Le soufflé est retombé…
Cela fait déjà quatre ans qu’est sorti Chicago, LA comédie musicale filmée qui a relancé à Hollywood un genre moribond depuis de nombreuses années. Le film aux six Oscars et multiples autres prix avait, à l’époque, contribué à l’éclosion de nombreux projets du même acabit. Conséquence directe de ce succès, Rent et The Producers, adaptations de deux célèbres shows de Broadway, ont eu l’honneur d’une sortie sur grand écran à la fin de l’année dernière. Mais le couperet est vite tombé : 31 millions de dollars de recettes mondiales pour Rent (dont 29 sur le sol américain), 38 millions pour The Producers (dont 28 aux Etats-Unis). Avec des budgets respectifs de 40 et 45 millions, on peut parler de bides monumentaux à côté desquels les résultats en demi-teinte de Phantom of The Opera (153 millions de recettes mondiales), sorti un an avant, pourraient prendre des allures de triomphe planétaire (pour indication, un film comme Pirates des Caraïbes 2 vient d’accumuler une recette d’un billion de dollars dans le monde entier, chiffre, certes, exceptionnel). Il serait injuste d’imputer ces échecs à la mauvaise qualité des films, ce qu’ont fait la plupart des journaux spécialisés et des sites de fans. Ni Rent, ni The Producers (pas plus, d’ailleurs que Phantom of The Opera) n’ont atteint l’achèvement artistique de Chicago, mais les deux films regorgent de qualités qui suffisent à rendre leur vision très exaltante. Rent, en particulier, est parvenu, en dépit de ses faiblesses, à retranscrire l’émotion brute du spectacle original, porté par un casting très convaincant, l’incroyable Rosario Dawson en tête. Pourtant, on peut tenter de chercher des explications objectives à la désaffection du public pour ces deux long-métrages.
Les deux films sont des transpositions de spectacles scéniques. La plupart du temps, les shows de Broadway produits pour le grand écran ont une réputation nationale (voire, dans certains cas, mondiale : ainsi Chicago a triomphé aussi bien à New York qu’à Londres, Amsterdam ou Sydney). Le succès de Rent n’a jamais vraiment dépassé le cadre de New York. De même, si The Producers s’est transformé en phénomène sur la Grande Avenue, le film a été lancé avant que ce succès n’ait pu vraiment se répéter ailleurs. Une version grand écran sur cette seule référence théâtrale ne pouvait intéresser qu’un faible nombre de spectateurs. Les deux films ont également pris le parti d’une fidélité extrême à l’oeuvre scénique. En conséquence, on y retrouve, dans les deux cas, le casting original, agrémenté de quelques guests pas forcément « bankables » (Uma Thurman et Will Ferrell pour The Producers, Rosario Dawson pour Rent). On ne peut que féliciter le choix d’imposer des noms peu connus du grand public (surtout dans le cas de Rent, les héros de Producers, Matthew Broderick et Nathan Lane ayant une petite carrière au cinéma) par souci d’intégrité artistique, ce qui est rarement le cas dans ce type d’adaptation (rappelons l’exemple de Julie Andrews, remplacée par Audrey Hepburn dans la version cinéma de My Fair Lady, parce qu’elle n’était pas assez connue). Cependant, il semble aujourd’hui évident que la présence de stars comme Renée Zellweger, Catherine Zeta-Jones ou Richard Gere est pour beaucoup dans le succès rencontré par Chicago. La thématique des deux oeuvres n’était peut-être pas non plus porteuse pour le grand public. Rent aborde des sujets difficiles tels que le sida, la drogue, la pauvreté, l’homosexualité. The Producers évolue sur un terrain ultra référencé (le petit monde de Broadway passé à la moulinette de l’humour juif) donc, pas forcément fédérateur. Enfin, et surtout, Rent comme The Producers ont été accueillis plus que fraîchement par la critique. Le choix de Chris Columbus, réalisateur de la série Maman, j’ai raté l’avion, pour adapter le travail de Jonathan Larson a d’emblée provoqué le septicisme le plus total, tout comme on a reproché à Susan Stroman de ne pas avoir su utiliser le langage cinématographique pour transposer sa propre mise en scène de théâtre. Le jeu outré de Nathan Lane et, surtout, Matthew Broderick a également beaucoup été mis en cause dans The Producers. Quant à la troupe de Rent, on a insisté sur son manque de fraicheur, la plupart des artistes ayant créé leur rôle sur scène huit ans plus tôt. Plus généralement, les critiques ont souligné l’incapacité des deux oeuvres à recréer de manière purement cinématographique des concepts qui avaient trouvé leur plein aboutissement sous la forme théâtrale (la comparaison avec le film original de Mel Brooks n’a pas non plus aidé The Producers). Au final, bien que sortis en pleine saison des prix (entre septembre et décembre), les deux films n’en ont rapporté aucun ce qui, là encore, n’a pas servi la diffusion du film (pour mémoire, la publicité de Chicago avait été essentiellement basée sur ses huit nominations aux Golden Globes).
