Comment avez-vous été engagée pour ce spectacle ?
On va remonter un peu dans le temps… Dans les années 50 j’ai fait du cinéma, j’avais un contrat avec la MGM. En 1979, je suis retournée à Hollywood avec le désir de tourner à nouveau dans des films. Je suis arrivée dans ma Cadillac avec mes trois chiens. Je ne connaissais plus personne, l’accueil ne fut pas à la hauteur de mes espérances. « Tant pis, je rentre en France ». De Los Angeles à Paris, c’est un long voyage. J’ai décidé une rapide escale à New York. À l’aéroport, j’appelle ma copine Jacqueline-Platoon-Stone (je l’appelle comme ça, car c’est la mère du réalisateur Oliver Stone). Elle m’a dit : « Mais tu es folle, reste au moins quelques jours ici pour voir des spectacles ». J’ai accepté et appelé mon agent, qui était encore vivant, dearest man, pour qu’il m’obtienne des places. Il m’informe d’une audition que je refuse. Je n’ai jamais auditionné de ma vie, je n’allais pas commencer ! Pourtant, je me laisse convaincre. Me voilà donc arrivant avec un manteau de fourrure qui traînait par terre, un chapeau bigger than life comme je les aime vers le centre de la scène. A capella, j’ai chanté « La Vie en rose » et suis repartie. Ça, ils en ont eu pour leur argent !!! Eh bien Tommy Tune, le metteur en scène du futur spectacle Nine, a contacté mon agent : « Je ne sais pas ce que je veux faire avec elle, mais j’aimerais avoir Miss Montevecchi dans le spectacle. » Du coup, je suis restée à New York. Cette audition quasi fortuite a changé le cours de mon existence. Souvent les choses sont une question de timing, en voilà un parfait exemple.
Quels souvenirs gardez-vous des répétitions ?
Les premiers jours, toutes les filles se reluquaient pour savoir qui allait faire quoi… C’est amusant car la scénographie prévoyait des blocs sur quatre rangs, on voulait savoir qui allait s’asseoir devant, derrière, ce qui correspondait à l’importance des rôles. Je me suis tout de suite bien entendue avec Karen Akers (qui interprète Luisa, la femme de Guido) parce qu’elle parlait français. Nous répétions sur la mythique 42e rue, dans le théâtre de Ziegfeld, aujourd’hui le New Amsterdam, racheté par Disney. Nous avions précisément élu domicile dans l’Amsterdam roof et il pleuvait… Nous répétions avec des parapluies ouverts, c’était divin. Cela vous donnait une atmosphère très fellinienne, parfait pour un show tiré de Huit et demi ! C’était extraordinaire… Je me souviens d’une fille qui a été renvoyée avant d’ouvrir le spectacle car elle était impossible, avec un sacré tempérament. Grande amie de Warhol, elle se faisait livrer des huîtres sans arrêt. Vous imaginez ces plateaux de fruits de mer qui arrivaient en pleine répétition… C’était tellement drôle. Je me souviens que je partais la dernière car je voulais rencontrer le fantôme du théâtre. Une des girls de Ziegfeld s’était tuée dans le théâtre et un régisseur m’avait parlé de son fantôme qui errait. Alors, après le départ de tout le monde, je déambulais dans les couloirs. C’était magique.
Si vous deviez définir cette époque ?
Le sentiment que j’en ai est une grande créativité : nous avions chacun notre mot à dire. Mon personnage est inspiré de ce que j’étais : je venais de terminer plusieurs années comme meneuse de revue aux Folies Bergère. Je me suis inspirée de Madame Martini, la productrice de ce théâtre, pour composer Liliane La Fleur. Tant pis pour le cliché, mais en l’occurrence il s’est avéré exact : cette création fut le fruit d’une grande harmonie, c’était un pari insensé. Lorsque Tommy m’a vue lors de l’audition, il a décidé de me donner le rôle de la productrice, rôle destiné à l’origine à un homme. Et c’est ce moment-là qu’il a eu l’idée d’un cast, à part le rôle principal, entièrement féminin. Ses producteurs ont refusé, Tommy a alors décidé qu’il arrêtait le spectacle. Cela a duré deux à trois semaines. Nous avions un contrat de répétition, mais nous ne savions pas si le show allait voir le jour. Tommy n’a pas bougé d’un iota et, finalement, les producteurs se sont inclinés, nous avons donc pu entamer les répétitions. J’ignorais cette anecdote, c’est Tommy qui me l’a racontée bien plus tard. Il a eu raison de suivre son instinct artistique. Son idée saugrenue a fait son chemin.
