
C’est en janvier 2013, lors des manifestations contre le mariage pour tous, que le projet a germé dans la tête de Stéphane Corbin. « J’ai été tellement meurtri par la violence des propos entendus, tellement blessé par tous ces gens, que je me suis dit qu’il fallait faire quelque chose; or la seule chose que je sache faire, ce sont des chansons ». Pour répondre aux cris de la rue, son idée est simple: « raconter nos histoires, raconter l’homosexualité comme elle ne l’a peut-être jamais été en chansons. A la manière d’un documentaire, avec une multitude de parcours et une diversité de points de vue, pour que tous s’y retrouvent. Un seul titre aurait été trop réducteur. Il ne s’agissait pas de raconter ma vie, mais nos vies ».
Le soir-même, il contacte une vingtaine d’auteurs. « Ils n’avaient qu’une seule contrainte: parler d’amour et d’homosexualité » se souvient Stéphane Corbin, « je leur ai dit ‘choisissez l’angle que vous voulez’. Moins d’une demi-heure plus tard, un premier texte lui parvient par mail: « J’ai rien demandé » signé Alexis Michalik. Il n’y a pas une ligne à changer. Son frère lui apporte « L’aveu » qu’il a écrit spontanément. Les Funambules sont nés… « Très vite les auteurs m’ont répondu et tout s’est assemblé comme un puzzle géant. C’était magique: tellement de points de vue différents, de destins humains, d’histoires, de visions… exactement ce dont j’avais rêvé. »
Stéphane Corbin travaille alors durant plusieurs semaines pour les mettre en musique: « J’ai attendu d’avoir une vingtaine de textes en main pour composer et donner à l’ensemble une cohérence musicale. Je ne voulais pas faire une compil, mais offrir par delà ma patte, une richesse de sonorités et de couleurs. Je me suis laissé porter par les textes et par mon instinct, en restant fidèle à ma ligne artistique et à mon exigence ». Les mélodies surgissent, s’habillent de viole de gambe, de luth, ou de sonorités celtiques, s’enveloppent de chœurs joyeux, ou de rythmes pop, se dénudent sur quelques notes de piano.
Restaient à trouver des interprètes. Ils seront plus d’une centaine à franchir les portes du studio d’enregistrement à l’été 2013, répondant à l’appel de Stéphane Corbin. Des connus, des moins connus, des amis surtout. « C’est évidemment un choix affectif » assume l’artiste, « je voulais réunir des gens que j’aime, que j’admire, qu’importe leur notoriété ». Les premiers embarqués sont ses arrangeurs: Anne-Sophie Versnaeyen et Sébastien Angel, qui ont travaillé sur chaque titre. « J’ai ensuite appelé tous les artistes de spectacle musical que je connais, tous m’ont dit oui. » Bénévolement, faut-il le rappeler, sans qu’aucun ne cherche à se mettre en avant. Des guests répondent aussi présents: Annie Cordy, Dave, Camille Cottin, Cécilia Cara, Amanda Lear… « une manière de nous aider à porter une parole le plus loin possible ». D’autres « people » refuseront, avec plus ou moins de délicatesse, et certains artistes, furieux de ne pas avoir été sollicités insisteront pour en être, avec force envois de démos et exigences. Stéphane Corbin balaye cela d’un revers de main: « L’égo, la carrière, l’argent, la course aux places, c’était tout sauf l’état d’esprit du projet. Je voulais défendre une cause, pas faire un casting ».

Dernière étape, le soutien massif des internautes et l’album voit enfin le jour à l’automne 2015.
Difficile de ne pas être touché par le résultat. L’album est émouvant, joyeux et particulièrement réaliste. Les récits portent une vision de l’homosexualité d’une justesse inouïe: ni angélique, ni caricaturale. Une succession de destins et de parcours où aucun sujet n’est évité: l’adolescence, le rejet, les ruptures, le temps qui passe, et bien sûr l’amour. Les amours déçus, rêvés ou passionnés, les baisers perdus, volés ou vanillés.On y croise un Prince et des filles à pédés, un lycéen et un coiffeur, des parents, un Président et des pingouins… Et l’on y entend des voix. Celle de l’immense Lilianne Montevecchi, sublime sur « ça ne durera pas », celle de Pierre Richard, de Barbara Scaff, ou d’Alexandre Faitrouni sur « 15 ans », -‘Il était évident que pour porter cette chanson, il fallait une voix assez jeune, fragile et un interprète capable d’en porter l’émotion, le choix s’est d’emblée imposé’. Et puis il y a tous ceux que les habitués du théâtre musical reconnaitront et qui rendent l’ensemble formidablement réussi: Rachel Pignot, Manon Taris, Fabian Richard, Marie Facundo, Jacques Verzier, Lola Cès, Jérôme Pradon…
Les chansons pop parlent au cœur, font rire. Elles ravivent des souvenirs, frôlent le vécu et beaucoup s’y retrouveront. Les ballades sont d’une profonde émotion. De l’ensemble se dégagent une indéniable tendresse et une vraie poésie. On devine presque sous les doigts de Stéphane Corbin un brin de mélancolie, une infinie lueur de tristesse qui reflète peut-être simplement la réalité du monde: « L’album a sans doute une mélancolie parce que ma musique a une mélancolie » sourit-il, « elle est profondément romantique. » Mais l’artiste va plus loin: « Connaissons-nous beaucoup de personnes qui ont eu un rapport simple à l’homosexualité? Avouer, se justifier, avoir peur dans la rue, hésiter pour l’annoncer à ses parents? C’est loin d’être simple. Cet album se veut optimiste mais lucide ». Stéphane Corbin ne le cache pas, il a refusé une poignée de textes, trop « bisounours » selon son terme, ou trop revendicatifs, « le message passe mieux en parlant d’amour et de douceur qu’en insultant ».
Face aux accusations de communautarisme qui ne manqueront sans doute pas, Stéphane Corbin cite Rachel Pignot: ‘Dans l’idéal, cela aurait été tellement bien qu’il n’y ait pas eu à faire cet album’.« Mon but est tout sauf le cloisonnement, la stigmatisation de tel ou tel, le communautarisme, bien au contraire! Mais dans une construction identitaire, dans un parcours, on a besoin de repères visibles. Le monde homosexuel en a peu. Quelques lignes en littérature, quelques films, mais en chanson? Aznavour, Meccano, et quelques autres… Si les Funambules peuvent contribuer à ouvrir les yeux, et à aider ceux qui en ont besoin, alors le but aura été atteint, et, comme le dit la dernière chanson du disque « on pourra passer à autre chose ».
Depuis sa sortie, l’album rencontre un vrai succès, le clip de « filles à pédés » affiche 50 000 vues en deux semaines, et les concerts intimistes du Sunside avec ses éternels complices Rachel Pignot, Gaétan Borg, Sonia Alvarez et l’étonnant Sidi Degnieau (Sidi Biggy) pourraient jouer les prolongations. La presse s’intéresse au projet, mais reste frileuse. Pas de quoi décourager Stéphane Corbin: « La première mission des Funambules c’est de porter une parole, je sais que cela prendra du temps, on va y aller pas à pas ».
Pas à pas, comme sur un fil. Qu’éclairera un jour un arc en ciel.
Pour acheter l’album, rendez-vous sur : www.les-funambules.com
Découvrez le clip « Filles à pédés »:
[youtube]https://www.youtube.com/watch?v=mZUFAtU94TY[/youtube]