Dans le théâtre primitif antique, les exhibitions étaient une des lois fondamentales de la mise en scène sacrée et théâtrale. C’est pour se conformer à cette tradition ancestrale que Cléopâtre, amie des arts, posait complètement nue. Les spectacles de nu, très répandus sous les Républiques grecque et romaine et sous l’Empire romain, furent ensuite interdits par Justinien. Il obligea les mimes, les funambules et les acrobates à porter un caleçon. La nudité fut proscrite pendant plusieurs siècles de la scène. C’est au XIXe siècle que fleurirent à nouveau les pièces où les comédiennes se dévêtaient.
Le spectacle était parfois dans la salle. À l’Opéra, une marquise dont l’Histoire a préféré oublier le nom, avait parié de se montrer au bord de sa loge en costume d’Eve. Elle arriva emmitouflée dans un large manteau de fourrure et se plaça debout au premier rang. Elle apparut complètement nue aux yeux du public ébahi puis remit son vêtement et gagna précipitamment sa voiture avant que la police n’ait eu le temps d’intervenir. Un scandale que le tout-Paris garda longtemps à l’esprit.
Le nu politique
La nudité s’est apparentée dans les années soixante à un combat politique. « Exposer son anatomie, se montrer à l’état de nature, est un acte politique qui oppose la vie charnelle libre aux structures répressives de la société. La nudité est dès lors assimilée à une technique de contestation radicale » explique André Coutin dans son ouvrage : Histoire d’Ô Calcutta, le roman des années nues (Éditions Balland, 1970). La première version de Hair était ainsi conçue comme une révolte contre le Théâtre Musical. Elle était dépourvue d’intrigue et les événements se suivaient sans suite logique. La version ultérieure de cette comédie musicale accentua cet aspect subversif. Les comédiens apparaissaient nus à la fin du premier acte. Ils célébraient les retrouvailles de l’être humain avec la nature. Cette séquence, très fortement médiatisée, a stupéfié le public. Pourtant, cette exposition de corps nus aurait dû mettre moins mal à l’aise les spectateurs de l’époque que plusieurs chansons aux paroles très crues. Dans « Sodomy », Woof fait l’éloge de certaines pratiques sexuelles tandis que Claude glorifie son corps dans « I got life ». Quant à « White Boys », un trio de jeunes filles parodie les Supremes et évoque la réaction de l’ordre établi par rapport aux pratiques sexuelles interraciales.
Par la suite, Kenneth Tynan monta Oh Calcutta! à l’Eden Theatre situé à l’orée de Greenwich Village. Il avait demandé à Camille-Clovis Trouille l’autorisation de projeter son tableau « Oh Calcutta! Calcutta! » sur le rideau de scène du théâtre. L’artiste français avait peint une odalisque qui tourne le dos pour mieux exposer sa croupe dénudée. Cette toile était non seulement un hommage à une Indienne que le peintre avait rencontré dans sa jeunesse mais un jeu de mot évoquant la partie de l’anatomie représentée. Les spectateurs new-yorkais n’ont pas toujours compris ce calembour et se demandaient pourquoi ce spectacle érotique portait le nom d’une ville indienne. Tynan souhaitait faire grimper la révolution sexuelle sur les tréteaux du théâtre bourgeois. Il invitait les spectateurs à laisser leurs préjugés au vestiaire. Dix acteurs jouaient et dansaient nus. Ils simulaient les gestes de l’acte sexuel. Cette série de sketches érotiques avaient notamment été écrits par Samuel Beckett, Dan Greenburg, auteur de comédies à succès, et John Lennon mais l’apport de chaque auteur était laissé délibérément dans l’anonymat. Un inspecteur de la brigade des moeurs de New York était présent dans la salle : afin que la police n’intervienne pas, il avait été décidé avec les comédiens que les parties les plus intimes de leurs corps n’entreraient jamais en contact. La distance réglementaire qui devait séparer les comédiens avait été fixée à l’épaisseur de trois kleenex! Léo Sauvage, le correspondant