Parlez-nous de votre chanson : « Folies Bergère ».
Au départ, mon rôle était très petit. Un dimanche après-midi, Maury Yeston, le compositeur, me téléphone et m’invite à venir répéter. Un dimanche ? Il me dit : « Viens, j’ai une surprise. » J’arrive et trouve une petite boîte au milieu de la scène. Tommy était là ; évidemment, il avait une idée derrière la tête. Il me dit « Ouvre-la ! » Dedans se trouvait un boa de 25 mètres au moins. J’ai commencé à tirer là-dessus, j’ai tiré, tiré, j’étais comme une folle avec ce boa qui n’en finissait pas (il l’avait tellement entortillé !). Spontanément, j’ai crié « I love it, I love it ! », je me suis propulsée avec le boa en fond de scène. C’est comme cela que mon numéro a été créé. Maury Yeston a écrit « Folies Bergère » dans la foulée. Le numéro dans le spectacle est initié par Guido enfant qui m’apporte cette boîte sur la scène.
Avant sa premièrer, quel parcours le show a‑t-il eu ?
Après sept semaines de répétitions sous forme de workshop, nous avons donné trois représentations en preview dans notre petit théâtre sous les parapluies… Aucun costume, juste un pianiste nous accompagnait : nous avons joué pour des producteurs de Broadway. Tout de suite le show a plu, ils se sont bagarrés pour l’avoir, le ton était nouveau, very unusual. En plus, nous étions toutes très belles et très talentueuses dans des genres totalement différents. La distribution était extraordinaire, des voix fabuleuses. Une fois l’engagement pris, le contrat avec le théâtre signé, nous avons répété un mois encore avant d’ouvrir à Broadway. On a tout de suite ouvert à New York, nous n’avions pas l’argent pour roder le spectacle dans les villes traditionnelles.
Comment s’est passée l’opening night ?
Je ne m’en souviens plus, si ce n’est de l’accueil triomphal du public. Vous savez, ce show était un sacré pari, nous étions toutes et tous très concernés, en attente, dans une certaine angoisse. Je me souviens de cette soirée comme d’une grande émotion partagée avec toute la troupe. Nous n’étions pas très prétentieux, un palace ne nous avait pas été réservé pour la party suivant l’opening night ! Il régnait un véritable esprit de saltimbanque : nous ignorions alors que le show serait couronné par les Tony Awards et tout ça.
Vous avez donc remporté le Tony Award…
Et je n’en suis pas peu fière ! Nine était béni des dieux. En plus de ma Ferrari rouge offerte par un admirateur transi (comme dans les films, la bagnole entourée d’un énorme ruban m’attendait à la sortie des artistes !), me voilà récompensée par un Drama Desk Award (remis par les critiques) et le prestigieux Tony Award ! Le soir de la remise des prix correspondait à la fête des Mères. En entendant mon nom, prise au dépourvu, comme électrifiée je me précipite sur la scène en disant : « Maman, j’espère que tu es contente, c’est le plus beau cadeau que je puisse te faire pour la fête des Mères. » J’adorais ma mère. Du coup, j’ai oublié de remercier les personnes du show !!! Quand j’y pense… Mais j’étais véritablement dans un état second. Tommy Tune a reçu un Tony pour sa mise en scène, de même que Maury Yeston, William Ivey Long pour les costumes et… Nine, comme meilleur musical.
Avez-vous rencontré Fellini ?
Je connais tous les films de Fellini, je suis une grande admiratrice. Je l’ai rencontré, mais ce fut un peu par hasard… En effet, le maestro n’est jamais venu à Broadway voir le show. Je me promenais à Rome avec mon ami, nous passons devant sa maison, surprise, Fellini sort à cet instant précis. Bien entendu je lui saute au cou en lui disant « Monsieur Fellini, excusez-moi, je suis Liliane Montevecchi, je viens de terminer à Broadway Nine. » » Il était absolument enchanté, m’a demandé combien de temps je restais à Rome. Malheureusement, je devais repartir l’après-midi même. Alors il nous a invités à déjeuner. Quand je pense à mon culot, oser lui sauter sur le paletot… N’empêche, sans cela je ne l’aurais jamais rencontré ! On ne peut pas manquer des occasions comme ça…
Nine est de retour à Broadway. Hélas, je ne pourrai sans doute pas le voir. On m’a dit que la nouvelle production est très bien, ce qui me fait plaisir. C’est bien qu’ils aient fait cela, je suis contente. Il est important qu’une œuvre perdure dans le temps.