de : Christian Siméon
mise en scène : Jean-Luc Revol
avec : Denis D’Arcangelo
Sinan Bertrand
Alexandre Bonstein
Jérôme Pradon
musique : Patrick Laviosa
assistant à la mise en scène : Laurent Courtin
scénographie : Sophie Jacob
son : Clément Hoffmann
costumes : Aurore Popineau
lumières : Philippe Lacombe
chorégraphe : Armelle Ferron
La saison du théâtre musical démarre sur les chapeaux de roue. Avec Le cabaret des hommes perdus, Christian Siméon (textes), Patrick Laviosa (musique) et Jean-Luc Revol (mise en scène) jettent un pavé dans la mare des spectacles musicaux parisiens. OVNI flamboyant, mouton noir vêtu de paillettes, ce Cabaret pas comme les autres ne cherche pas à caresser le spectateur dans le sens du poil. Le numéro d’ouverture invite plutôt le public… à déguerpir !
Quand Jean-Luc Revol déclare avoir voulu retrouver l’esprit subversif originel du cabaret, il semblerait bien qu’il l’ait trouvé. En effet, ce spectacle ne nous offre ni plus ni moins que de partager la trajectoire fulgurante et pathétique de Dickie, star du porno gay malgré lui, et au passage, aborde quelques thèmes pas franchement consensuels, à mille lieues du formatage ambiant.
Alors que beaucoup de scènes parisiennes se contentent de nous proposer des historiettes désespérément bourgeoises, Revol et ses hommes perdus nous jettent à la face du sang, des larmes, du sperme, mais aussi des plumes, du strass, et du glamour. Dans ce cabaret, le glauque côtoie le sublime, l’extravagance cohabite avec la pudeur, le grandiose flirte avec le dérisoire. Passant du rire aux larmes, la mise en scène au cordeau de Jean-Luc Revol cultive l’art de la nuance, d’autant plus difficile que l’écriture de Siméon joue volontairement aux montagnes russes. On pourrait donc craindre de tomber tantôt dans la caricature, tantôt dans le pathos mais dirigé par Revol, l’excès est assumé, outrancier et délicieusement artificiel. Quant à l’émotion, elle est brute, violente et poignante.
Si le sujet en lui-même paraît ultra marginal, si l’univers décrit peut sembler ne concerner qu’une minorité, il n’en est pourtant rien tant la problématique centrale de la pièce est universelle. Dickie « face à son destin », c’est n’importe quel être humain confronté aux choix qu’il doit faire à un moment de sa vie. Quelle direction choisir lorsqu’on arrive à la croisée des chemins ? Peut-on prendre à la légère une décision qui va influencer toute sa vie ?
Sous ces allures de divertissement iconoclaste, ce cabaret invite le spectateur à une réflexion bien plus tragique et profonde que ce à quoi il pourrait s’attendre
Pour servir ce propos, il y a une distribution de choix. On connaissait déjà le talent des quatre comédiens principaux (Alexandre Bonstein, Denis D’Arcangelo, Sinan et Jérôme Pradon) pour les avoir vus dans des spectacles aussi variés que Les Misérables, Hair, Créatures ou Mme Raymonde. On aurait pu penser que des rôles écrits sur mesure les auraient cantonnés dans ce qu’ils savent faire. Au contraire, les personnages qu’ils interprètent laissent éclater des facettes encore jamais (ou rarement) dévoilées de leur travail d’acteur. Le résultat est époustouflant, jubilatoire et l’alchimie entre les quatre toujours présente.
Alors que Le cabaret des hommes perdus entame à peine ses quelques semaines de représentation au Théâtre du Rond Point, on lui prédit déjà ? sans prendre trop de risques ? un statut de spectacle culte. Courez‑y vite et si l’on vous intime de décamper en guise d’accueil, n’en faites rien, vous risqueriez de rater le spectacle le plus intéressant de la saison.