Accueil Dossiers Le Roi Disney rugit à Broadway ! — Mickey à la conquête de l’Est

Le Roi Disney rugit à Broadway ! — Mickey à la conquête de l’Est

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Beauty and the Beast (La Belle et la Bête) ©DR
Beau­ty and the Beast (La Belle et la Bête) ©DR

« La meilleure comédie musi­cale de l’an­née » : tels étaient les titres de nom­breux mag­a­zines à l’oc­ca­sion de la sor­tie de La Belle et la Bête… au ciné­ma ! Broad­way tra­ver­sait alors une crise d’in­spi­ra­tion et aucune nou­velle oeu­vre ne sem­blait capa­ble de suc­céder à Cats, Les Mis­érables ou Phan­tom of the opera qui avaient mar­qué les années 80. Depuis ses débuts, Walt Dis­ney qui avait tou­jours conçu ses films comme comme des spec­ta­cles où les chan­sons étaient par­tie prenante de l’ac­tion, n’avait pour­tant jamais osé s’at­ta­quer à la citadelle Broadway.

Ses suc­cesseurs eux l’ont fait ! Dès le milieu des années 80, le patron des stu­dios, Jef­frey Katzen­berg, demande à Howard Ash­man, le paroli­er, et à Alan Menken, le com­pos­i­teur, de revi­talis­er la musique de ses dessins ani­més. Ils n’ont der­rière eux que le suc­cès gen­til­let de La petite bou­tique des hor­reurs sur scène mais ils ont beau­coup d’am­bi­tion et de tal­ent. Leur pre­mière col­lab­o­ra­tion avec Dis­ney est La petite sirène, un gros suc­cès qui leur ouvre les portes d’Hol­ly­wood et leur laisse les coudées franch­es pour La Belle et la Bête. Pre­mier dessin ani­mé à être nom­iné à l’Oscar du meilleur film, ce sera hélas pour Ash­man un tri­om­phe posthume puisqu’il meurt du SIDA peu avant la sor­tie du film. Une émou­vante dédi­cace est d’ailleurs ajoutée au générique pour celui qui « a don­né sa voix à une sirène et son âme à une Bête ».

Dis­ney sent que le moment est venu pour une vraie recon­nais­sance artis­tique et décide donc de faire de La Belle et la Bête sa pre­mière comédie musi­cale. La pro­fes­sion lui est d’au­tant plus hos­tile que l’équipe tech­nique ne sera pas new yorkaise, Dis­ney refu­sant de traiter avec les tout puis­sants syn­di­cats du milieu théâ­tral et préférant tra­vailler avec les artistes de ses parcs à thèmes de Floride — autant dire venus d’un univers de car­ton-pâte ! Refu­sant de polémi­quer avec ses pairs, Alan Menken s’at­tèle à la tâche et com­pose de nou­velles chan­sons en plus de celles du film. Il est aidé par le paroli­er Tim Rice, en rup­ture de ban avec son com­pos­i­teur jadis attitré Andrew Lloyd Web­ber. Les ajouts musi­caux pour le spec­ta­cle s’in­tè­grent har­monieuse­ment à l’ensem­ble, en par­ti­c­uli­er le poignant solo de La Bête qui finit le pre­mier acte, « If I Can’t Love Her ». C’est une boulever­sante déc­la­ra­tion d’amour, d’une pro­fondeur qu’on n’imag­i­nait guère dans une oeu­vre Dis­ney. L’un des moments les plus touchants de la par­ti­tion est la réin­té­gra­tion de « Human Again », une chan­son écrite à l’o­rig­ine par Howard Ash­man mais sup­primée de la ver­sion ani­mée… Une comédie musi­cale qui se respecte n’est mon­tée à Broad­way qu’après avoir été rodée en « province » auprès d’un pub­lic sup­posé moins « sophis­tiqué ». Beau­ty and the Beast débute donc à Hous­ton au Texas. En atten­dant, les cri­tiques new yorkais four­bis­sent déjà leurs armes.

C’est la fête !
Le 18 avril 1994 , juste après la pre­mière au Palace The­atre, c’est le jeu de mas­sacre. Rares sont les spec­ta­cles qui pour­raient s’en remet­tre mais la souris fait le gros dos car elle a une arme secrète : con­traire­ment aux pro­fes­sion­nels, le pub­lic adore ! Cinq ans après sa créa­tion, le show se joue à guichets fer­més dans le monde entier. Chaque année, les dif­férentes pro­duc­tions de La Belle et la Bête rap­por­tent autant que le film orig­i­nal en son temps… Mais Michael Eis­ner, le grand patron de Dis­ney qu’il dirige depuis 1984 et dont il a fait un empire de la com­mu­ni­ca­tion, veut aus­si la recon­nais­sance de la pro­fes­sion. Et il est prêt à pay­er le prix fort pour cela.

