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L’événement Follies à Toulon : rencontre avec l’équipe

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Olivi­er Bénézech, met­teur en scène

Que représente Fol­lies pour vous ?
Pour moi, Fol­lies est l’une des dernières man­i­fes­ta­tions de l’âge d’or du musi­cal. Cette époque du « tout est pos­si­ble », où Broad­way savait alli­er l’enter­tain­ment au sérieux. Fol­lies se déroule dans un théâtre promis à la démo­li­tion, autour de stars usées qui font leur dernier show. Désor­mais, l’œu­vre est dev­enue mythique, juste­ment parce qu’elle écrit la fin de cet âge d’or, tant au niveau de Broad­way que de celui du rêve améri­cain qui s’ef­frite à cause du début des crises économiques.

Qu’est-ce qui vous plaît le plus dans cette œuvre ?
Ce qui me plaît, c’est l’im­mense qual­ité des lyrics et de la musique de Sond­heim, et du livret de Gold­man. Je ne con­nais pas d’équiv­a­lent avec les œuvres d’au­jour­d’hui. Cet aspect de pail­lettes usées par le temps mélangé à celui des maquil­lages trop mar­qués des vieilles girls me touche beaucoup.

Quelles sont les dif­fi­cultés en ter­mes de mise en scène ?
Mon­ter Fol­lies, c’est d’abord savoir maîtris­er ses envies : c’est l’un des shows les plus chers de l’his­toire du théâtre musi­cal. Et aujour­d’hui, l’ar­gent ne coule plus à flot comme à l’époque de la créa­tion ! Sinon, comme l’écri­t­ure est géniale, il n’y a aucune dif­fi­culté à met­tre en scène ce show : il faut se laiss­er bercer par l’e­sprit de Sond­heim. C’est tout. Et bien enten­du, savoir choisir de réels per­fomers qui soient de vrais acteurs de théâtre, de bons danseurs, et qui pos­sè­dent une réelle tech­nique vocale, presque comme des chanteurs lyriques. Broad­way, quoi.

Pho­to du filage de ‘Fol­lies’ à Toulon ©Sébastien Fèvre

Car­o­line Roë­lands, chorégraphe

En ter­mes de choré­gra­phie, qu’évoque Fol­lies pour vous ?
Fol­lies, c’est pour moi – en plus d’être une pièce extra­or­di­naire sur le théâtre, notre méti­er, l’im­pact qu’il représente dans nos vies, et d’artistes, et d’hu­mains – un immense éven­tail de styles musi­caux et choré­graphiques. On entend des styles tous assez dif­férents, bien que se com­plé­tant à mer­veille : de la chan­son théâ­trale typ­ique­ment Broad­way (« Wait­ing for the Girls Upstairs », « The Right Girl », « Don’t Look at Me »…), de l’air revue Broad­way (« Beau­ti­ful Girls », « Love­land », « Live, Laugh, Love »…), du vaudeville/burlesque (« Bud­dy’s Blues »…), du numéro musi­cal Broad­way (« Who’s That Woman? », « The Sto­ry of Lucy and Jessie »…), de la chan­son aux tonal­ités un peu plus « mod­ernes » (« Los­ing My Mind »…), du stan­dard de Broad­way (« Broad­way Baby », « I’m Still Here »…). Bref, pour un artiste et pour un choré­graphe, c’est du pain béni !

Sond­heim est-il un auteur-com­pos­i­teur dif­fi­cile à « met­tre en chorégraphie » ?
Je ne pense pas qu’il soit un auteur dif­fi­cile à met­tre en pas, loin de là. Je pense être quelqu’un d’ex­trême­ment musi­cal (au point de ne pas savoir par­fois com­ment trans­met­tre le compte de la petite réso­nance de tel instru­ment au fond au bout à droite…) et donc, la par­ti­tion de Fol­lies est ce que l’on peut faire de mieux. Il y a tout ce que l’on veut. Tous les styles, toutes les vari­a­tions, tous les rythmes, tous les sens, tous les con­tre-sens (chers à Sond­heim) et aus­si (surtout) tous les per­son­nages, avec leurs souf­frances, leurs délires, leurs envies, leurs his­toires, etc.

