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Le mythe de Roméo et Juliette — L’amour plus fort que la mort

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Une affiche de Giuletta e Romeo (1922), de Riccardo Zandonai (1833-1944) ©DR
Une affiche de Giulet­ta e Romeo (1922), de Ric­car­do Zan­don­ai (1833–1944) ©DR

Le pub­lic con­naît depuis le XVIe siè­cle, l’his­toire trag­ique de Roméo Mon­taigu et Juli­ette Capulet, les amants de Vérone. Elle est évo­quée dans plusieurs recueils de nou­velles en Ital­ie. Quelques tra­duc­tions ont franchi les fron­tières et ont inspiré à l’im­mense dra­maturge anglais William Shake­speare sa célèbre pièce Roméo et Juli­ette (vers 1595). Il a don­né une vision théâ­trale très poé­tique et sen­si­ble. La pièce s’ar­tic­ule autour de moments forts, qui trans­for­ment le fait-divers en mythe. Sur fond de haine farouche entre deux familles, Roméo et Juli­ette s’ai­ment en cachette, et veu­lent se mari­er. Un ténébreux con­cours de cir­con­stances pousse Roméo à tuer un proche de Juli­ette. Mal­gré cette faute involon­taire, le père Lau­rent accepte de les mari­er en secret. Pour échap­per à un hymen imposé, Juli­ette avale un breuvage qui lui donne une apparence de mort. Roméo, qui ignore le sub­terfuge, se sui­cide de douleur devant la « dépouille » de l’Aimée. Elle-même se poignarde en décou­vrant le corps de son amant à son réveil.

Un grand suc­cès opéra­tique en Ital­ie et en France
À une époque où les écrits de Shake­speare n’avaient pas encore tra­ver­sé la Manche, les sources var­iées abon­dent dans lesquelles puis­er. Dans le pays d’o­rig­ine des amants, les com­pos­i­teurs ital­iens d’opéras délectent le pub­lic, sans recourir à la ver­sion de Shake­speare. Aux cotés des ver­sions de Nico­la Anto­nio Zin­garel­li (Juli­ette et Roméo en 1796), et de Vac­caï (Juli­ette et Roméo en 1825), la plus remar­quable adap­ta­tion lyrique est celle de Vin­cen­ze Belli­ni I Capuleti e i Mon­tec­chi (1830). Elle aurait été inspirée d’un réc­it tiré de Le nov­el­le (1554), écrit par Mat­teo Ban­del­loi. En France, avec l’avène­ment du Roman­tisme dans les années 1830, les artistes s’en­flam­ment pour Shake­speare. Hec­tor Berlioz pro­pose un Roméo et Juli­ette (1839), mais en ver­sion sym­phonique avec chant, donc sta­tique. Il réserve d’autres oeu­vres de l’au­teur pour l’opéra. C’est Charles Goun­od, en quête d’un suc­cès qui se fait atten­dre depuis Faust (1859), qui crée Roméo et Juli­ette à l’opéra en 1867. Et le suc­cès est effec­tive­ment au ren­dez-vous pour le com­pos­i­teur. Habile­ment, il a su utilis­er ses immenses dons mélodiques aux emplace­ments clés amé­nagés par la pièce. Goun­od s’ap­puie égale­ment sur le grand ressort dra­ma­tique du Roméo et Juli­ette de Shake­speare: Le pub­lic devine avant les pro­tag­o­nistes ce qui va se pass­er et il assiste impuis­sant à la marche vers l’abîme, réglée sur une mécanique imparable.

Un texte d’une si grande qual­ité finit aus­si par con­stituer un hand­i­cap. En effet, une fois la pièce bien instal­lée, peu de com­pos­i­teurs de pre­mier plan oseront après Goun­od, s’at­ta­quer au red­outable chef d’oeu­vre de Shake­speare. On notera bien la ten­ta­tive de Ric­car­do Zan­don­aï (Juli­ette et Roméo) en 1922, mais ce com­pos­i­teur rival de Puc­ci­ni, et son oeu­vre, ne sont pas restés dans les mémoires. Pour échap­per à l’om­bre écras­ante du dra­maturge anglais, on en vient à des vari­antes qui repren­nent le principe du cou­ple d’amoureux vic­times de l’an­tag­o­nisme des familles: Roméo et Juli­ette au vil­lage (1907) de l’anglais Fred­er­ick Delius, Roméo et Juli­ette (1988) de Pas­cal Dusapin. Dans l’un, les amoureux sont des vil­la­geois nom­més Sali et Ver­li (!), dans l’autre ce sont des artistes qui répè­tent une pièce.

