… le numéro final de A Chorus Line (1975), une des comédies musicales parmi les plus populaires du répertoire de Broadway, et qui a une certaine notoriété en France pour avoir été montrée sur scène et en film. Le spectacle montre la difficulté à être engagé pour monter sur scène, et par là même les terribles exigences du show business. Mais après beaucoup de répétitions, de la sueur et des larmes, la troupe de danseurs/chanteurs de second plan (la « chorus line ») est prête à affronter son public. Le numéro « One » incarne cet aboutissement d’un énorme travail pour quelques minutes, la troupe unie comme un seul bloc sur scène. C’est un hymne au bonheur d’être dans ce métier, qui ressemble davantage à un métier de soldat du show business qu’à une vie rangée. Mais l’aventure, tellement excitante, vaut les efforts consentis. C’est ce que découvrent aujourd’hui des artistes francophones.
2 comme « Two for Tea »…
… Le public français avait fait en son temps un énorme succès au film (non musical) La grande vadrouille (1967) de Gérard Oury. Durant la seconde guerre mondiale, des résistants plus ou moins improvisés recherchent le contact avec des alliés américains et anglais. Et quel est le signe de reconnaissance ? L’air de la chanson « Tea for two » (« and two for tea »…), tiré de la comédie musicale américaine No, no, Nanette (1925). C’est en chantant et sifflant cet air que Bourvil et Louis de Funès rejoignent les réseaux amis, et aident à l’évacuation de pilotes alliés d’avions abattus. Une utilisation de la chanson que les auteurs de Broadway n’avaient sans doute jamais eue en tête !
3 comme Die Dreigroschenoper…
… passé curieusement de 3 à 4 en français (L’opéra de quat’sous), problème de change monétaire sans doute ! En cette année 2000, un hommage particulier est rendu au grand homme de l’opéra et du Théâtre Musical : Kurt Weill (1900–1950) : centenaire de sa naissance et cinquantenaire de sa disparition. Il est particulièrement connu pour Die Dreigroschenoper qui a donné en anglais The Three Penny Opera. Pour l’élaboration de cet opéra satirique, le musicien et son librettiste Bertold Brecht ont renoué avec un découpage en airs à l’anglo-saxonne : les songs. Par cette démarche, Kurt Weill anticipait largement sur sa période américaine après son émigration aux Etats-Unis où il poursuivra sa carrière à Broadway en s’efforçant de donner ses lettres de noblesse à un théâtre musical essentiellement commercial. Pour revenir au Dreigroschenoper, sa charge anticapitaliste percutante contre l’ordre établi trouve un écho avec son époque de crise économique et de montée des extrémismes politiques. Les détracteurs ont parlé d’un opéra bolchevique, le public de son côté a apprécié de voir l’opéra s’adonner à la critique sociale en parlant de riches sans scrupule, de pauvres abjects avec leurs semblables et de bandits au grand coeur.
4 comme le nombre de musicals écrits par Boublil et Schönberg,…
… ces précurseurs du théâtre musical à la française et que leur pays d’origine tient de manière incompréhensible toujours à l’écart. Pour les amateurs de La Révolution française (1973), Les Misérables (1980, version 2 en 1985), Miss Saïgon (1989) ou Martin Guerre (1996), il faut se contenter des disques, ou casser sa tirelire aller à Londres ou à New York. Espérons que l’engouement du public français pour le théâtre chanté saura ménager une grande porte pour le retour de ces exilés qui réussissent si bien sous d’autres cieux.
5 comme le nombre de musicals de Luc Plamondon…
… Le grand manitou du théâtre musical d’expression française. Il a déjà écrit spectacles, dont au moins deux inscrits au patrimoine : Starmania (1979, avec Michel Berger) et Notre Dame de Paris (1998, avec Richard Cocciante). Ses autres collaborations n’en sont pas moins appréciables : Lily Passion (1986), avec Barbara, Sand et les Romantiques (1992) avec Catherine Lara, et La Légende de Jimmy (1990) avec Michel Berger. Outre la qualité des chansons que ses mots suscitent chez ses collaborateurs musiciens, Luc Plamondon montre un flair incisif à révéler des voix françaises ou québécoises. Depuis les débuts de Starmania, l’investissement personnel du parolier a largement contribué à construire la jeune tradition de chanteurs de théâtre à Paris.
6 comme le nombre de côtés de l’Hexagone…
… De tout cotés, nos voisins (Angleterre, Belgique, Allemagne, Espagne) s’adonnent avec délectation au théâtre musical, comme les Américains depuis longtemps. Et les Français, alors ? Luc Plamondon a forcé son destin et Notre Dame a tutoyé les mêmes cimes du succès que Starmania il y a 20 ans. Et dans son sillage, d’autres spectacles voient le jour avec des fortunes diverses mais un public de plus en plus réceptif. Pascal Obispo a fait le saut avec Les 10 commandements, il n’y a aucun doute que d’autres songent à explorer ces nouvelles voies pour toucher le public au travers de grandes histoires.
