Olivier Bénézech, metteur en scène
Que représente Follies pour vous ?
Pour moi, Follies est l’une des dernières manifestations de l’âge d’or du musical. Cette époque du « tout est possible », où Broadway savait allier l’entertainment au sérieux. Follies se déroule dans un théâtre promis à la démolition, autour de stars usées qui font leur dernier show. Désormais, l’œuvre est devenue mythique, justement parce qu’elle écrit la fin de cet âge d’or, tant au niveau de Broadway que de celui du rêve américain qui s’effrite à cause du début des crises économiques.
Qu’est-ce qui vous plaît le plus dans cette œuvre ?
Ce qui me plaît, c’est l’immense qualité des lyrics et de la musique de Sondheim, et du livret de Goldman. Je ne connais pas d’équivalent avec les œuvres d’aujourd’hui. Cet aspect de paillettes usées par le temps mélangé à celui des maquillages trop marqués des vieilles girls me touche beaucoup.
Quelles sont les difficultés en termes de mise en scène ?
Monter Follies, c’est d’abord savoir maîtriser ses envies : c’est l’un des shows les plus chers de l’histoire du théâtre musical. Et aujourd’hui, l’argent ne coule plus à flot comme à l’époque de la création ! Sinon, comme l’écriture est géniale, il n’y a aucune difficulté à mettre en scène ce show : il faut se laisser bercer par l’esprit de Sondheim. C’est tout. Et bien entendu, savoir choisir de réels perfomers qui soient de vrais acteurs de théâtre, de bons danseurs, et qui possèdent une réelle technique vocale, presque comme des chanteurs lyriques. Broadway, quoi.
Caroline Roëlands, chorégraphe
En termes de chorégraphie, qu’évoque Follies pour vous ?
Follies, c’est pour moi – en plus d’être une pièce extraordinaire sur le théâtre, notre métier, l’impact qu’il représente dans nos vies, et d’artistes, et d’humains – un immense éventail de styles musicaux et chorégraphiques. On entend des styles tous assez différents, bien que se complétant à merveille : de la chanson théâtrale typiquement Broadway (« Waiting for the Girls Upstairs », « The Right Girl », « Don’t Look at Me »…), de l’air revue Broadway (« Beautiful Girls », « Loveland », « Live, Laugh, Love »…), du vaudeville/burlesque (« Buddy’s Blues »…), du numéro musical Broadway (« Who’s That Woman? », « The Story of Lucy and Jessie »…), de la chanson aux tonalités un peu plus « modernes » (« Losing My Mind »…), du standard de Broadway (« Broadway Baby », « I’m Still Here »…). Bref, pour un artiste et pour un chorégraphe, c’est du pain béni !
Sondheim est-il un auteur-compositeur difficile à « mettre en chorégraphie » ?
Je ne pense pas qu’il soit un auteur difficile à mettre en pas, loin de là. Je pense être quelqu’un d’extrêmement musical (au point de ne pas savoir parfois comment transmettre le compte de la petite résonance de tel instrument au fond au bout à droite…) et donc, la partition de Follies est ce que l’on peut faire de mieux. Il y a tout ce que l’on veut. Tous les styles, toutes les variations, tous les rythmes, tous les sens, tous les contre-sens (chers à Sondheim) et aussi (surtout) tous les personnages, avec leurs souffrances, leurs délires, leurs envies, leurs histoires, etc.
Quelles sont vos références pour Follies ? Comment vous documentez-vous ?
Je crois que je ne peux pas citer les références qui pourraient m’inspirer car, en fait, c’est l’œuvre en elle-même, et dans son entier, qui m’inspire. Toute sa lecture, son écoute et son meaning sont d’une évidence rare pour moi. Tout est dit dans ce que Sondheim et Goldman ont écrit à travers cette histoire et ces chansons. La musique de Sondheim est tellement riche que tout est possible. Et c’est peut-être cela la difficulté. Ça donne des envies de tout. Voilà ! Donc, pas vraiment de documentation cette fois, si ce n’est la pièce qui se suffit à elle-même et mon éternelle méthode, partir dans les bois avec mon chien, la musique sur les oreilles et laisser venir les images…
Frédéric Olivier, créateur de costumes
Que représente Follies pour vous ?
Follies, c’est un clin d’œil à un double passé : celui des Ziegfield Follies (représenté par des fantômes qui errent dans le théâtre) et celui de l’époque de la création, les années 70.
Quelles ont été vos références iconographiques pour les costumes ?
J’ai beaucoup travaillé sur l’iconographie des revues parisiennes des années 70, à la demande du metteur en scène, qui voulait rendre les tableaux du final plus proche de l’esprit européen, à l’époque de l’Alcazar de Jean-Marie Rivière.
