Gay, gay, marions-les !
Lorsque je suis arrivée au Théâtre Le Trianon, je me suis sentie seule au milieu de tous ces garçons. Quoi de plus normal en somme, la troupe des Caramels Fous est constituée d’une trentaine de jeunes gens qui revendiquent clairement leur appartenance à la communauté homosexuelle — qui le leur rend bien d’ailleurs. Lorsque ce « Boy’s Band pas comme les autres » — comme ils aiment à s’appeler — se produit sur scène, il s’adresse à un public qui les connaît bien, conquis d’avance, en somme complètement fou des Caramels ! La Bête au bois dormant est leur dernière création.
Véritable comédie musicale en deux actes, entièrement chantée, elle raconte une histoire abracadabrante où se mêlent La Belle au bois dormant et La Belle et la Bête avec un soupçon de Petit chaperon rouge. Tous les personnages de contes de fées sont présents mais ils ont été revus et corrigés par l’auteur du spectacle, Michel Heim, qui tient lui-même le rôle de la sorcière Carabosse. Seuls des mignons composent la cour du bon Roi Henri, la Princesse Henriette est en réalité le Prince Henri et les petits animaux imaginaires de la forêt sont pervers. Il propose un spectacle délirant, loufoque et désopilant où les bons mots alternent avec l’humour potache et les gags bon enfant. On ne sombre jamais dans le vulgaire et on se laisse entraîner par cette histoire invraisemblable où « les deux princes se marient et furent beaucoup d’en…vieux ».
Les artistes de la troupe sont tous des amateurs et pourtant, ils jouent la comédie et dansent tout en interprétant des chansons. Leur performance est valorisée par le fait qu’ils sont entourés par des professionnels tant sur le plan technique qu’artistique. La mise en scène et la chorégraphie sont très inventives et complètement au service des chansons qu’ils interprètent avec facilité. Le tableau qui révèle le mieux leur qualité de chanteur est celui où ils entonnent le morceau le plus difficile de West Side Story, « Tonight (Quintet and Chorus) », sur des lyrics français de Michel Heim bien sûr. Car c’est bien là que repose l’essentiel de la créativité de ce groupe, les textes de Heim sont interprétés sur des airs très connus tirés aussi bien du répertoire classique que de l’opérette et de la variété. Et le savoir-faire de Michel Heim consiste à enchaîner logiquement toutes ces chansons telles qu’elles figureraient dans une comédie musicale à la facture plus classique. Si les jeux de mots, les gags visuels et les situations invraisemblables font régulièrement rire aux éclats, l’amateur de Théâtre Musical décèlera aisément les nombreuses références aux comédies musicales et aux opérettes réutilisées à bon escient par Heim. Par exemple, le show débute et s’achève par deux clins d’oeil aux dessins animés Disney : La belle au bois dormant avec une reprise de l’un des airs principaux du ballet éponyme de Tchaïkovsky comme l’avait fait Disney et La belle et la bête avec la chanson « Be Our Guest ». Quant au messager du roi et au Petit chaperon rouge, ils interprètent chacun un solo comique « à la Bourvil » comme cela se faisait dans les grandes opérettes de Francis Lopez. On peut également s’amuser à retrouver les titres originaux des chansons détournées : My Heart Belongs to Daddy (Le millionnaire), Ziggy (Starmania), Les parapluies de Cherbourg etc. A vous de deviner les autres maintenant !
Quand on sort de la salle de spectacle, on est à la fois fatigué d’avoir si bien ri et galvanisé d’avoir assisté à un très bon spectacle. J’ai d’ailleurs décidé que, désormais, il n’y a plus de raison valable pour que seuls les gays profitent des talents des Caramels Fous. La prochaine fois, je viendrai avec toutes mes copines ; nous aussi on veut s’amuser et devenir folles des Caramels !