
Petits et grands peuvent apprécier le théâtre musical. Mais pour toucher davantage les premiers, il faut une histoire sur mesure, donc avec de préférence un enfant. Et lorsqu’un enfant paraît sur scène la vision du monde change diamétralement, pour parfois embrasser un monde merveilleux où tout devient possible comme dans Peter Pan. Initialement une pièce parue en 1904, le conte pour enfants de James Matthew Barry a été rapidement adapté en musical (dès 1905 !). L’histoire évoque les aventures d’une fratrie emmenée par Peter Pan dans le Pays Imaginaire (Neverland) peuplés d’enfants, de pirates et d’indiens. L’infâme capitaine Crochet veut la peau de l’espiègle Peter Pan, et il manque bien de parvenir à ses fins. À la fin, les enfants reviennent à la « vraie » vie. Ils ont vécu la plus belle aventure dont ils pouvaient rêver. La version de théâtre musical la plus célèbre a été créée à Broadway en 1954. Son enregistrement pour la télévision américaine, avec Mary Martin dans le rôle-titre, a enchanté des générations de jeunes Américains. Pour le public du reste du monde, Peter Pan est plutôt un dessin animé de Disney sorti en salle en 1953. Il comporte des chansons sans rapport avec la version de Broadway, mais tout aussi efficaces. Le charme de Peter Pan, tout format confondu, réside dans ses nombreux épisodes forts : l’envol vers le Pays Imaginaire, une brochette de pirates aussi bêtes que féroces, des Indiens intimidants mais finalement très attachants. Bref, Peter Pan donne corps à des rêves d’enfants, entre rires et frissons et auxquels on s’abandonne volontiers. Pour l’adulte, le moment du retour des enfants à la vie réelle rappelle cette douleur enfouie lorsqu’il a fallu renoncer au monde de l’enfance. Le Peter Pan de Broadway a connu une adaptation scénique française sous la plume du grand serviteur du théâtre musical en France : Alain Marcel.
Puisqu’on a évoqué les spectacles qui ont bercé le jeune public américain, on ne peut pas ignorer The Sound of Music (La mélodie du bonheur), le film (de 1965) tiré du musical homonyme (en 1959) de Rodgers et Hammerstein. À notre connaissance, il n’y a pas eu d’adaptation à la scène française. Par contre le film a fait une carrière exceptionnelle en salles, grâce au charme incontestable de Julie ‘Mary Poppins’ Andrews. Novice au couvent, Maria s’avère trop indisciplinée pour vivre recluse. Recrutée à l’essai comme gouvernante dans une famille de 7 enfants sans mère, elle parvient à leur redonner le goût à la vie et en fait de remarquables chanteurs-danseurs. Et comme dans les meilleurs contes de fées, Maria épouse le père initialement glacial, mais en réalité charmant. Avec une actrice chevronnée (comme Julie Andrews au cinéma) et des numéros d’enfants entraînants, il est impossible de ne pas succomber. Certes, pour certains le musical et le film ont un goût prononcé de saccharine, mais à ce niveau de qualité le plaisir est irrésistible notamment par la valeur des chansons. The Sound of Music, si gai et s’adressant aux publics de tout âge, reste la dernière oeuvre commune de Rodgers et Hammerstein. En effet, ce dernier a été emporté peu après la première à Broadway, laissant cette ultime oeuvre très familiale et universellement aimée.
Enfin, dans les oeuvres spécifiquement françaises, toute une génération a été bercée par l’histoire d’Emilie Jolie de Philippe Chatel (1979), dans lequel le rêve prend le dessus sur la réalité. Sur les petits écrans, d’autres ont suivi les aventures d’un groupe d’enfants dans un pays imaginaire peuplé de personnages de contes de fées. Il s’agissait d’Abbacadabra (1983), écrit par Alain Boublil sur des musiques d’ABBA. On attend maintenant Le Petit Prince revu par Cocciante en 2002.