Quel personnage vous a le plus inspiré ?
J’ai beaucoup aimé représenter les Girls et les Boys qui seront nus sur scène.
Jérôme Pradon, rôle de Buddy
Stephen Sondheim est un auteur-compositeur de comédies musicales génial qui a imposé des œuvres exigeantes, drôles et dramatiques en même temps, intellectuelles, qui s’intéressent à des thèmes toujours originaux, profonds, et profondément humains. Il a le chic, si on veut bien se laisser porter, pour nous emmener dans des histoires qui vont nous faire rire aux éclats, nous faire pleurer, et puis nous faire réfléchir sur notre condition humaine. Ce que j’aime chez lui, c’est son humour souvent noir et cynique, sa compassion, sa force mélodique, sa capacité à faire naître en nous des émotions diverses, parfois contradictoires, mais toujours intenses. C’est la marque d’un grand auteur, à mon avis.
Vous avez déjà joué Sondheim deux fois (Assassins et Pacific Overtures). Quels sont les challenges spécifiques à son répertoire ?
Les challenges avec Sondheim, c’est qu’il écrit souvent des chansons qui sont déjà des morceaux de bravoure. Passionnantes, difficiles, pleines de ruptures, désespérées, elles permettent aux acteurs d’exprimer une palette très variée. Cela demande beaucoup de concentration, de rigueur, d’invention aussi. Avec cette matière, les acteurs peuvent laisser aller leur imagination et littéralement s’éclater. On est comme des enfants à qui on a donné un jouet formidable, dont l’utilisation est inépuisable. Les mélodies ne sont pas toujours évidentes, très altérées, mais une fois qu’on les possède, on peut se laisser aller à toutes les audaces. Car les thèmes toujours sont très audacieux. Dans Assassins, la pièce nous transportait dans une sorte de purgatoire où tous ceux qui ont assassiné ou tenté d’assassiner un président des États-Unis au cours de l’histoire se retrouvaient, et affirmaient leur « différence » ; je jouais l’un d’eux. Dans Pacific Overtures, on racontait l’ouverture du Japon au monde occidental à la fin du XIXe siècle, et je jouais la mère du Shogun (l’empereur japonais), et un amiral français complètement folle et vaudevillesque.
Comment voyez-vous votre personnage de Follies ?
Dans Follies, je joue le rôle de Buddy, un homme plutôt sain et avec un bon potentiel pour être heureux, qui, depuis trente ans, est amoureux et vit avec une femme, amoureuse depuis trente ans aussi de l’homme qui était alors son meilleur ami à lui, et qui s’est marié avec sa meilleure amie à elle. Les deux couples se sont totalement perdus de vue depuis et se retrouvent. Buddy est un homme déchiré, qui trompe sa femme parce qu’elle l’a poussé à ça. Au fil du spectacle, il exprime ce qui est en lui et cela va d’un désespoir profond à une lucidité cynique sur les arrangements qu’on fait avec soi-même pour continuer d’exister. C’est un très beau personnage.
Denis D’Arcangelo, rôle de Solange LaFitte
Que représentent Follies et, plus généralement, Sondheim pour vous ?
C’est d’abord le rêve de ma vie, la première comédie musicale que j’ai vue, à Londres, en 1987. J’avais découvert l’enregistrement du concert de 1985 juste avant, je l’écoutais en boucle, et j’ai pleuré comme une madeleine ce soir-là au Shaftesbury Theatre. Ça, c’est pour la charge émotionnelle personnelle. Il y a ensuite tout ce que représente Follies, l’écroulement d’un monde promis à la démolition, au premier degré (le music-hall) comme au second (nos vies amoureuses). Et enfin, la subtilité de la musique de Sondheim, savante et évidente à la fois, aussi riche en surface qu’en profondeur, aussi merveilleuse dans le côté paillettes que bouleversante dans la tragédie…
Jouer un personnage à l’origine écrit pour une femme, cela vous fait quoi ?
Bon alors là, y a pas de scoop, n’est-ce pas ? J’ai passé ma vie à incarner des femmes, quelquefois des travestis mais rarement. J’aborde ce travail comme n’importe quel acteur aborde n’importe quel rôle. On joue toujours plus ou moins ce qu’on n’est pas, cela ne serait pas drôle sinon. Non, la question intéressante serait : voir Solange LaFitte incarnée par un homme, ça fera quoi aux spectateurs ? Et à l’auteur ?
Quelle sera la spécificité de votre Solange (hormis votre sexe) ?
Nous sommes encore en train de la construire. Elle sera résolument parisienne et coquine, avec un accent montmartrois assumé, et quelques relents de Piaf pour l’image d’Épinal. Physiquement, elle serait un peu le chaînon manquant entre Liliane Montevecchi et Régine…
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