En parallèle de ces deux échecs, la plupart des projets lancés à la même époque ont été annulés. On n’entend plus parler, aujourd’hui, des adaptations de Damn Yankees, Pippin, Urinetown, Batboy, Sunset Boulevard, Bye Bye Birdie version hip-hop ou du remake de Footloose. Idlewild, le film de Brian Barber avec les membres du groupe Outkast n’a bénéficié que d’une sortie limitée le 25 août dernier, ne rapportant au total que 12 millions de dollars sur le sol américain. Pire encore, Romance and Cigarettes, la comédie musicale de John Turturro avec James Gandolfini, Susan Sarandon et Kate Winslet, terminée depuis plus d’un an et présentée en septembre 2005 au Festival de Venise, n’a toujours pas de date d’exploitation prévue aux Etats-Unis. UA/MGM qui avait à l’époque produit le film a, en effet, revendu, depuis, son catalogue à la firme Sony, qui, ne sachant comment l’exploiter l’a relégué au placard (il est par contre sorti en Angleterre où il sera bientôt disponible en DVD). A l’heure actuelle, le renouveau de la comédie musicale hollywoodienne semble avoir fait un grand pas en arrière.
… mais Hollywood s’accroche !
Si le mouvement est ralenti, il n’en est pas moins vivace. En effet, plusieurs films lancés avant la débacle de Rent et The Producers vont envahir les écrans dans les mois qui viennent. Chacune de ces productions a pris soin de ne pas répéter les erreurs passées.
Dreamgirls : Annoncée depuis plus d’un an, l’adaptation de la comédie musicale signée Tom Eyen (livret et lyrics) et Henry Krieger (musique) a bénéficié d’une campagne de promotion digne des grandes superproductions. En effet, les sociétés Dreamworks (sous l’égide de Steven Spielberg) et Paramount ont lancé le premier teaser en décembre dernier sans que la moindre image n’ait été tournée, procédé exploité d’ordinaire pour les blockbusters tels que Mission Impossible ou Superman Returns. Des extraits ont été diffusés avec parcimonie jusqu’à une présentation de vingt minutes qui a remporté un franc succès au dernier Festival de Cannes, en présence des acteurs du film. A cette volonté de susciter l’attente s’ajoute la constitution d’une équipe artistique plus ou moins calquée sur celle de Chicago jusqu’à son scénariste, Bill Condon, qui officie également, ici, comme réalisateur. Nul doute que les producteurs ont l’intention de faire de Dreamgirls le candidat idéal aux Oscars. En outre, le film bénéficie d’une distribution de choix. Lui-même détenteur d’un Oscar pour sa prestation dans Ray, Jamie Foxx, LA star afro-américaine du moment (il est apparu cette année dans Miami Vice et Jarhead) tient le premier rôle masculin. La chanteuse de R’n’B Beyonce Knowles incarne un personnage inspiré librement de Diana Ross. L’acteur comique Eddie Murphy fait un come back savamment orchestré, dans son premier rôle dramatique et musical (avec un Oscar à la clé ?). Quant au rôle central d’Effie White, il sera tenu par Jennifer Hudson, ex-finaliste de « Pop Idol » (version américaine de « A la recherche de la nouvelle star »). Tout concourt à faire de ce film une vraie réussite artistique et commerciale. Dreamgirls devra cependant dépasser deux obstacles importants. Le premier sera de repenser une oeuvre qui, à la base, est intégralement chantée. Rent et Phantom of The Opera n’avaient pas trouvé de solution complètement convaincante pour transposer ce procédé au cinéma. Le second est la participation de Beyonce au film. Si le casting s’avère artistiquement judicieux, il se peut que l’interprète pâtisse aux yeux du public des expériences cinématographiques malheureuses de ses consoeurs Mariah Carrey (Glitter) ou Madonna. Le film débarquera dans les salles américaines le 21 décembre prochain et, en France, le 28 février 2007.
