Comment se sent-on au lendemain d’une première ?
Je suis heureux que la première soit passée, non pas pour en être débarrassé, mais j’adore ce moment où le spectacle appartient enfin au public. Tous ces gens qui veulent être émus, amusés, divertis, choqués… ressentir toutes ces émotions que l’on tente de leur provoquer. Je suis dans le même temps épuisé par cette tension qui s’accroit jusqu’à la première. On m’a demandé hier soir si j’étais « soulagé », non ce n’est pas le terme. Je suis plutôt dans un état de satisfaction, celle d’être parvenu avec toute l’équipe technique et artistique au spectacle dont j’avais envie.
Quand avez vous découvert cette œuvre pour la première fois ?
Adolescent j’ai vu la captation, sur la BBC, de la production originale de 1987. C’était peu de temps, finalement, après la création que je n’avais pas pu, bien entendu, aller voir à Broadway. Cela m’avait apparu comme un musical inhabituel, loin de ceux que j’avais déjà vus. L’acte deux m’avait particulièrement plu car il est inattendu : nous pourrions penser que l’intrigue est bouclée à l’issue du premier acte. Et aujourd’hui, comme metteur en scène, c’est cet acte qui m’a le plus captivé. L’envie de rendre le spectateur aussi intrigué que j’ai pu l’être. Pour ma mise en scène, je n’ai en revanche pas du tout revu les versions précédentes de manière à aborder l’œuvre avec le plus de fraicheur possible. De plus, l’imaginaire collectif est tellement marqué par l’imagerie Disney que nous avons délibérément choisi de tenter de retrouver, visuellement, les contes exempts de cette référence en étudiant l’univers de Grimm, de Perrault… C’est comme cela que le travail a débuté. Par exemple, nous avons fait des choix visuels forts : mettre les personnages des différentes histoires ont des costumes attachés à des époques particulières : le 18ème siècle pour la famille de Cendrillon, la sorcière et sa fille sont plus médiévales. Les costumes du petit chaperon rouge sont davantage inspirés par l’époque victorienne.
Comment travaillez-vous ?
Je n’ai pas de plan préétabli. Lire l’histoire afin d’en avoir une vue d’ensemble constitue le premier pas. La musique m’était familière, même si vous la redécouvrez en la travaillant de manière précise. J’ai commencé par me concentrer sur les détails, de manière scrupuleuse. Un peu comme avec Shakespeare, vous devez connaître tous les détails qui pilotent énormément de choses. Je lis aussi pas mal, par exemple « La psychanalyse des contes de fées » de Bruno Bettelheim qui fut utile jusqu’à un certain point, mais n’a pas orienté ou encore moins dirigé ma réflexion. En fait, je fais beaucoup de recherches puis j’oublie tout. C’est un moyen, pas une finalité. Cela me permet d’avoir les réponses qu’un acteur peut vous poser lors d’une répétition : plus vous maîtrisez votre sujet, plus ce sera facile de lui répondre. Ensuite, il faut laisser travailler votre imagination et trouver les solutions aux questions que vous vous posez, comme l’assemblage d’un puzzle géant ! Je dois organiser tout cela pour toute l’équipe.
Que représente cette comédie musicale pour vous ?
Into The Woods évoque les contes que nous connaissons, ou plutôt que nous croyons connaître. Je tenais à conduire le spectateur vers une forêt un peu sombre plutôt qu’un lieu gentiment féérique. J’engage des décorateurs différents en fonction des spectacles : leur imagination prime et certains ont des sensibilités qui s’accordent avec un type de projet et moins avec un autre. Nous avons développé une certaine manière de travailler et de jouer pour le Châtelet et le temps de répétition est limité. C’est en partie pour cela que j’aime m’entourer d’une équipe artistique identique, pour peu que le comédien soit idéal pour le rôle, bien sûr. Dans le groupe certains font partie du club des « 4 Sondheim », d’autres en ont fait trois, ou deux… Dans ce musical, on compte 17 rôles principaux. Il convient donc de trouver le bon équilibre à tous les niveaux. Ce qui m’a tout de suite marqué en travaillant pour ce théâtre, c’est la taille de la scène qui permet de créer des choses impressionnantes visuellement, orientant le spectacle vers un côté qui allie spectaculaire et intime. Le spectacle parle d’initiation, personne ne sait ce qui se cache derrière un arbre ou ce qui va se produire au prochain virage. Les bois permettent d’avoir un recul, de réfléchir. La pièce est superbe, je me sens tellement privilégié !
Comment se déroule votre collaboration avec Stephen Sondheim ?
Je connais Steve depuis A Little Night Music. Nous correspondons, nous voyons de temps à autre. Il s’est toujours montré encourageant, à l’écoute. Il m’arrive de lui demander des conseils si j’ai un doute sur un point ou un autre. Mais il découvre les mises en scène avec toujours un œil neuf, une véritable curiosité. Il nous a envoyé un mail avant le show pour nous souhaiter bon courage et un autre après le show pour nous féliciter. Il avait des amis dans la salle qui lui ont fait part de leurs commentaires.
Si une magicienne vous accordait le vœu de mettre en scène la comédie musicale de vos rêves ?
Il est très difficile de répondre car la comédie musicale ne peut se ranger dans une seule catégorie. Entre celles de l’âge d’or, des spectacles plus contemporains il existe une grande différence et à chaque fois des éléments sont captivants à traiter. Mais si je ne devais en choisir qu’une seule ce serait Gypsy, ce spectacle concentre énormément d’émotions qui me fascinent. Avec un défi de taille : trouver la bonne Mama Rose !