Quelles sont vos références pour Fol­lies ? Com­ment vous documentez-vous ?
Je crois que je ne peux pas citer les références qui pour­raient m’in­spir­er car, en fait, c’est l’œu­vre en elle-même, et dans son entier, qui m’in­spire. Toute sa lec­ture, son écoute et son mean­ing sont d’une évi­dence rare pour moi. Tout est dit dans ce que Sond­heim et Gold­man ont écrit à tra­vers cette his­toire et ces chan­sons. La musique de Sond­heim est telle­ment riche que tout est pos­si­ble. Et c’est peut-être cela la dif­fi­culté. Ça donne des envies de tout. Voilà ! Donc, pas vrai­ment de doc­u­men­ta­tion cette fois, si ce n’est la pièce qui se suf­fit à elle-même et mon éter­nelle méth­ode, par­tir dans les bois avec mon chien, la musique sur les oreilles et laiss­er venir les images…

Car­o­line Roë­lands répète « Who’s That Woman? » de ‘Fol­lies’ avec Denis D’Ar­can­ge­lo (Solange) et Sarah Ingram (Stel­la) ©Sébastien Fèvre

Frédéric Olivi­er, créa­teur de costumes

Que représente Fol­lies pour vous ?
Fol­lies, c’est un clin d’œil à un dou­ble passé : celui des Zieg­field Fol­lies (représen­té par des fan­tômes qui errent dans le théâtre) et celui de l’époque de la créa­tion, les années 70.

Quelles ont été vos références icono­graphiques pour les costumes ?
J’ai beau­coup tra­vail­lé sur l’i­cono­gra­phie des revues parisi­ennes des années 70, à la demande du met­teur en scène, qui voulait ren­dre les tableaux du final plus proche de l’e­sprit européen, à l’époque de l’Al­cazar de Jean-Marie Rivière.

Quel per­son­nage vous a le plus inspiré ?
J’ai beau­coup aimé représen­ter les Girls et les Boys qui seront nus sur scène.

Maque­tte de cos­tume (Car­lot­ta, jouée par Nicole Croisille) pour ‘Fol­lies’ par Frédéric Olivi­er ©Frédéric Olivier

Jérôme Pradon, rôle de Buddy

Qu’aimez-vous dans l’univers de Stephen Sondheim ?
Stephen Sond­heim est un auteur-com­pos­i­teur de comédies musi­cales génial qui a imposé des œuvres exigeantes, drôles et dra­ma­tiques en même temps, intel­lectuelles, qui s’in­téressent à des thèmes tou­jours orig­in­aux, pro­fonds, et pro­fondé­ment humains. Il a le chic, si on veut bien se laiss­er porter, pour nous emmen­er dans des his­toires qui vont nous faire rire aux éclats, nous faire pleur­er, et puis nous faire réfléchir sur notre con­di­tion humaine. Ce que j’aime chez lui, c’est son humour sou­vent noir et cynique, sa com­pas­sion, sa force mélodique, sa capac­ité à faire naître en nous des émo­tions divers­es, par­fois con­tra­dic­toires, mais tou­jours intens­es. C’est la mar­que d’un grand auteur, à mon avis.