Hairspray :
Bien qu’initiée par les producteurs de Chicago, Neil Meron et Craig Zadan (également à l’origine des téléfilms à succès Annie et The Music Man), cette adaptation de la comédie musicale de Mark O’ Donnell, Thomas Meehan (livret), Marc Shaiman (musique et lyrics) et Scott Wittman (lyrics), tirée elle même du film homonyme de John Waters, ne vogue pas sur les mêmes eaux que Dreamgirls. Le film lorgnerait plutôt du côté de Grease. Histoire de faire la transition, l’ex-héros de Grease lui-même, John Travolta, incarne le rôle vedette (et travesti de surcroit) d’Edna Turnblad créé sur scène par Harvey Fierstein et dans le film original par Divine. Il est entouré d’une distribution hétéroclite et surprenante qui comprend Michelle Pfeiffer (pour l’anecdote, l’ex-héroïne de Grease 2), Christopher Walken (Arrête-moi si tu peux), Queen Latifah (Mama Morton dans Chicago), James Marsden (Superman Returns), Allison Janney (de la série A la Maison Blanche), Amanda Bynes (de la série Ce que j’aime chez toi), Zac Efron (héros du triomphe télévisuel de la saison passée High School Musical) et de la jeune inconnue Nikki Blonsky à laquelle les spectateurs vont pouvoir, du fait de son statut, complètement s’identifier. Cette équipe devrait, du moins aux Etats-Unis où certains de ses membres sont plus connus qu’en France, assurer un joli succès au film. Seul bémol, le metteur en scène Adam Shankman (ancien chorégraphe qui dirige également les numéros du films) ne brille pas par sa filmographie. Mais qui se souvient aujourd’hui de Randal Klaiser (le metteur en scène de Grease)? Qu’importe le style, si l’énergie est là ? C’est ce qu’on souhaite à ce film qui sortira, aux Etats-Unis, en pleine saison des blockbusters (tout comme Grease à son époque), le 20 juillet 2007 (sortie française inconnue).
Sweeney Todd : Tout comme Chicago, Evita, Phantom et Dreamgirls, Sweeney Todd, l’adaptation sur grand écran du spectacle de Stephen Sondheim est une véritable arlésienne dans le paysage cinématographique. Le projet a été lancé en 1992. A l’époque, Tim Burton devait réaliser le film pour le compte de la Columbia. Le studio ayant changé de direction, le projet est tombé aux oubliettes. Après plusieurs années d’atermoiements, Steven Spielberg achète les droits de l’adaptation pour Dreamworks. La rumeur court qu’il va le réaliser lui-même. Finalement, Sam Mendes (American Beauty au cinéma, Cabaret à Broadway) récupère le film qu’il prévoit de réaliser sous la banière de sa société Scamp Films and Theatre Ltd. Un scénario est écrit sous la plume de John Logan. Finalement, Mendes abandonne le navire et se voit remplacé par Tim Burton. La boucle est bouclée. A l’heure actuelle, Burton travaille sur le script de Logan. Les répétitions pour le film démarreront en décembre, le début du tournage étant fixé à début février 2007 pour une sortie en décembre de la même année. Le casting n’étant absolument pas finalisé, il est difficile d’émettre des pronostics. Il est cependant intéressant de constater que peu de « grands » metteurs en scène se sont lancés dans la comédie musicale ces quarante dernières années. Le seul qui vienne en mémoire est John Huston qui réalisa la version cinématographique de Annie. Sweeney Todd s’annonce donc comme la première comédie musicale « d’auteur » réalisée depuis longtemps. Il est vrai que le caractère macabre et grand-guignolesque de l’oeuvre de Sondheim s’accorde très bien à l’univers déjanté de Burton. Et le choix de Johnny Depp pour incarner le rôle titre ne fait qu’attiser notre curiosité.