Sa chance va venir de la munic­i­pal­ité de New York. Pour se faire élire, le nou­veau maire, Rudolph Giu­liani, a promis de net­toy­er la 42e rue, une artère qui coupe Broad­way juste à prox­im­ité de son fleu­ron, Times Square, et dévolue aux sex-shops et aux reven­deurs de drogue. Eis­ner et ses con­seillers immo­biliers ont déjà les yeux fixés sur le New Ams­ter­dam, un théâtre art déco en ruine qui abri­ta jadis les filles peu vêtues des Ziegfeld Fol­lies. Dis­ney pro­pose de restau­r­er le théâtre à ses frais.

En échange, la munic­i­pal­ité lui cède les bâti­ments avoisi­nants (pour en faire des bureaux et un Dis­ney Store) ain­si que la ges­tion pen­dant 99 ans du théâtre pour un loy­er dérisoire. Le fait que Dis­ney, syn­onyme de valeurs famil­iales, choi­sisse de s’établir au milieu de « la rue du vice » est un sig­nal fort pour les autres investis­seurs poten­tiels. La 42e rue est rapi­de­ment vidée de ses anciens occu­pants qui sont rem­placés par des théâtres, ciné­mas, bou­tiques, musée de cire de Mme Thus­saud et vendeurs aimables (une gageure à New York). C’est désor­mais aus­si pro­pre et sûr qu’à Disneyland !

Au crédit de Dis­ney, il faut not­er que le New Ams­ter­dam a été restau­ré à grands frais (plus de 100 mil­lions de dol­lars !) pour en faire à nou­veau un des plus beaux théâtres du monde. Le 15 mai 1997, pour son inau­gu­ra­tion, Alan Menken pro­pose King David, un ora­to­rio écrit avec Tim Rice. Le con­cert est loin de déchaîn­er le même ent­hou­si­asme que La Belle et la Bête et les plans pour en faire une vraie comédie musi­cale doivent être abandonnés.

Pen­dant ce temps au ciné­ma, Le Roi Lion est devenu le plus gros suc­cès de l’his­toire du dessin ani­mé. L’adapter pour la scène devient donc une ten­ta­tion irré­sistible… mais Elton John et Tim Rice (tou­jours lui !) n’ont guère envie de s’im­pli­quer sur le pro­jet. Qu’im­porte, il écrivent quelques chan­sons nou­velles et Lebo M, un artiste sud-africain qui tra­vaille simul­tané­ment sur le nou­v­el album Lion King : Rhyth of the Pride Lands et sur les chan­sons de la suite Le Roi Lion 2 : L’hon­neur de la tribu se charge, avec beau­coup de tal­ent du reste. Mais le coup de pok­er de Dis­ney repose sur le choix du met­teur en scène, Julie Tay­mor, une artiste d’a­vant-garde con­nue pour ses pro­duc­tions intel­lo-fémin­istes et pour tout dire plutôt gauchisantes. Cette fois, la com­mu­nauté artis­tique est intriguée : Julie Tay­mor a‑t-elle ven­du son âme ? En fait, le résul­tat est, plus qu’un com­pro­mis, une col­lab­o­ra­tion inédite entre deux mon­des a pri­ori opposés. Ceux qui ont vu le spec­ta­cle en rodage à Min­neapo­lis par­lent d’un mir­a­cle et atten­dent avec impa­tience son arrivée à Broad­way, au New Ams­ter­dam bien sûr ! Le bouche à oreille en fait le show préven­du le plus longtemps à l’a­vance de l’his­toire de Broad­way et aujour­d’hui encore, il est néces­saire de réserv­er ses places plus d’un an à l’avance !

Cette fois, la cri­tique baisse les bras et avoue être sous le charme. On n’avait rien vu d’aus­si spec­tac­u­laire­ment beau depuis les Ziegfeld Fol­lies dans les années 10 et 20. Aux Tony Awards (l’équiv­a­lent améri­cain des Molière) suiv­ants, The Lion King obtient six récom­pens­es dont celles du meilleur spec­ta­cle et de la meilleure mise en scène. Dis­ney est bien devenu le « roi » de Broad­way… et bien sûr, Le Roi Lion s’ap­prête main­tenant à tourn­er dans le monde entier. La pre­mière pro­duc­tion européenne est prévue à Lon­dres à l’au­tomne 1999.