Quand la comédie musi­cale s’empare du mythe
Le salut de Roméo et Juli­ette passe par l’Amérique et le musi­cal, grâce à West Side Sto­ry (1957). Ici, les amoureux vivent à New York, ils appel­lent Tony et Maria. Ils s’ai­ment mais leurs com­mu­nautés respec­tives, les Jets polon­ais et les Sharks por­tor­i­cains, se haïssent. À l’o­rig­ine de cet affron­te­ment : le racisme. Broad­way réserve un tri­om­phe à cette trans­po­si­tion mod­erne, qui a renou­velé dans la forme un clas­sique, en affichant sa pro­pre orig­i­nal­ité. West Side Sto­ry doit son suc­cès au tal­ent de la « dream-team » qui a présidé à sa créa­tion : Leonard Bern­stein (musique), Stephen Sond­heim (paroles), Arthur Lau­rents (livret) et Jerome Rob­bins (choré­gra­phie). Et pour parachev­er cet accom­plisse­ment, un film de Robert Wise en 1961 a propagé ce suc­cès vers le pub­lic du monde entier.

Les amants de Vérone ont acquis le statut d’im­mor­tal­ité, grâce aux mots de Shake­speare cer­taine­ment, mais surtout grâce à la force obstinée de leur amour, au-delà de la mort. La haine trou­vera tou­jours mille argu­ments pour se nour­rir elle-même. Quand elle en vient à détru­ire les plus belles fleurs de la jeunesse, les raisons de haïr en devi­en­nent absur­des. Man­i­feste­ment, ce mes­sage n’a rien per­du de son actu­al­ité. C’est en tout cas ce qu’a dû penser Gérard Pres­gur­vic qui a décidé, à son tour de s’at­ta­quer à ce mythe. Roméo et Juli­ette, de la Haine à l’Amour, fera ses pre­miers pas en jan­vi­er 2001. On saura alors si le pub­lic accueille tou­jours la fraîcheur trag­ique les chants d’amour entre Roméo et Juli­ette avec la même ten­dresse infinie.

Liste des oeu­vres citées
Giulet­ta e Romeo (1796 — Juli­ette et Roméo), opéra de Nico­la Anto­nio Zin­garel­li, livret de G.M.Foppa.
Giulet­ta e Romeo (1825 — Juli­ette et Roméo), opéra de Nico­la Vac­cai, livret de Felice Romani
I Capuleti e i Mon­tec­chi (1830 — Les Capulet et les Mon­taigu), opéra de Vin­cen­ze Belli­ni, livret de Felice Romani.
Roméo et Juli­ette (1839), sym­phonie dra­ma­tique de Hec­tor Berlioz, d’après Shakespeare.
Roméo et Juli­ette (1867), opéra de Charles Goun­od, livret de Jules Bar­bi­er et Michel Carré.
Roméo und Juli­ette auf dem Dorfe (1907 — A vil­lage Romeo and Juliet/Roméo et Juli­ette au vil­lag), opéra de Fred­er­ick Delius, livret du compositeur.
Giulet­ta e Romeo (1922 — Juli­ette et Roméo), opéra de Ric­car­do Zan­don­ai, livret de Arturo Rossato.
West Side Sto­ry (1957), musi­cal de Leonard Bern­stein (musique), Stephen Sond­heim (paroles), livret de Arthur Laurents.
Roméo et Juli­ette (1988), opéra de Pas­cal Dusapin, livret de Olivi­er Cadiot.
Roméo et Juli­ette, de la Haine à l’Amour (2001), musi­cal de Gérard Pres­gur­vic (paroles et musique).