7 comme Sept filles pour sept garçons…
… Juste pour garder en mémoire qu’en France, pour ce genre de spectacles, ce n’est pas encore gagné ! Il y a un an, ce musical a ouvert au Folies Bergère pour fermer quelques semaines plus tard. La présence de Lio n’a pas suffi à attirer le public, un peu effarouché par ce spectacle inhabituel. Au prix des billets, le spectateur veut une valeur sûre. Hélas, il n’avait pas eu l’occasion de se familiariser avec la partition ni avec le film, peu connu ici.
8 et 9 comme 8 1/2 et Nine…
… Deux saisons auparavant, un autre spectacle avait été monté aux mêmes Folies Bergère : l’adaptation du film 8 1/2 de Federico Fellini en comédie musicale, Nine, de Maury Yeston. Malgré la hauteur du propos — il s’agissait d’un des meilleurs et plus ambitieux spectacles du Broadway des vingt dernières années -, la participation de l’auteur de théâtre Eric-Emmanuel Schmitt pour les textes et paroles en français, et la présence de l’étoile française du West-End de Londres, Jérôme Pradon, la sauce n’a pas pris avec les Parisiens. Le spectacle était vite tombé, emportant dans le désespoir les amateurs qui caressaient l’espoir de voir les grandes affiches de Londres et Broadway succéder à Nine.
10 et plus comme Les dix commandements et Les mille et une vies d’Ali Baba…
… Pour la rentrée 2000–2001, les affiches sont à la fois nombreuses et tentantes. Elles émanent de compositeurs d’expression française, et non plus d’adaptations américaines. L’auteur/compositeur Guy Bontempelli (parolier de la comédie musicale Mayflower) nous confirmait récemment combien les Français en matière de théâtre musical étaient spécifiques et qu’ils ne pouvaient pas se contenter d’une simple traduction-adaptation. Aujourd’hui, les nouveaux spectacles s’appuient sur le renouveau de la chanson française qui a fait nettement mieux que résister à l’invasion anglo-saxonne. C’est de cette vigueur que naissent Les 1001 vies d’Ali Baba et Les 10 commandements (ainsi que l’histoire du binôme immortel et tragique Roméo et Juliette : de la Haine à l’Amour). L’autre enseignement qu’ont tiré les producteurs de ces spectacles, c’est que le public veut savoir avant de voir. Ainsi, les sont disponibles depuis plusieurs mois en CD et des extraits connaissent des carrières plus qu’honorables dans les hit-parades. Les modèles de Starmania et surtout de Notre Dame de Paris ont fait école. Le rêve d’un théâtre musical revitalisé à Paris est de plus en plus partagé. Il reste pourtant le plus dur à faire : concrétiser. On n’en a jamais été aussi près… Nous verrons si le succès financier est au rendez-vous. Après tout, les bons comptes font les bons amis !
Les oeuvres citées :
A Chorus Line (1975), musical de Marvin Hamlish (musique) et Edward Kleban (paroles).
No, no, Nanette (1925), musical de Vincent Youmans (musique) et Irving Caesar (paroles).
Die Dreigroschenoper (1928 — The Threepenny Opera en anglais, L’opéra de quat’sous en français), opéra de Kurt Weill (musique) et Bertold Brech (livret).
La révolution française (1973), Les Misérables (1980 ; 2e version 1985),
Starmania (1978), La légende de Jimmy (1990), comédies musicales de Michel Berger (musique) et Luc Plamondon (paroles).
Lily Passion (1986), comédie musicale de Barbara et Luc Plamondon.
Sand et les Romantiques (1992), comédie musicale de Catherine Lara et Luc Plamondon.
Notre Dame de Paris (1998), comédie musicale de Richard Cocciante (musique) et Luc Plamondon (paroles).
Sept filles pour sept garçons (1954 le film), musical de Johnny Mercer et Gene de Paul, chansons additionnelles de Al Kasha et Joel Hirschhorn.
Nine (1982 à New-York, 1997 en français à Paris), musical de Maury Yeston (musique et paroles). Paroles en français de Eric Emmanuel Schmitt.
Les mille et une vies d’Ali Baba (2000), musical de Fabrice Albouker, Alain Lanty (musique), Thibaut Chatel, Frédéric Doll (paroles).
Les 10 Commandements (2000), musical de Pascal Obispo (musique), Lionel Florence et Patrice Guirao (paroles).
Roméo et Juliette : de la Haine à l’Amour (2001), musical de Gérard Presgurvic (musique et paroles).