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Les enfants dans le théâtre musical — Je veux pas grandir !

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Fabienne Guyon dans Peter Pan en 1991 ©DR
Fabi­enne Guy­on dans Peter Pan en 1991 ©DR

Petits et grands peu­vent appréci­er le théâtre musi­cal. Mais pour touch­er davan­tage les pre­miers, il faut une his­toire sur mesure, donc avec de préférence un enfant. Et lorsqu’un enfant paraît sur scène la vision du monde change diamé­trale­ment, pour par­fois embrass­er un monde mer­veilleux où tout devient pos­si­ble comme dans Peter Pan. Ini­tiale­ment une pièce parue en 1904, le con­te pour enfants de James Matthew Bar­ry a été rapi­de­ment adap­té en musi­cal (dès 1905 !). L’his­toire évoque les aven­tures d’une fratrie emmenée par Peter Pan dans le Pays Imag­i­naire (Nev­er­land) peu­plés d’en­fants, de pirates et d’in­di­ens. L’in­fâme cap­i­taine Cro­chet veut la peau de l’e­spiè­gle Peter Pan, et il manque bien de par­venir à ses fins. À la fin, les enfants revi­en­nent à la « vraie » vie. Ils ont vécu la plus belle aven­ture dont ils pou­vaient rêver. La ver­sion de théâtre musi­cal la plus célèbre a été créée à Broad­way en 1954. Son enreg­istrement pour la télévi­sion améri­caine, avec Mary Mar­tin dans le rôle-titre, a enchan­té des généra­tions de jeunes Améri­cains. Pour le pub­lic du reste du monde, Peter Pan est plutôt un dessin ani­mé de Dis­ney sor­ti en salle en 1953. Il com­porte des chan­sons sans rap­port avec la ver­sion de Broad­way, mais tout aus­si effi­caces. Le charme de Peter Pan, tout for­mat con­fon­du, réside dans ses nom­breux épisodes forts : l’en­vol vers le Pays Imag­i­naire, une bro­chette de pirates aus­si bêtes que féro­ces, des Indi­ens intim­i­dants mais finale­ment très attachants. Bref, Peter Pan donne corps à des rêves d’en­fants, entre rires et fris­sons et aux­quels on s’a­ban­donne volon­tiers. Pour l’adulte, le moment du retour des enfants à la vie réelle rap­pelle cette douleur enfouie lorsqu’il a fal­lu renon­cer au monde de l’en­fance. Le Peter Pan de Broad­way a con­nu une adap­ta­tion scénique française sous la plume du grand servi­teur du théâtre musi­cal en France : Alain Marcel.

Puisqu’on a évo­qué les spec­ta­cles qui ont bercé le jeune pub­lic améri­cain, on ne peut pas ignor­er The Sound of Music (La mélodie du bon­heur), le film (de 1965) tiré du musi­cal homonyme (en 1959) de Rodgers et Ham­mer­stein. À notre con­nais­sance, il n’y a pas eu d’adap­ta­tion à la scène française. Par con­tre le film a fait une car­rière excep­tion­nelle en salles, grâce au charme incon­testable de Julie ‘Mary Pop­pins’ Andrews. Novice au cou­vent, Maria s’avère trop indis­ci­plinée pour vivre recluse. Recrutée à l’es­sai comme gou­ver­nante dans une famille de 7 enfants sans mère, elle parvient à leur redonner le goût à la vie et en fait de remar­quables chanteurs-danseurs. Et comme dans les meilleurs con­tes de fées, Maria épouse le père ini­tiale­ment glacial, mais en réal­ité char­mant. Avec une actrice chevron­née (comme Julie Andrews au ciné­ma) et des numéros d’en­fants entraî­nants, il est impos­si­ble de ne pas suc­comber. Certes, pour cer­tains le musi­cal et le film ont un goût pronon­cé de sac­cha­rine, mais à ce niveau de qual­ité le plaisir est irré­sistible notam­ment par la valeur des chan­sons. The Sound of Music, si gai et s’adres­sant aux publics de tout âge, reste la dernière oeu­vre com­mune de Rodgers et Ham­mer­stein. En effet, ce dernier a été emporté peu après la pre­mière à Broad­way, lais­sant cette ultime oeu­vre très famil­iale et uni­verselle­ment aimée.

Enfin, dans les oeu­vres spé­ci­fique­ment français­es, toute une généra­tion a été bercée par l’his­toire d’Emi­lie Jolie de Philippe Cha­tel (1979), dans lequel le rêve prend le dessus sur la réal­ité. Sur les petits écrans, d’autres ont suivi les aven­tures d’un groupe d’en­fants dans un pays imag­i­naire peu­plé de per­son­nages de con­tes de fées. Il s’agis­sait d’Abba­cadabra (1983), écrit par Alain Bou­blil sur des musiques d’AB­BA. On attend main­tenant Le Petit Prince revu par Coc­ciante en 2002.

