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Les grandes dames du music-hall — L’ont-elles bien descendu ?

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Mistinguett ©DR
Mist­inguett ©DR
Il y a eu une époque où Paris était une grande cap­i­tale du spec­ta­cle musi­cal. C’é­tait l’ère tri­om­phale du music-hall, de la fin du XIXe siè­cle aux années 1960. Les chanteurs et chanteuses sem­blaient tout droit venir des boule­vards de Paris. Avec l’ac­cent des pavés, une gouaille irré­sistible, et des chan­sons à l’op­ti­misme insub­mersible, une poignée d’artistes pop­u­laires (Mau­rice Cheva­lier en tête) occu­paient les scènes des salles de spec­ta­cles (Folies Bergère, Moulin-Rouge, la Cigale …), et s’en ser­vaient de trem­plins pour faire fre­donner leurs airs à la France entière.

Mist­inguett et Joséphine Bak­er, la guerre des plumes
Lorsqu’il a fal­lu se lancer dans la démesure pour séduire, les spec­ta­cles de revue sont devenus de plus en plus grandios­es. Avec ses aligne­ments de jolies créa­tures vêtues de lumières et d’élé­gance, accom­pa­g­nées de non moins beaux hommes, la grande revue s’ar­tic­u­lait autour de tableaux pré­textes à de fastueux déploiements d’étoffes, d’ex­o­tisme, de strass, de plumes, de per­les, et de musique. Le spec­ta­cle affir­mait la gloire de la plus belle ville du monde: Paris. On a peine à imag­in­er le ravisse­ment du pub­lic d’alors, mais il faut se rap­pel­er qu’à l’époque la télévi­sion n’ex­is­tait pas et que le rêve était dis­til­lé depuis le planch­er d’une scène et non une petite lucarne. Il faut ajouter que ces tem­ples de la beauté et du diver­tisse­ment recouraient au meilleur de la tech­nolo­gie pour ses décors et sa machiner­ie, ce qui ajoutait à la fas­ci­na­tion. Mais ces assauts de séduc­tion auraient tourné à vide sans de grandes prêtress­es de la revue telles que Joséphine Bak­er ou Mist­inguett. Cette dernière a incar­né très longtemps ce mélange de libéra­tion et de famil­iar­ité char­mante dont rêvaient les femmes épris­es d’indépen­dance. Mist­inguett (1875–1956) était séduisante, insou­ciante, acces­si­ble à son pub­lic, et d’une élé­gance sur laque­lle le temps n’a pas eu de prise. Cer­taine­ment moins belle que bien des fig­u­rantes à ses cotés, elle savait sub­juguer l’au­di­toire par la force de sa présence. Et bien après le baiss­er de rideau, le pub­lic suiv­ait encore ses appari­tions à tra­vers les actu­al­ités, ces jour­naux en images dif­fusés au cinéma.

Dans une atmo­sphère de féroce con­cur­rence, Mist­inguett ne pou­vait rester durable­ment sans rivale. La pétu­lante et col­orée Joséphine Bak­er (1906–1975) appa­raît en 1925 dans La Revue Nègre et l’oblig­era à partager la gloire sous les feux des pro­jecteurs. Elle vient des Etats-Unis, mais les Français voient en elle une per­le de l’Em­pire colo­nial, loin­tain, exo­tique et plein de richess­es. Elle intro­duit des fig­ures nou­velles sur scène, une manière neuve de paraître, nerveuse et fréné­tique. Son appari­tion coïn­cide avec la recon­nais­sance de l’Art Nègre que décou­vrait depuis peu l’a­vant-garde artis­tique « savante ». Face à Mist­inguett et con­sorts, Joséphine Bak­er apporte sa jeunesse, la moder­nité et surtout une fab­uleuse bouf­fée d’air frais dans le music-hall. La parisi­enne idéale cesse d’être une blonde ! Lorsque les entre­pre­neurs de spec­ta­cles s’ef­for­cent suiv­re les goûts d’un pub­lic tou­jours avide de nou­veauté, ce sang neuf et cette ému­la­tion main­ti­en­nent la Revue et le music-hall au som­met du divertissement.