Across The Universe :
C’est dans le plus grand mystère qu’a été tourné ce film inspiré par le répertoire des Beatles. A l’origine, une idée de Julie Taymor, metteur en scène de théâtre respectée (elle a mis en scène le fameux Lion King) et réalisatrice au cinéma de Titus (d’après Shakespeare) et Frida (d’après la vie de Frida Khalo). La distribution ne comprend que des inconnus (Jim Sturgess, Joe Anderson) à l’exception de Rachel Evan Wood, ex-héroïne de la série Once and Again et vue récemment dans Thirteen. Le scénario conte l’histoire d’amour de deux jeunes gens dans l’Amérique des années 60. Prévue pour début novembre, la sortie du film a été repoussée à une date indéterminée. Victime de l’échec de Rent et de plusieurs autres de ses productions, la société Revolution a cessé d’initier les films et se contente aujourd’hui de distribuer ceux qu’elle avait déjà mis en chantier. Le budget de Across the Universe dépasse largement les 50 millions de dollars, il est donc important pour le studio de sortir le film au bon moment. Les premières sneak previews ont commencé. Les retours en sont pour le moins contrastés allant du génial trip hallucinogène au nullissime patchwork visuel. S’il est vrai que l’on garde en mémoire l’inénarable Sergent Pepper Lonely Heart Club Band produit par Robert Stigwood (Saturday Night Fever, Grease) où les Bee Gees remplaçaient les « quatre garçons dans le vent », on peut faire confiance au côté visionnaire de Julie Taymor pour réaliser une oeuvre qui ne laisse pas indifférent. La sortie française est fixée au 18 avril 2007.
Cet été s’est déroulé le tournage d’un film musical intitulé Enchanted. Si le réalisateur Kevin Lima n’inspire guère confiance (il a commis, entre autres, 102 dalmatiens), la distribution comprend la sublime Idina Menzel (Rent) et les chansons sont signées Alan Menken et Stephen Schwartz (le duo derrière Le bossu de Notre-Dame et Pocahontas des studios Disney). Le film qui raconte les déboires d’une princesse de conte de fée à la recherche de son prince charmant dans le New York d’aujourd’hui mêle animation et prises de vue réelle. Sa sortie américaine est prévue pour novembre 2007. Par ailleurs, le comédien-producteur Tom Hanks a récemment acheté les droits de l’adaptation cinématographique du « juke-box musical » Mamma Mia. On parle évidemment de son épouse Rita Wilson, qui vient de faire des débuts remarqués dans Chicago à Broadway, pour en tenir le rôle principal. Mais toute annonce de casting est, pour l’instant, prématurée. Le film ne devrait pas sortir avant décembre 2008. Enfin, Hugh Jackman qui avait signé, l’année dernière, un contrat avec les studios Disney pour produire et interpréter trois comédie musicales, semble avoir fait son choix. On l’annonce dans l’adaptation de The Boy From Oz (spectacle sur la vie de l’auteur-compositeur Peter Allen qu’il a créé à Broadway et qu’il reprend actuellement à Sydney), dans le remake de Carousel où il interprèterait Billy Bigelow, et enfin dans If You Could See Me Now adaptation musicale d’un roman de Cecelia Ahern. Mais ces projets n’en sont encore qu’à l’état de préparation (si ce n’est au stade de la rumeur pour The Boy From Oz).
L’échec de Rent et de The Producers n’a donc pas complètement enrayé le renouveau du cinéma musical américain. Et en attendant qu’un de ces films ne vienne répéter le succès de Chicago, les amateurs du genre ont de quoi se réjouir.