Les Funambules, pas à pas

0
344
S.Corbin
Stéphane Corbin © Lisa Lesourd

C’est en jan­vi­er 2013, lors des man­i­fes­ta­tions con­tre le mariage pour tous, que le pro­jet a ger­mé dans la tête de Stéphane Corbin. « J’ai été telle­ment meur­tri par la vio­lence des pro­pos enten­dus, telle­ment blessé par tous ces gens, que je me suis dit qu’il fal­lait faire quelque chose; or la seule chose que je sache faire, ce sont des chan­sons ». Pour répon­dre aux cris de la rue, son idée est sim­ple: « racon­ter nos his­toires, racon­ter l’ho­mo­sex­u­al­ité comme elle ne l’a peut-être jamais été en chan­sons. A la manière d’un doc­u­men­taire, avec une mul­ti­tude de par­cours et une diver­sité de points de vue, pour que tous s’y retrou­vent. Un seul titre aurait été trop réduc­teur. Il ne s’agis­sait pas de racon­ter ma vie, mais nos vies ».

Le soir-même, il con­tacte une ving­taine d’au­teurs. « Ils n’avaient qu’une seule con­trainte: par­ler d’amour et d’ho­mo­sex­u­al­ité » se sou­vient Stéphane Corbin, « je leur ai dit ‘choi­sis­sez l’an­gle que vous voulez’. Moins d’une demi-heure plus tard, un pre­mier texte lui parvient par mail: « J’ai rien demandé » signé Alex­is Micha­lik. Il n’y a pas une ligne à chang­er. Son frère lui apporte « L’aveu » qu’il a écrit spon­tané­ment. Les Funam­bules sont nés… « Très vite les auteurs m’ont répon­du et tout s’est assem­blé comme un puz­zle géant. C’é­tait mag­ique: telle­ment de points de vue dif­férents, de des­tins humains, d’his­toires, de visions… exacte­ment ce dont j’avais rêvé. »

Stéphane Corbin tra­vaille alors durant plusieurs semaines pour les met­tre en musique: « J’ai atten­du d’avoir une ving­taine de textes en main pour com­pos­er et don­ner à l’ensem­ble une cohérence musi­cale. Je ne voulais pas faire une com­pil, mais offrir par delà ma pat­te, une richesse de sonorités et de couleurs. Je me suis lais­sé porter par les textes et par mon instinct, en restant fidèle à ma ligne artis­tique et à mon exi­gence ». Les mélodies sur­gis­sent, s’ha­bil­lent de vio­le de gambe, de luth, ou de sonorités cel­tiques, s’en­velop­pent de chœurs joyeux, ou de rythmes pop, se dénudent sur quelques notes de piano.

Restaient à trou­ver des inter­prètes. Ils seront plus d’une cen­taine à franchir les portes du stu­dio d’en­reg­istrement à l’été 2013, répon­dant à l’ap­pel de Stéphane Corbin. Des con­nus, des moins con­nus, des amis surtout. « C’est évidem­ment un choix affec­tif » assume l’artiste, « je voulais réu­nir des gens que j’aime, que j’ad­mire, qu’im­porte leur notoriété ». Les pre­miers embar­qués sont ses arrangeurs: Anne-Sophie Ver­snaeyen et Sébastien Angel, qui ont tra­vail­lé sur chaque titre. « J’ai ensuite appelé tous les artistes de spec­ta­cle musi­cal que je con­nais, tous m’ont dit oui. » Bénév­ole­ment, faut-il le rap­pel­er, sans qu’au­cun ne cherche à se met­tre en avant. Des guests répon­dent aus­si présents: Annie Cordy, Dave, Camille Cot­tin, Cécil­ia Cara, Aman­da Lear… « une manière de nous aider à porter une parole le plus loin pos­si­ble ». D’autres « peo­ple » refuseront, avec plus ou moins de déli­catesse, et cer­tains artistes, furieux de ne pas avoir été sol­lic­ités insis­teront pour en être, avec force envois de démos et exi­gences. Stéphane Corbin bal­aye cela d’un revers de main: « L’é­go, la car­rière, l’ar­gent, la course aux places, c’é­tait tout sauf l’é­tat d’e­sprit du pro­jet. Je voulais défendre une cause, pas faire un casting ».

Lesfunambules2015
Con­cert au Vingtième Théâtre © Damien Richard

Dernière étape, le sou­tien mas­sif des inter­nautes et l’al­bum voit enfin le jour à l’au­tomne 2015.