permanent du Figaro, avait alors déclaré que « l’avenir du nouveau théâtre se joue au millimètre près ». Avant la première, les critiques s’étaient demandées si Oh Calcutta! serait plus scandaleux que Che. Cette pièce avait été écrite en hommage à Che Guevara. Le président des États-Unis, vêtu du seul haut-de-forme étoilé de l’Oncle Sam et le révolutionnaire, également nu, pratiquaient en scène la sodomie et la fellation. Cette pièce était présentée par son auteur comme un pamphlet politique mais son argument publicitaire était très vendeur : pour la première fois, la salle pouvait assister à un accouplement authentique entre comédiens. Cette pièce très scandaleuse fut suspendue après la générale. Oh Calcutta! fit tout de même apparaître Hair comme une revue de patronage et fut vivement critiqué. La vulgarité des sketches fut dénoncée. André Coutin analyse les raisons de ces attaques : « dans notre société, le corps humain peut être métaphore politique ou argument de vente mais il n’a pas le droit d’avoir son langage propre et d’être lui-même un moyen de libre expression. » C’est pourtant grâce à Oh Calcutta! que le théâtre américain gagna à New York la bataille de la prohibition et réussit à prouver au public que tout peut être montré. Cette véritable « sexplosion » théâtrale venue des États-Unis se propagea en Europe où furent présentées des productions locales de Hair et de Oh Calcutta!.
Le nu naturel
Autre temps, autres moeurs. Aujourd’hui, le nu est plus facilement admis sur scène et revêt des formes variées. Les acteurs peuvent dévoiler intégralement ou non leur anatomie. Les lycéens de Grease, Maureen dans Rent et un prisonnier dans Kiss of the Spider woman pratiquent le mooning : ils révèlent leur « lune » sans aucun complexe.
À présent, les comédiens ont la possibilité de jouer et de chanter en tenue d’Adam sans que le spectacle ne soit frappé d’interdiction. Naked Boys Singing!, qui a été originellement présenté par The Celebration Theatre à Los Angeles, se joue depuis le 2 juillet 1999 à l’Actor’s Playhouse dans Greenwich Village. Treize auteurs signent les seize chansons de cette comédie musicale dépouillée. Sur scène, huit comédiens célèbrent la splendeur de la nudité masculine. Ils ont pour tout accompagnement musical un pianiste. Le premier morceau « Gratuitous Nudity » donne le ton : il s’agit pour les comédiens de se débarrasser de leurs inhibitions. Et il n’est nullement question de choquer. Comme l’affirme la chanson « Window to the Soul », les comédiens ont pris conscience que la nudité est une autre fenêtre sur l’âme. Les numéros sont dans leur ensemble comique. La chanson « Muscle Addiction » relate l’ambiance des salles des sports, celle intitulée « Bliss of a Bris » traite sur un mode amusé de la circoncision. Certains morceaux sont émouvants : une ballade est dédiée à une personne décédée du sida. Après l’entracte, un des comédiens s’adresse aux spectateurs et se plaît à leur demander s’ils ne sont pas mal à l’aise d’être habillés face aux comédiens. Quelqu’un souhaiterait-il se joindre à eux? Un bon moyen de réaliser que le nu est le costume le plus difficile à porter puisque personne n’ose se mêler à la troupe.
Quant à The Full Monty, cette comédie créée par David Yazbek et Terrence McNally se joue depuis le 26 septembre 2000 à l’Eugene O’Neill Theatre de New York. Dans cette version musicale du film éponyme de 1997, les six mineurs au chômage ne viennent pas de Sheffield en Angleterre mais de la ville américaine Buffalo. Afin de gagner leur vie, ils décident de faire un show de strip-tease. Grisées, les femmes les encouragent à tout révéler de leur anatomie. Cette dernière création dévêtue est un spectacle destiné à toute la famille.
À l’instar d’André Coutin, ne pourrions-nous pas supposer que « ce que l’on suggère et qui est interdit n’est-il pas, décidément, plus excitant que ce que l’on étale sans restriction? »