Pourtant il y eut des moments où le cinéma musical semblait retrouver ses marques vis-à-vis du public. Ceux qui vécurent cette époque se rappellent l’engouement pour John Travolta à la fin des années 70. Il portait à la scène puis sur écran le charmant pastiche des années 50 Grease (1978). Simultanément il devient le chef de file du Disco dans Saturday Night Fever (1977). Hélas, le Disco ne fit pas long feu, et la tentative d’exploiter le filon n’alla guère plus loin (Staying alive en 1983). Il reste que le cinéma, musical à défaut de conquérir durablement les foules, s’est trouvé une niche : le public jeune et sa musique. De cette façon, il s’est maintenu et a rencontré quelques succès : Fame (1980), Flashdance (1983), Dirty Dancing (1987), What’s love got to do (1993). La danse et la musique servent souvent d’élément moteur pour des adolescents qui passe le cap de la vie d’adulte. L’enthousiasme rencontré en salle a des répercussions sur les hit-parades : les CD des chansons se vendent comme des petits pains.
Pendant que les adolescents accueillent favorablement ces films, Disney se tourne vers les enfants (et leurs parents). Après avoir végété 15 ans durant, le célèbre studio d’animation s’est remis en selle avec des longs-métrages animés qui doivent beaucoup à leurs chansons dignes du meilleur de Broadway. Coup sur coup, La Petite Sirène (1989), La Belle et la Bête (1991), Aladdïn (1992) rétablissent la grandeur du dessin animé et de Disney. Le couronnement vient indéniablement avec Le Roi lion qui rencontre un succès prodigieux à l’égal des blockbusters hollywoodiens. La bande musicale de la star de la pop Elton John triomphe également. À cette croisée des chemins du dessin animé à grand spectacle et de la pop-music, Disney découvre le ticket gagnant. La vie devient belle, Hakuna Matata ! Désormais les jeunes spectateurs acceptent aisément qu’une histoire soit racontée en chansons. Tout est en place pour que la Chose musicale devienne populaire.
L’émergence à grande échelle du nouveau cinéma musical survient au changement de millénaire 2000–2001. Le Festival de Cannes 2000 consacre un film musical : Dancer in the Dark (2000), ça n’était pas arrivé depuis All that Jazz en 1980. Dancer est l’oeuvre du réalisateur avant-gardiste danois Lars von Trier. Ce dernier et la chanteuse auteur des chansons Bjork font référence explicitement aux grandes comédies musicales de l’âge d’or. La mise en images est décapante. On n’en attendait pas moins de Lars von Trier. Cependant les bonnes grosses ficelles du genre sont bien là. Elles rappellent avant tout que l’émotion continue de primer.
Et en l’année 2001, le public a droit aux extravagances de l’australien Baz Luhrmann dans Moulin Rouge lui aussi remarqué au dernier festival de Cannes. Il est accompagné dans son sillage de Hedwig and the angry inch issu du laboratoire new-yorkais de l’Off-Broadway. Bien loin des mièvreries qui ont fait a réputation du cinéma musical, Moulin Rouge et Hedwig détonnent et s’adonnent au délire. Alors que le cinéma non musical explore les effets spéciaux à coup/coût de haute technologie, le cinéma musical réplique en plaçant l’homme et la femme au milieu d’un monde merveilleux. Il semble bien que notre époque réclame du cinéma musical, devenu synonyme de magie, d’évasion et de modernité.
À l’heure du renouveau, il faut aussi saluer des artisans qui méthodiquement ont creusé leur sillon et ont séduit un public qui n’était pas encore innombrable. En premier lieu Gérard Corbiau pour son approche originale de la grande musique classique (Le maître de musique en 1988, Farinelli en 1994, Le Roi danse en 2000). Il évoque les artistes du passé à travers leurs petites et grandes histoires. Du compositeur Lully au castrat Farinelli, Gérard Corbiau restitue une image humanisée de ceux qui ont fait la musique dite « classique ». L’autre grand artisan est Alan Parker, réalisateur éclectique qui aime restituer l’énergie de la musique populaire. Il le prouve avec des films comme Bugsy Malone (1976), Fame (1980), the Wall (1982), The Commitments (1991), ou Evita (1996). Ce faisant il promeut la richesse des diverses formes de spectacle : Broadway, l’opéra rock ou la musique irlandaise.
L’attirance des professionnels du cinéma musical est confirmée par les incursions qu’effectuent certains réalisateurs. Des réalisateurs confirmés comme Woody Allen (Tout le monde dit I love you en 1996), Blake Edwards (Victor Victoria en 1982), Frank Oz (La petite boutique des horreurs en 1982) ont apporté leur contribution. Mais le plus étonnant réside dans les premières oeuvres. Des réalisateurs reconnus depuis ont débuté dans le genre musical : Rob Reiner (This is Spinal Tap en 1984), Tom Hanks (That thing you do en 1996), Jacques Martineau et Olivier Ducastel (Jeanne et le garçon formidable en 1998). Tous ces films n’ont pas tenu le haut de l’affiche loin s’en faut, cependant ils témoignent d’un amour toujours renouvelé pour la fusion magique de l’image et de la musique. Enfin du côté des courts-métrages, les lecteurs assidus de Regard en Coulisse n’ignorent rien des contributions de ses collaborateurs Stéphane Ly-Cuong (La jeune fille et la tortue) et Rémy Batteault (The Funny Face of Broadway). N’est-il pas bien vivant ce cinéma musical ?
Les professionnels et les érudits du cinéma ont toujours maintenu leur affection pour le cinéma musical. Le public était réputé réfractaire, mais les choses changent dans le bon sens. Le cinéma musical a beaucoup mûri pour aborder des sujets plus adultes sans se départir de ses univers merveilleux. Pour aller encore plus loin on peut espérer que théâtre et cinéma parisiens sauront s’accorder. Qui sait si les projets de Starmania au cinéma ne vont pas finir par aboutir ?