Dif­fi­cile de ne pas être touché par le résul­tat. L’al­bum est émou­vant, joyeux et par­ti­c­ulière­ment réal­iste. Les réc­its por­tent une vision de l’ho­mo­sex­u­al­ité d’une justesse inouïe: ni angélique, ni car­i­cat­u­rale. Une suc­ces­sion de des­tins et de par­cours où aucun sujet n’est évité: l’ado­les­cence, le rejet, les rup­tures, le temps qui passe, et bien sûr l’amour. Les amours déçus, rêvés ou pas­sion­nés, les bais­ers per­dus, volés ou vanillés.On y croise un Prince et des filles à pédés, un lycéen et un coif­feur, des par­ents, un Prési­dent et des pin­gouins… Et l’on y entend des voix. Celle de l’im­mense Lil­ianne Mon­tevec­chi, sub­lime sur « ça ne dur­era pas », celle de Pierre Richard, de Bar­bara Scaff, ou d’Alexan­dre Faitrouni sur « 15 ans », -‘Il était évi­dent que pour porter cette chan­son, il fal­lait une voix assez jeune, frag­ile et un inter­prète capa­ble d’en porter l’é­mo­tion, le choix s’est d’emblée imposé’. Et puis il y a tous ceux que les habitués du théâtre musi­cal recon­naitront et qui ren­dent l’ensem­ble for­mi­da­ble­ment réus­si: Rachel Pig­not, Manon Taris, Fabi­an Richard, Marie Facun­do, Jacques Verzi­er, Lola Cès, Jérôme Pradon…

Les chan­sons pop par­lent au cœur, font rire. Elles ravivent des sou­venirs, frô­lent le vécu et beau­coup s’y retrou­veront. Les bal­lades sont d’une pro­fonde émo­tion. De l’ensem­ble se déga­gent une indé­ni­able ten­dresse et une vraie poésie. On devine presque sous les doigts de Stéphane Corbin un brin de mélan­col­ie, une infinie lueur de tristesse qui reflète peut-être sim­ple­ment la réal­ité du monde: « L’al­bum a sans doute une mélan­col­ie parce que ma musique a une mélan­col­ie » sourit-il, « elle est pro­fondé­ment roman­tique. » Mais l’artiste va plus loin: « Con­nais­sons-nous beau­coup de per­son­nes qui ont eu un rap­port sim­ple à l’ho­mo­sex­u­al­ité? Avouer, se jus­ti­fi­er, avoir peur dans la rue, hésiter pour l’an­non­cer à ses par­ents? C’est loin d’être sim­ple. Cet album se veut opti­miste mais lucide ». Stéphane Corbin ne le cache pas, il a refusé une poignée de textes, trop « bisounours » selon son terme, ou trop reven­di­cat­ifs, « le mes­sage passe mieux en par­lant d’amour et de douceur qu’en insultant ».

Face aux accu­sa­tions de com­mu­nau­tarisme qui ne man­queront sans doute pas, Stéphane Corbin cite Rachel Pig­not: ‘Dans l’idéal, cela aurait été telle­ment bien qu’il n’y ait pas eu à faire cet album’.« Mon but est tout sauf le cloi­son­nement, la stig­ma­ti­sa­tion de tel ou tel, le com­mu­nau­tarisme, bien au con­traire! Mais dans une con­struc­tion iden­ti­taire, dans un par­cours, on a besoin de repères vis­i­bles. Le monde homo­sex­uel en a peu. Quelques lignes en lit­téra­ture, quelques films, mais en chan­son? Aznavour, Mec­ca­no, et quelques autres… Si les Funam­bules peu­vent con­tribuer à ouvrir les yeux, et à aider ceux qui en ont besoin, alors le but aura été atteint, et, comme le dit la dernière chan­son du disque « on pour­ra pass­er à autre chose ».

Depuis sa sor­tie, l’al­bum ren­con­tre un vrai suc­cès, le clip de « filles à pédés » affiche 50 000 vues en deux semaines, et les con­certs intimistes du Sun­side avec ses éter­nels com­plices Rachel Pig­not, Gaé­tan Borg, Sonia Alvarez et l’é­ton­nant Sidi Deg­nieau (Sidi Big­gy) pour­raient jouer les pro­lon­ga­tions. La presse s’in­téresse au pro­jet, mais reste frileuse. Pas de quoi décourager Stéphane Corbin: « La pre­mière mis­sion des Funam­bules c’est de porter une parole, je sais que cela pren­dra du temps, on va y aller pas à pas ».

Pas à pas, comme sur un fil. Qu’é­clair­era un jour un arc en ciel.

Pour acheter l’al­bum, ren­dez-vous sur : www.les-funambules.com

Décou­vrez le clip « Filles à pédés »:

[youtube]https://www.youtube.com/watch?v=mZUFAtU94TY[/youtube]