Con­fu­sion vie privée vie publique
Dans le cli­mat d’e­uphorie des années 20–30, le music-hall con­tin­ue de don­ner le pouls de l’humeur du pays, comme il le fait depuis qu’il existe avec les pre­miers chan­son­niers. Il a amusé avec des chan­sons idiotes quand le pub­lic voulait rire, ou a ému avec des chan­sons réal­istes pour évo­quer les drames du quo­ti­di­en. Durant la Grande guerre de 14–18, il a revig­oré le moral du front et de l’ar­rière. Après la guerre, il s’est empressé de rétablir le faste et la beauté en met­tant les bouchées dou­bles comme pour rat­trap­er le temps per­du. C’est ce qui explique que l’en­tre-deux-guer­res fut vrai­ment débridé, étab­lis­sant l’ex­cès lux­ueux comme règle pre­mière pour l’éblouisse­ment des foules. L’époque avait besoin de ces étoiles à la fois proches et inac­ces­si­bles dans des écrins fastueux. Elles incar­naient ces femmes issues des rangs pop­u­laires et qui évolu­ent dans le grand monde, puisqu’elles fréquen­taient le tout Paris poli­tique, des affaires et il faut l’avouer, la pègre. Ain­si le pub­lic a réservé un accueil tri­om­phal à ces images de réus­site telle une Mist­inguett ou une Joséphine Bak­er. En retour celles-ci se sont don­nées inté­grale­ment à leur pub­lic au point qu’on ne dis­tin­guait plus leur vie privée de leur vie publique. Elles ont mon­tré une générosité à l’é­gal de leur pop­u­lar­ité. À cet égard, elles furent vrai­ment de grandes dames. La Revue a péri­clité après la Guerre 39–45. le ciné­ma a fini par sup­planter le music- hall en lui volant ses vedettes. Line Renaud, Zizi Jean­maire ont essayé de sauver les meubles, mais une page était tournée. Aujour­d’hui la revue sub­siste (Crazy Horse, Par­adis latin) mais le coeur n’y est plus tout à fait.

Fol­lies US con­tre French Folies
De l’autre coté de l’At­lan­tique, les Fol­lies — l’équiv­a­lent améri­cain des revues — bat­taient aus­si leur plein à la même époque. Les plus célèbres affich­es s’ap­pelaient les Ziegfeld Fol­lies du nom du pro­duc­teur inspiré qui les a lancés. En suiv­ant la recette irré­sistible de ces très belles femmes tal­entueuses élégam­ment livrées aux regards, la for­mule fonc­tionne très bien et par son faste, crée une insti­tu­tion qui tra­verse le pre­mier demi XXe siè­cle de 1907 à 1957. Le pro­duc­teur Flo­renz Ziegfeld (1867–1932) a écumé l’Eu­rope et l’Amérique pour livr­er les meilleurs spec­ta­cles pos­si­bles. Il était lui-même un coureur de jupons notoires. Par­mi les pre­miers rôles qui se sont suc­cédé, des stars ont émergé. La plus con­nue est Fan­ny Brice (1891–1951), qui est apparue dans les Ziegfeld Fol­lies de 1910 à 1936. Sa car­rière agitée a inspiré un musi­cal à Broad­way (en 1964) puis le film Fun­ny Girl avec Bar­bra Streisand. Un autre grand nom féminin de Broad­way a aus­si fait ses débuts dans la Revue avant de tri­om­pher sur la scène du Théâtre Musi­cal ou non: Gertrude Lawrence (1898–1952), la grande créa­trice du rôle de la gou­ver­nante dans le célèbre The King and I. Sa vie égale­ment bien rem­plie a fait l’ob­jet du film Star! en 1968, avec Julie Andrews. Enfin Broad­way s’est rap­pelé avec une nos­tal­gie glam­our et douloureuse de cette grande époque dans Fol­lies (1971), de Stephen Sond­heim. Sans référence a une fig­ure par­ti­c­ulière, Fol­lies fait revivre comme dans une revue ce que furent les grands moments de ces spec­ta­cles où durant trois min­utes, un per­son­nage charis­ma­tique sur une scène tenait une foule en haleine.

La grande revue vit tou­jours très fort dans le sou­venir des gens qui l’ont vue. Aujour­d’hui, la mémoire se tourne de nou­veau vers l’époque glo­rieuse du music-hall et de ses grandes vedettes. Broad­way aux Etats-Unis a déjà large­ment exploité sa mémoire pour la restituer à un pub­lic plus jeune. À Paris, la même démarche est entamée. Avec L’Air de Paris, Mist­inguett c’est tout un monde qui revit, dans lequel le spec­ta­cle musi­cal était roi, et la femme séduisante la reine … de Paris, donc du monde entier.