La famille des orphelins
Les grands feuil­letons lit­téraires du XIXe siè­cle ont usé jusqu’à la corde le sujet des jeunes orphe­lins, seuls face à un monde incer­tain et plein de chausse-trappes. Sans Famille (1878) de Hec­tor Mal­ot (prochaine­ment adap­té pour la scène par Jean-Jacques Debout), et les romans de Charles Dick­ens en don­nent des exem­ples notoires. En faisant ressur­gir la pre­mière angoisse de notre enfance — l’en­fant aban­don­né — ils ont fait pleur­er dans les chau­mières. Sur la scène du théâtre musi­cal, les orphe­lins les plus célèbres se nom­ment Oliv­er (dans Oliv­er ! en 1960 de Lionel Bart, d’après Charles Dick­ens) et Annie (dans Annie en 1977, de Mar­tin Charnin et Charles Strouse). En France, on con­naît mieux ces per­son­nages à tra­vers les adap­ta­tions en films (respec­tive­ment réal­isés par Car­ol Reed en 1968, et John Hus­ton en 1982). Dans cha­cune des his­toires, les pau­vres enfants s’échap­pent d’un orphe­li­nat où ils étaient mal­traités. L’anglais Oliv­er côtoie la pègre lon­doni­enne pen­dant la révo­lu­tion indus­trielle en Angleterre, l’améri­caine Annie ren­con­tre des per­son­nes mal inten­tion­nées en pleine crise de 1929. Un per­son­nage épou­vantable et détestable croise leurs chemins respec­tifs. Après bien des mésaven­tures éprou­vantes pour les glan­des lacry­males, cha­cun trou­ve heureuse­ment une riche famille et une chaleur famil­iale dont ils ont longtemps rêvé. Dans le même reg­istre, on peut égale­ment citer The Secret Gar­den, de Lucy Simon et Mar­sha Nor­man (1991), dans lequel Mary, une orphe­line, redonne le goût de vivre à son oncle austère.

Un autre musi­cal com­porte deux enfants livrés à eux-mêmes qui ne con­nais­sent pas l’é­gal bon­heur de Oliv­er et Annie. Il s’ag­it de Cosette et Gavroche dans Les Mis­érables (1985) de Bou­blil et Schön­berg. Ici, les enfants incar­nent la quête d’un monde meilleur pour lequel il faut se bat­tre. Cosette est l’en­fant mal­traitée qui donne un sens à la vie du forçat Jean Val­jean. Gavroche est l’en­fant des rues de Paris qui égaie la troupe des étu­di­ants en émeute sur les bar­ri­cades. Il est fauché par la mitraille lors de l’as­saut par les mil­i­taires venus rétablir l’or­dre. Sa mort aux cotés des étu­di­ants brise pour un temps le rêve d’amélior­er la société. L’ap­pari­tion de Cosette et Gavroche, en piv­ot de chaque acte de Les Mis­érables apporte un sens au présent : agir pour que leur lende­main soit meilleur que leur aujour­d’hui. Tous les jours depuis un soir de 1985, ces deux enfants chantent com­bi­en ils sont frag­iles, et notre gorge s’en trou­ve irré­press­ible­ment nouée. On est loin des sucreries à la Annie ou The Sound of Music. Le ton est plus grave.

Cette grav­ité du pro­pos est partagée par Le Roi Lion d’El­ton John et de Tim Rice (1997), tiré du dessin ani­mé homonyme des stu­dios Dis­ney. Le dit Roi Lion est d’abord un jeune lion­ceau joueur du nom de Sim­ba. Suite à un com­plot, l’usurpa­teur du trône l’ac­cuse de la mort de son père et il se trou­ve oblig­er de s’ex­il­er. Longtemps après il décou­vre la for­fai­ture et parvient à rétablir son droit. À vrai dire, il y a eu de l’au­dace chez Dis­ney à par­ler de la mort du père, et à mon­tr­er un enfant acca­blé de cul­pa­bil­ité. Tout ceci alors que la cible de prédilec­tion de Dis­ney reste le jeune pub­lic. Heureuse­ment la présence de per­son­nages comiques allège le pro­pos, d’au­tant qu’ils vien­nent en aide au lion­ceau devenu orphe­lin. Les épreuves ont abrégé la jeunesse du jeune Sim­ba, comme celle des autres orphe­lins évo­qués. À tout âge on frémit pour ceux dont l’ob­ses­sion est de sur­vivre avant de vivre. Sans som­br­er dans le mélo, Le Roi Lion abor­de l’ap­pren­tis­sage de la vie quand on est (presque) seul. Les enfants y ont été sen­si­bles puisqu’ils ont réservé au dessin ani­mé Le Roi Lion un des plus grands suc­cès de Dis­ney. Ensuite, l’adap­ta­tion à la scène de Broad­way s’est révélée comme une très agréable sur­prise, grâce à l’a­vant-gardisme de la mise en scène. Le Roi Lion relève du con­te d’ap­pren­tis­sage, comme la lit­téra­ture anglo-sax­onne en raffole.

À l’ex­a­m­en, il y a peu de musi­cals faisant appel à des enfants. En effet, les bonnes his­toires qui touchent le pub­lic des enfants et des adultes ne sont pas légion. Un spec­ta­cle moyen peut vite trans­former un enfant en tête à claques. Et les con­traintes légales sur la jeunesse pro­tè­gent les jeunes artistes à un point qui rend leur présence dif­fi­cile à gér­er dans une dis­tri­b­u­tion. La rareté des bons spec­ta­cles avec enfant se dou­ble d’une qua­si-impos­si­bil­ité de les voir sur scène en France. Il nous faut nous con­tenter des adap­ta­tions au ciné­ma, disponibles en vidéo. Heureuse­ment, ces adap­ta­tions sont sou­vent réussies et pro­cure de très grands moments de plaisir pour les petits et les grands.