Vous avez déjà joué Sond­heim deux fois (Assas­sins et Pacif­ic Over­tures). Quels sont les chal­lenges spé­ci­fiques à son répertoire ?
Les chal­lenges avec Sond­heim, c’est qu’il écrit sou­vent des chan­sons qui sont déjà des morceaux de bravoure. Pas­sion­nantes, dif­fi­ciles, pleines de rup­tures, dés­espérées, elles per­me­t­tent aux acteurs d’ex­primer une palette très var­iée. Cela demande beau­coup de con­cen­tra­tion, de rigueur, d’in­ven­tion aus­si. Avec cette matière, les acteurs peu­vent laiss­er aller leur imag­i­na­tion et lit­térale­ment s’é­clater. On est comme des enfants à qui on a don­né un jou­et for­mi­da­ble, dont l’u­til­i­sa­tion est inépuis­able. Les mélodies ne sont pas tou­jours évi­dentes, très altérées, mais une fois qu’on les pos­sède, on peut se laiss­er aller à toutes les audaces. Car les thèmes tou­jours sont très auda­cieux. Dans Assas­sins, la pièce nous trans­portait dans une sorte de pur­ga­toire où tous ceux qui ont assas­s­iné ou ten­té d’as­sas­sin­er un prési­dent des États-Unis au cours de l’his­toire se retrou­vaient, et affir­maient leur « dif­férence » ; je jouais l’un d’eux. Dans Pacif­ic Over­tures, on racon­tait l’ou­ver­ture du Japon au monde occi­den­tal à la fin du XIXe siè­cle, et je jouais la mère du Shogun (l’empereur japon­ais), et un ami­ral français com­plète­ment folle et vaudevillesque.

Com­ment voyez-vous votre per­son­nage de Fol­lies ?
Dans Fol­lies, je joue le rôle de Bud­dy, un homme plutôt sain et avec un bon poten­tiel pour être heureux, qui, depuis trente ans, est amoureux et vit avec une femme, amoureuse depuis trente ans aus­si de l’homme qui était alors son meilleur ami à lui, et qui s’est mar­ié avec sa meilleure amie à elle. Les deux cou­ples se sont totale­ment per­dus de vue depuis et se retrou­vent. Bud­dy est un homme déchiré, qui trompe sa femme parce qu’elle l’a poussé à ça. Au fil du spec­ta­cle, il exprime ce qui est en lui et cela va d’un dés­espoir pro­fond à une lucid­ité cynique sur les arrange­ments qu’on fait avec soi-même pour con­tin­uer d’ex­is­ter. C’est un très beau personnage.

Pho­to du filage de ‘Fol­lies’ à Toulon ©Sébastien Fèvre

Denis D’Ar­can­ge­lo, rôle de Solange LaFitte

Que représen­tent Fol­lies et, plus générale­ment, Sond­heim pour vous ?
C’est d’abord le rêve de ma vie, la pre­mière comédie musi­cale que j’ai vue, à Lon­dres, en 1987. J’avais décou­vert l’en­reg­istrement du con­cert de 1985 juste avant, je l’é­coutais en boucle, et j’ai pleuré comme une madeleine ce soir-là au Shaftes­bury The­atre. Ça, c’est pour la charge émo­tion­nelle per­son­nelle. Il y a ensuite tout ce que représente Fol­lies, l’écroule­ment d’un monde promis à la démo­li­tion, au pre­mier degré (le music-hall) comme au sec­ond (nos vies amoureuses). Et enfin, la sub­til­ité de la musique de Sond­heim, savante et évi­dente à la fois, aus­si riche en sur­face qu’en pro­fondeur, aus­si mer­veilleuse dans le côté pail­lettes que boulever­sante dans la tragédie…

Jouer un per­son­nage à l’o­rig­ine écrit pour une femme, cela vous fait quoi ?
Bon alors là, y a pas de scoop, n’est-ce pas ? J’ai passé ma vie à incar­n­er des femmes, quelque­fois des trav­es­tis mais rarement. J’abor­de ce tra­vail comme n’im­porte quel acteur abor­de n’im­porte quel rôle. On joue tou­jours plus ou moins ce qu’on n’est pas, cela ne serait pas drôle sinon. Non, la ques­tion intéres­sante serait : voir Solange LaFitte incar­née par un homme, ça fera quoi aux spec­ta­teurs ? Et à l’auteur ?

Quelle sera la spé­ci­ficité de votre Solange (hormis votre sexe) ?
Nous sommes encore en train de la con­stru­ire. Elle sera résol­u­ment parisi­enne et coquine, avec un accent mont­martrois assumé, et quelques relents de Piaf pour l’im­age d’Épinal. Physique­ment, elle serait un peu le chaînon man­quant entre Lil­iane Mon­tevec­chi et Régine…

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