby a duré presque un an mais toutes les semaines, on pensait que le spectacle allait fermer. Si j’avais su que ça allait jouer aussi longtemps, j’aurais été plus détendue ! Les nominations aux Tonys nous ont beaucoup aidés et à la fin, on a eu un bon public. Mais le spectacle était peut-être un peu en avance sur son temps.

Plus tard, en 1993, vous avez rejoint la distribution de Cats pour incarner Grizabella. Comment cela s’est-il passé ? Qu’est-ce qui a motivé votre choix ?
Je me souviens que quand j’ai vu Cats, je me suis dit que ce n’était pas le meilleur spectacle que j’aie jamais vu… J’adore les chansons « Memory » et « Jellicle Ball », mais à part ça, je ne comprenais pas trop ! Puis, j’ai eu un appel pour passer une audition et j’ai un peu hésité. Mais, j’y suis allée… et j’ai fini par adorer le faire… plus que de le voir en tant que spectatrice ! Je l’ai fait de façon intermittente pendant plus de cinq ans. La production a été très généreuse avec moi et m’a permis de travailler sur d’autres projets parallèlement.
C’était un rôle intéressant et j’adorais chanter « Memory »… J’ai aussi plus ou moins élevé mon fils en coulisses durant ce spectacle. Quand on a un enfant, souvent, soit il faut arrêter de travailler, soit vous continuez à travailler mais vous ne le voyez pas. J’ai eu beaucoup de chance de pouvoir combiner les deux.
Figurez-vous que j’ai un chat maintenant et je me dis que si je l’avais eu à l’époque, j’aurais été bien meilleure dans ce rôle ! (rires)
Vous allez vous produire en concert à Barcelone, pour une soirée entièrement dédiée au répertoire de Sondheim. Comment s’est présentée cette opportunité ?
J’ai reçu un e‑mail via mon site. Une personne du théâtre me demandait si j’accepterais de venir à Barcelone pour chanter du Sondheim. J’ai répondu : « Bien sûr ! », je ne pouvais rien imaginer de mieux. Je vais donc y interpréter beaucoup de chansons que je n’ai jamais chantées auparavant mais que j’admire énormément.
Je ne sais pas si Sondheim est très connu là-bas, mais sa musique est si riche et sophistiquée que quelqu’un qui apprécie la musique aimera forcément. Toutes les paroles seront traduites par des surtitres donc j’ai dû faire ma sélection très en amont, bien plus que pour un concert normal.
Il y a une chanson que je vais interpréter juste pour rendre le responsable des sous-titres absolument fou, c’est « Getting Married Today » [NDLR : chanson extraite de Company au débit très rapide], j’ai hâte ! Ca va être drôle !
Je vais également chanter un extrait de Sweeney Todd en catalan, dont Sondheim m’a envoyé les paroles. J’ai vu Sondheim récemment, à la première du revival de Sunday In The Park With George. Il voulait savoir comment je m’en sortais avec le catalan. Je lui ai répondu : « J’apprends un vers par jour ! » (rires) et je suis sûre qu’une fois là-bas, les gens se diront : « Mais qu’est-ce qu’elle chante au juste ? ». C’est bien plus dur que je ne le pensais !
Comment avez-vous fait votre sélection ?
C’était incroyablement difficile, il y a même des spectacles dont je n’interprète aucun extrait. Par exemple, Sunday In The Park With George est un de mes Sondheim préférés, mais je n’en chante aucun extrait car je trouve que c’est particulièrement difficile de sortir les chansons de leur contexte. « Move On » est sublime, mais je ne l’aime pas tellement en tant que solo, elle n’explose pas de la même manière que quand elle est faite en duo. Il y a donc des chansons que j’adore mais que je ne ferai pas car elles ne se prêtent pas à cette soirée, et c’est frustrant. De même, il y a aussi beaucoup de duos magnifiques que je ne peux pas faire.
Il y aura en tout cas des extraits de Company, Merrily, Follies… J’essaye d’avoir un choix varié pour que la soirée soit un peu « éducative » mais avant tout, j’ai sélectionné des chansons que j’aime chanter et qui, à mon avis, représentent bien ses différents styles.
Même si c’est un duo, chanterez-vous « Barcelona » à Barcelone ?
Bien sûr ! Je dois le faire. D’ailleurs, Sondheim m’a dit : « Tu dois le faire ! ».
Qu’est-ce qui vous plaît particulièrement chez Sondheim ?
Il y a beaucoup d’auteurs-compositeurs que j’aime chanter mais l’oeuvre de Sondheim est tellement stimulante. C’est un défi mais dans le bon sens du terme. C’est tellement intelligent et en même temps, c’est un plaisir à chanter. Ca peut paraître étrange de dire ça, mais chanter du Sondheim vous vous sentez plus intelligent que vous ne l’êtes. C’est construit, spirituel, et en même temps, il y a une magnifique simplicité. C’est parfois dur de mémoriser les paroles, mais en même temps, tout est parfaitement cohérent. Et au final, c’est extrêmement gratifiant.
Il n’y a personne comme Sondheim, certains essaient de l’imiter mais il est unique.
Envisagez-vous de jouer à nouveau à Broadway ?
Le théâtre est ma première passion, mais j’ai réalisé ces dernières années que je ne voulais travailler que sur des projets que j’aimerais totalement. Et il n’y en a pas eu tant que ça qui m’ont été proposés. J’adorerais travailler sur une nouvelle production, créer un rôle… Etre la première personne à interpréter une chanson : il n’y a rien de tel ! Mais là, je me concentre sur mes concerts et c’est un art à part entière. Au départ, je pensais faire mes concerts entre deux comédies musicales, mais maintenant, c’est plutôt le contraire. Cependant, j’espère faire une magnifique comédie musicale dans un futur proche. En attendant, j’adore ce que je fais.
Quels sont vos projets ?
Je prépare un nouvel album, mais je n’en suis qu’au tout début. Je suis en train de choisir les chansons, ce sera très éclectique. J’adore enregistrer, être dans un studio.
Et puis, j’espère pouvoir me produire avec ce concert Sondheim dans d’autres villes. Un jour, j’adorerais chanter en France !
Pour plus d’informations sur les concerts de Liz Callaway à Barcelone, visitez le site du Gran Teatre del Liceu — Barcelona Opera House.