Accueil Zoom Le Théâtre du Peuple fête… ses 120 ans avec une programmation très musicale.

Le Théâtre du Peuple fête… ses 120 ans avec une programmation très musicale.

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Mais rap­pelons tout d’abord ce qui rend ce lieu unique. En 1895 le fils du pro­prié­taire d’une usine qui fab­rique étrilles et cou­verts en métal et qui emploie plus de 300 ouvri­ers souhaite apporter à ces derniers autre chose, leur per­me­t­tre de décou­vrir le théâtre et, acces­soire­ment, de pass­er moins de temps au bistrot. Rapi­de­ment, il crée des spec­ta­cles dans le dialecte local et pro­pose aux ouvri­ers ama­teurs de les inter­préter. Un théâtre, tout d’abord décou­vert, est con­stru­it à flanc de colline. Il sera con­solidé, cou­vert, mais con­servera ce qui rend chaque représen­ta­tion à Bus­sang unique : ce fond de décor qui s’ouvre, à un moment de la pièce, sur ce décor naturel qui offre un pur moment de magie. De fil en aigu­ille, les pièces, essen­tielle­ment à car­ac­tère social, évolueront, des auteurs clas­siques seront joués par des comé­di­ens pro­fes­sion­nels mais chaque dis­tri­b­u­tion con­servera son lot d’amateurs.

L'opéra de 4 sous © Eric Legrand
L’opéra de 4 sous © Eric Legrand

Aujourd’hui encore, les ama­teurs se mêlent aux pro­fes­sion­nels, don­nant aux spec­ta­cles ce petit plus que l’on ne retrou­ve nulle part ailleurs. Le théâtre musi­cal est mis à l’honneur pour cet anniver­saire avec la vision que pro­pose Vin­cent Goethals de L’opéra de quat’­sous, présen­té en ver­sion française dans une tra­duc­tion aux petits oignons. Le ciné­ma n’est pas très loin avec la cita­tion directe de Orange mécanique, univers qui colle par­ti­c­ulière­ment bien avec l’œuvre de Brecht et Weill. Le tal­ent des comédiens/chanteurs par­ticipe de la réus­site de l’entreprise, ren­dant totale­ment vivace ce jeu de mas­sacre pour le moins amer. Entre la famille Peachum, Macky le surineur et ses divers hommes de main, Brown le polici­er cor­rompu, Jen­ny la pros­ti­tuée délais­sée, Julie l’amante volon­taire, Pol­ly la nou­velle épouse énamourée (mais tout de même bien intéressée par l’argent), le pou­voir des ban­quiers : qui est le plus atroce, le plus ter­ri­ble ? La portée poli­tique de l’œuvre s’inscrit, hélas, dans bien des con­textes, bien des épo­ques et prend des réso­nances par­ti­c­ulières avec l’actualité. Ponc­tué par plusieurs inter­ven­tions de René Bian­chi­ni, superbe vieil homme qui ressem­ble à Mau­rice Pot­tech­er, la pièce enchante le pub­lic pop­u­laire qui s’amuse de ces per­son­nages hauts en couleur, se délecte de la musique, superbe­ment ren­due et des voix des comé­di­ens (rares sont les chanteurs, tous s’en sor­tent fort bien). La salle est qua­si comble et les spec­ta­teurs n’hésitent pas à réserv­er une stand­ing ova­tion à la troupe vis­i­ble­ment touchée. En effet ici nul sno­bisme : quand on aime, on le fait savoir, quand on n’aime pas, pareillement.

