Et si la vie des artistes de la scène musicale était assez passionnante pour devenir un spectacle ? Amadeus (1982), le film de Milos Forman tiré de la pièce de Peter Schaeffer, évoque de façon passionnante la vie de Mozart. Et la musique du Maître de Salzbourg venait encore rehausser la déjà très riche mise en images. Le final avec Mozart mourant dictant son Requiem à son rival Saliéri possède une charge d’émotion exceptionnelle. Complétant un dialogue fascinant sur la création musicale, la bande sonore vient illustrer un processus de création avec une interprétation orchestrale construite brique par brique. Plus d’un a découvert Mozart à travers ce film qui révélait une personnalité tragique et bouleversante, au rire tonitruant, et bien loin du portrait gentillet que les livres de musique aimaient diffuser. Et Amadeus a apporté beaucoup de clés pour apprécier davantage ses partitions, en les reliant à des épisodes parfois douloureux de sa vie.
Une porte d’accès pour (re)découvrir une oeuvre
Amadeus est la partie la plus visible de la démarche du monde des Arts et du Spectacle à mettre ses héros en scène. Parmi les entreprises les plus originales et inattendues, on relèvera les chansons de Jacques Brel à la conquête de Broadway. La revue Jacques Brel is alive and well living in Paris (1968) a été conçu par deux admirateurs américains Mort Schuman et Eric Blau. Davantage qu’entendre simplement une revue des chansons de l’auteur-compositeur belge, c’est dans son univers que l’on pénètre. Celui-ci est bâti sur son approche cynique et satirique de la vie, doublé d’une grande pudeur. C’est en définitive grâce au succès de cette revue que des chansons de Brel ont des paroles américaines et sont reprises par de grands artistes anglo-saxons. Ce spectacle sur Brel a été une entreprise ambitieuse pour faire découvrir un répertoire de qualité à un public peu initié, et il faut le souligner, bien loin de la Belgique que Brel aimait railler. Son succès réside dans les qualités intrinsèques des chansons et de leur habile mise en valeur autour de leur créateur. Dans bien d’autres cas, les bio-musicals choisissent de rester un terrain plus immédiat pour l’auditoire : The Buddy Holly Story, sur Buddy Holly à Londres, ou Verdi, une passion, un destin (2001) sur Giuseppe Verdi à Paris. Ainsi, on se place entre grande Histoire et petites histoires de la Musique et des Spectacles.
Ça fait déjà un bon moment que Broadway comme Hollywood aiment faire revivre celles et ceux qui ont fait sa gloire. Barbra Streisand a interprété au théâtre et au cinéma la pétillante (et réelle) Fanny Brice (1891–1951), la star des Ziegfeld Follies au début du XXe siècle, dans le musical Funny Girl. Sa rivale au théâtre et au cinéma Julie Andrews s’est approprié le temps du film Star! (1968) le personnage mythique de Gertrude Lawrence (1898–1952), une des plus grandes actrices-chanteuses-danseuses de Broadway. Ces deux stars ont ainsi fait revivre, en se posant en héritières, des mythes dont le souvenir restait vivace dans le coeur du public. Pour celui-ci, il s’agit d’un bain de jouvence et d’enthousiasme, souvent accompagné d’un regard complice ou indiscret sur la carrière des artistes évoqués. Car ces spectacles répondent à l’attente du public, qui connaît la trame de ce qui va être raconté, mais veut en savoir encore plus. Dans ces conditions, une chanson déjà connue peut acquérir une charge émotionnelle supplémentaire. Connectée à un moment particulier de la vie de l’artiste, elle prend une signification inédite. Davantage qu’un message musical de trois minutes, la chanson dans un bon spectacle permet de pénétrer dans l’âme de son créateur et d’accéder à sa part d’humanité. La frontière entre le personnage public et privé s’estompe, révélant les détails troublants d’un être souvent fort et fragile à la fois, bref mythique.
Les bio-musicals actuels
Dans certains spectacles, c’est à la fois un personnage et une époque qui revivent. Si vous n’étiez pas de ce monde à l’époque, sachez que durant les années 1970 les gens portaient des tenues excentriques et des chevelures abondantes. Ils professaient l’amour plutôt que la guerre et ils adoraient danser sur les chansons de Abba. Aujourd’hui, le musical Mamma Mia (1999) reprend les célèbres chansons du groupe dans la trame consensuelle d’une relation mère-fille. Ici c’est la mère qui apparaît délurée face à sa fille plutôt sage. Qu’on ne s’y trompe pas, la qualité première du spectacle réside bien dans les chansons du groupe suédois. Défiant le temps, elles inspirent une joie sans arrière-pensée, et elles conviennent à des ambiances de fête. Le côté kitsch des interprètes suédois leur a donné l’affection d’un large public au point de symboliser ce qu’a été leur époque: L’apogée du Disco, la fête en toute innocence avant l’émergence tragique du Sida. Ensuite si on en croit les films Priscilla, Reine du désert (1994) et Muriel’s Wedding, le répertoire de Abba serait devenu objet de culte parmi les travestis et les jeunes filles complexées en mal de princes charmants. Arrivé après ces films, Mamma Mia joue très adroitement de la nostalgie de ce qui a été un âge d’or. Autres temps, autre âge d’or : Sur les rives de la Seine, Mistinguett (2001) ou Y’a de la joie (1998 ) sur Charles Trénet ont réussi à ressusciter avec succès un personnage dans son époque. Abordant une époque qu’il vénère à travers deux de ses plus célèbres icônes, le metteur en scène Jérôme Savary transporte le public aux heures glorieuses du music-hall parisien (1900–1950). La nostalgie est une valeur sûre. Et lorsque la présentation est soignée, les années écoulées s’effacent miraculeusement pour rappeler de grands moments de bonheur.
Le théâtre musical a usé modérément de la biographie musicale, comme si sa jeunesse et ses mutations multiples ne lui fournissaient pas encore suffisamment de matière. Bien au contraire le cinéma ne se prive pas. Outre Mozart (Amadeus), et public a eu droit récemment à Gilbert et Sullivan (Topsy Turvy), Beethoven (Immortal Beloved), des chanteurs pop (La Bamba, Great balls of Fire, What’s love got to do with it ?). Aujourd’hui les choses bougent sur scène. En ce début 2001, Paris fait revivre Verdi, Trénet, Mistinguett, Brassens, ou Gainsbourg. Ainsi ceux qui ont été de grands piliers des arts et spectacle peuvent montrer en airs et chansons leurs passeports pour l’immortalité.