Livret : Jacques Demy.
Direction musicale : Michel Legrand.
Décors : Vincent Vittoz.
Décors : Jean-Jacques Sempé.
Costumes : Vanessa Seward.
Lumières : Renaud Corler.
Avec : Marie Oppert (Geneviève), Vincent Niclo (Guy), Natalie Dessay (Madame Emery), Laurent Naouri (Roland Cassard), Louise Leterme (Madeleine), Jasmine Roy (Tante Elise), Franck Vincent (Monsieur Dubourg, Aubin, un ouvrier déménageur), Franck Lopez (Bernard, Pierre, garçon de dancing, ouvrier au garage, apprenti), Arnaud Léonard (Jean, client du garage, client du magasin de parapluies), Elsa Dreising (Jenny).
Orchestre : Orchestre National d’Île-de-France.
Geneviève vit avec sa mère qui tient une boutique de parapluies à Cherbourg. Amoureuse de Guy, ce dernier est appelé sous les drapeaux en Algérie et quitte la ville non sans s’être promis un amour éternel. Mais Geneviève découvre bientôt qu’elle est enceinte et finit par céder aux pressions de sa mère en épousant Roland, un riche bijoutier qui la convoite depuis longtemps. Lorsque Guy rentre à Cherbourg, il découvre le mariage de Geneviève et retrouve sa tante gravement malade dont s’occupe fidèlement Madeleine, amoureuse de lui depuis des années. Guy se résout à épouser cette dernière et décide d’ouvrir une station-service. C’est à cet endroit que, quelques années plus tard, Geneviève s’arrête un soir d’hiver. Guy voit alors pour la première fois l’enfant qu’ils ont eu ensemble. Après quelques mots échangés, chacun repart vers sa vie.
Notre avis : Film culte s’il en est, Les Parapluies de Cherbourg, réalisé en 1964 par Jacques Demy (par ailleurs auteur du scénario et des lyrics) et mis en musique par Michel Legrand, ne ressemble à aucun autre film. Entièrement chanté, il se distingue ainsi des grandes comédies musicales américaines et prend le pari audacieux de tout musicaliser jusqu’aux phrases les plus quotidiennes : un choix radical qui séduit ou irrite. Car Les Parapluies, malgré sa Palme d’Or, ses nominations aux Oscars et son statut reconnu, laisse rarement indifférent : on adore ou on déteste, mais on est rarement dans la demi-teinte. Ce sont donc ceux qui adorent, qui, cinquante ans après la création du film, se rendront au Théâtre du Châtelet pour assister à la version concert symphonique de l’œuvre de Demy et Legrand. Dans une version « mise en espace » par Vincent Vittoz, avec la présence de l’orchestre sur scène, dirigé par Legrand lui même, le spectacle se situe à mi-chemin entre le concert pur et le spectacle mis en scène de façon « traditionnelle ». Dans une telle maison, et avec une telle formation orchestrale, la partition de Michel Legrand est évidemment et naturellement au centre de la soirée.
Dès l’ouverture, le célèbre thème principal prend une ampleur surprenante et il en sera ainsi au cours de la soirée avec des airs qui révèleront des couleurs presque inédites au contact de ces nouvelles orchestrations (on pense par exemple au récit de Cassard). Si la distribution mêle des stars du monde lyrique (Laurent Naouri, et Natalie Dessay à qui l’on attribue malicieusement la réplique : « j’aime pas l’opéra ») et talents du théâtre musical, c’est la jeune Marie Oppert — tout juste 17 ans, comme son personnage — qui est la vraie révélation du spectacle dans le rôle de Geneviève (rôle créé dans le film par l’iconique Catherine Deneuve à ses débuts). Combinant à la fois fraîcheur, innocence mais aussi espièglerie et gravité, tant dans la voix que dans le jeu, elle incarne avec évidence les joies et les souffrances de l’amour à 17 ans, se réappropriant le personnage avec une grande authenticité. Laurent Naouri (Cassard), Louise Leterme (Madeleine) et Jasmine Roy (Tante Elise) sont également très touchants dans leur sincérité et leur sobriété. C’est sans doute un peu de cette simplicité dans l’interprétation de Vincent Niclo (Guy) et Natalie Dessay (Mme Emery) qu’il nous manque pour être complètement convaincus. Malgré cela, il est impossible de ne pas se laisser emporter par le spectacle, par ces lyrics faussement quotidiens que les aficionados connaissent par cœur, et par ces inoubliables mélodies de Legrand.
Si le maestro a été plébiscité à juste titre le soir de la première, n’en oublions pas pour autant le réalisateur, scénariste et lyriciste du film, Jacques Demy, dont Les Parapluies cristallisent à eux seuls les choix tranchés (qu’ils soient esthétiques, thématiques ou politiques) d’un cinéaste à part. 23 ans après sa disparition, celui qui a laissé une empreinte unique dans le cinéma, avec son univers reconnaissable entre tous, continue à prouver que les frontières (cinéma, comédie musicale, opéra, théâtre) sont faites pour être brouillées et que la singularité finit toujours par payer.