Intrigue et amour : les saluts
Intrigue et amour : les saluts

Intrigue et amour, pièce de Schiller,  expose les vicis­si­tudes amoureuses entre la fille d’un mod­este vio­loniste, Louise et Frédéric, le fils du prési­dent von Wal­ter. Mélo­drame où le triv­ial se mêle à la déli­catesse, où la vio­lence des sen­ti­ments peut être mise à mal par des mani­gances plus ou moins bien ficelées et où il faut se méfi­er des ver­res de cit­ron­nade, la pièce déroule son intrigue avec fougue. La très belle scéno­gra­phie évoque une mise en abîme, du théâtre dans le théâtre. Servie par des lumières soignées, la mise en scène de Yves Beaunesne n’oublie pas d’utiliser la musique et le chant dans des inter­mèdes qui per­me­t­tent aux décors de se mod­i­fi­er à vue et au spec­ta­teur de repren­dre son souf­fle. Lutte de pou­voir, cor­rup­tion, men­songes… Tout est bon pour faire souf­frir cette pau­vre Louise qui se mon­tre un rien plus maline que Frédéric, mais qui refuse de lui avouer la vérité. En effet lui croit qu’elle lui fut infidèle en rai­son d’une let­tre écrite sous la con­trainte, mais comme elle prê­ta ser­ment de ne jamais dire la vérité, elle maintint ce pau­vre amoureux dans les affres de la jalousie. A croire d’ailleurs que Frédéric est plus amoureux de l’amour qu’il porte pour Louise que de la jeune fille : quelle piètre opin­ion a‑t-il d’elle pour douter de la sorte (avec en prime nom­bres d’indices qui devraient le faire douter de l’authenticité de ladite let­tre) ? Mais bon, l’homme n’a par­fois que peu de dis­cerne­ment et Schiller va jusqu’au bout de sa démon­stra­tion, vers un drame qui s’allège avec la célèbre ouver­ture des portes du fond de décor sur cette colline splendide.

Un d'eux nommé Jean © Jean-Jacques Utz
Un d’eux nom­mé Jean © Jean-Jacques Utz

Quant aux formes cour­tes, présen­tées dans une petite salle, Un d’eux nom­mé Jean se révèle un moment tout sim­ple­ment boulever­sant. Pour ren­dre hom­mage à Mau­rice Pot­tech­er, Vin­cent Goethals et Marie-Claire Utz ont eu l’excellente idée d’exhumer les let­tres que Jean Pot­tech­er envoya à son père et sa mère alors qu’il par­tit sur le front en 1914. Ulysse Bar­bry incar­ne un Jean plein de vie, d’humour et qui peu à peu som­bre dans l’horreur de la guerre alors qu’il y assur­ait le rôle d’infirmier. René Bian­chi­ni impose une fig­ure pater­nelle bien­veil­lante, aimante et déchi­rante. Enfin, la vio­lon­cel­liste Camille Gueirard accom­pa­gne par le biais de pièces de Bach, d’Hindemith, cette par­ti­tion fine­ment ciselée où s’insèrent des poèmes de Mau­rice Pot­tech­er ain­si que quelques chan­sons de l’époque. Une mise en scène soignée et déli­cate, le jeu sub­til de ce trio, la qual­ité de l’écriture de ce jeune homme qui mou­rut bien trop tôt, à 22 ans, com­posent une alchimie qui étreint, émeut et ravi. Nul plus bel hom­mage n’aurait pu être ren­du à cette rela­tion filiale.

Deux autres pièces cour­tes sont pro­posées égale­ment : un réc­i­tal à deux sous pro­posé par la sopra­no Mélanie Mous­say qui s’annonce espiè­gle et mutin avec des airs de Weill, de Vian, en pas­sant par Marie Dubas et des Con­tes sauvages, spec­ta­cle de mar­i­on­nettes à l’adresse du jeune public.

Aller fêter ce déli­cieux anniver­saire, pren­dre un verre avec les artistes est plus qu’aisé. L’accueil est chaleureux, les plats (soupes, assi­ettes divers­es, voire pop corn à l’ail des ours pour les plus téméraires) sim­ples et déli­cieux. N’ou­bliez pas votre coussin : les bancs de bois résis­tent au temps et con­stituent de red­outa­bles enne­mis pour les fessiers frag­iles ! Mau­rice Pot­tech­er, sa femme Camille ont, à coup sûr, le sourire aux lèvres en cette année par­ti­c­ulière : l’esprit du lieu a survécu à toutes les tem­pêtes, la qual­ité, l’exigence dans les spec­ta­cles restent des valeurs vitales tout autant que la con­vivi­al­ité, l’échange. Foin de vains mots, la devise du lieu n’a rien per­du de son éclat ; « Par l’art » : incon­testable­ment, « pour l’humanité » : indé­ni­able­ment. Nous devons en être recon­nais­sants au cou­ple créa­teur, ain­si qu’à toutes les per­son­nes qui per­me­t­tent à ce lieu de vivre. Un fes­ti­val hors norme, décidé­ment, une expéri­ence à vivre.

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