La famille des orphelins
Les grands feuilletons littéraires du XIXe siècle ont usé jusqu’à la corde le sujet des jeunes orphelins, seuls face à un monde incertain et plein de chausse-trappes. Sans Famille (1878) de Hector Malot (prochainement adapté pour la scène par Jean-Jacques Debout), et les romans de Charles Dickens en donnent des exemples notoires. En faisant ressurgir la première angoisse de notre enfance — l’enfant abandonné — ils ont fait pleurer dans les chaumières. Sur la scène du théâtre musical, les orphelins les plus célèbres se nomment Oliver (dans Oliver ! en 1960 de Lionel Bart, d’après Charles Dickens) et Annie (dans Annie en 1977, de Martin Charnin et Charles Strouse). En France, on connaît mieux ces personnages à travers les adaptations en films (respectivement réalisés par Carol Reed en 1968, et John Huston en 1982). Dans chacune des histoires, les pauvres enfants s’échappent d’un orphelinat où ils étaient maltraités. L’anglais Oliver côtoie la pègre londonienne pendant la révolution industrielle en Angleterre, l’américaine Annie rencontre des personnes mal intentionnées en pleine crise de 1929. Un personnage épouvantable et détestable croise leurs chemins respectifs. Après bien des mésaventures éprouvantes pour les glandes lacrymales, chacun trouve heureusement une riche famille et une chaleur familiale dont ils ont longtemps rêvé. Dans le même registre, on peut également citer The Secret Garden, de Lucy Simon et Marsha Norman (1991), dans lequel Mary, une orpheline, redonne le goût de vivre à son oncle austère.
Un autre musical comporte deux enfants livrés à eux-mêmes qui ne connaissent pas l’égal bonheur de Oliver et Annie. Il s’agit de Cosette et Gavroche dans Les Misérables (1985) de Boublil et Schönberg. Ici, les enfants incarnent la quête d’un monde meilleur pour lequel il faut se battre. Cosette est l’enfant maltraitée qui donne un sens à la vie du forçat Jean Valjean. Gavroche est l’enfant des rues de Paris qui égaie la troupe des étudiants en émeute sur les barricades. Il est fauché par la mitraille lors de l’assaut par les militaires venus rétablir l’ordre. Sa mort aux cotés des étudiants brise pour un temps le rêve d’améliorer la société. L’apparition de Cosette et Gavroche, en pivot de chaque acte de Les Misérables apporte un sens au présent : agir pour que leur lendemain soit meilleur que leur aujourd’hui. Tous les jours depuis un soir de 1985, ces deux enfants chantent combien ils sont fragiles, et notre gorge s’en trouve irrépressiblement nouée. On est loin des sucreries à la Annie ou The Sound of Music. Le ton est plus grave.
Cette gravité du propos est partagée par Le Roi Lion d’Elton John et de Tim Rice (1997), tiré du dessin animé homonyme des studios Disney. Le dit Roi Lion est d’abord un jeune lionceau joueur du nom de Simba. Suite à un complot, l’usurpateur du trône l’accuse de la mort de son père et il se trouve obliger de s’exiler. Longtemps après il découvre la forfaiture et parvient à rétablir son droit. À vrai dire, il y a eu de l’audace chez Disney à parler de la mort du père, et à montrer un enfant accablé de culpabilité. Tout ceci alors que la cible de prédilection de Disney reste le jeune public. Heureusement la présence de personnages comiques allège le propos, d’autant qu’ils viennent en aide au lionceau devenu orphelin. Les épreuves ont abrégé la jeunesse du jeune Simba, comme celle des autres orphelins évoqués. À tout âge on frémit pour ceux dont l’obsession est de survivre avant de vivre. Sans sombrer dans le mélo, Le Roi Lion aborde l’apprentissage de la vie quand on est (presque) seul. Les enfants y ont été sensibles puisqu’ils ont réservé au dessin animé Le Roi Lion un des plus grands succès de Disney. Ensuite, l’adaptation à la scène de Broadway s’est révélée comme une très agréable surprise, grâce à l’avant-gardisme de la mise en scène. Le Roi Lion relève du conte d’apprentissage, comme la littérature anglo-saxonne en raffole.
À l’examen, il y a peu de musicals faisant appel à des enfants. En effet, les bonnes histoires qui touchent le public des enfants et des adultes ne sont pas légion. Un spectacle moyen peut vite transformer un enfant en tête à claques. Et les contraintes légales sur la jeunesse protègent les jeunes artistes à un point qui rend leur présence difficile à gérer dans une distribution. La rareté des bons spectacles avec enfant se double d’une quasi-impossibilité de les voir sur scène en France. Il nous faut nous contenter des adaptations au cinéma, disponibles en vidéo. Heureusement, ces adaptations sont souvent réussies et procure de très grands moments de plaisir pour les petits et les grands.