Son­nez cloches et trompettes !
Si Le bossu de Notre Dame a été un suc­cès mod­éré au ciné­ma, tout le monde s’ac­corde sur la beauté de sa musique. Et la répu­ta­tion de Vic­tor Hugo sur la scène musi­cale n’est plus à faire, de Les mis­érables à — tiens, tiens — Notre Dame de Paris. Avec son parte­naire Stel­la qui détient les droits scéniques de ses pro­duc­tions pour l’Eu­rope, Dis­ney en a prévu le rodage et la pre­mière mon­di­ale en juin 1999 à… Berlin et en alle­mand sous le nom de Der Glöck­n­er Von Notre Dame ! Les comé­di­ens améri­cains répè­tent en ce moment phoné­tique­ment leur rôle sous la férule de James Lap­ine, met­teur en scène habituelle­ment asso­cié aux pro­duc­tions plus intel­lectuelles de Stephen Sond­heim. Dès l’au­tomne, ils repar­tiront pour Broad­way tan­dis qu’une troupe alle­mande leur suc­cèdera. S’il est encore trop tôt pour prédire le suc­cès du Bossu, on peut faire con­fi­ance à Alan Menken et à son parte­naire Stephen Schwartz pour avoir écrit de nou­velles grandes mélodies… Si Tim Rice n’est pas asso­cié à cette nou­velle pro­duc­tion (mais il n’avait pas non plus tra­vail­lé sur le film), il ne faut pas y voir la mar­que d’un désaveu mais tout sim­ple­ment le fait qu’il tra­vail­lait con­cur­rem­ment sur un nou­veau pro­jet avec Elton John. Quelques-uns des grands suc­cès actuels de la comédie musi­cale, de Miss Saigon à Rent, étant inspirés de l’opéra (Madame But­ter­fly et La bohème respec­tive­ment) , les deux hommes ont eux choisi Aida d’après Ver­di mais sans les fameuses trompettes ! Ils ont gardé l’his­toire d’amour impli­quant le com­man­dant en chef de l’ar­mée égyp­ti­enne et l’esclave éthiopi­enne Aïda. C’est un tri­an­gle — ce qui est bien le moin­dre pour une his­toire se déroulant au pays des Pyra­mides ! — amoureux puisque la fille de Pharaon, éprise du sol­dat, fera périr les deux amants. Quoi, pas de hap­py end ? Décidé­ment, plus rien n’est comme avant au roy­aume de Mick­ey. Car, il faut bien savoir pren­dre des risques au moment où la Mai­son de la Souris est défiée sur les écrans par tous ceux qui veu­lent une part du gâteau lucratif de l’an­i­ma­tion. Et le suc­cès atti­rant le suc­cès, Hol­ly­wood veut aus­si inve­stir Broad­way. Fox (Anas­ta­sia), Warn­er (Bat­man) ou Para­mount ont tous des pro­jets. Mon­ter une comédie musi­cale demande certes de plus en plus d’ar­gent mais il faut rel­a­tivis­er. Le Roi Lion, spec­ta­cle réputé le plus cher de l’his­toire de Broad­way, a ain­si coûté trois à qua­tre fois moins que le dessin ani­mé orig­i­nal… Les stu­dios, qui sont tous liés à de grands groupes de com­mu­ni­ca­tion, ont donc les poches assez pro­fondes pour pay­er leur appren­tis­sage au prix fort. Lors du rodage à Atlanta de Elab­o­rates Lives : The Leg­end of Aida, les cri­tiques et le pub­lic s’ac­cor­dent pour trou­ver qu’El­ton John est au mieux de sa forme et qu’il a com­posé là quelques mélodies inou­bli­ables de plus. En revanche, tout le reste fonc­tionne mal : l’his­toire, la mise en scène et jusqu’à la pyra­mide spec­tac­u­laire qui se bloque au milieu de la scène tous les soirs oblig­eant à ter­min­er le spec­ta­cle sous forme de con­cert… Toute l’équipe artis­tique et tech­nique, celle là même qui avait pour­tant fait le suc­cès de La Belle et la Bête, est immé­di­ate­ment licenciée…

A l’is­sue de ce Dal­las sur Broad­way, l’in­cer­ti­tude règne un moment sur le devenir du show. Mais Dis­ney ne veut pas répéter le fias­co de King David. Le CD Elton John and Tim Rice’s Aida sort dans le monde entier au print­emps 1999 avec des chan­sons inter­prétées par une pléi­ade de vedettes pop. Simul­tané­ment, Dis­ney annonce que le spec­ta­cle, tout sim­ple­ment retitré Aida, et totale­ment réin­ven­té, va subir un sec­ond rodage à Chica­go avant de débar­quer enfin à Broad­way avant la fin de l’an­née. Les trompettes devraient donc bien son­ner à nou­veau sous peu pour Elton John et Dis­ney à Broadway !