Laurent Ban, interpréter un personnage comme Zorro, cela représente quoi pour vous ?
C’est un rêve d’enfant qui se réalise. Je crois que je fais ce métier parce que j’ai gardé en moi cette part d’enfant quoi qu’il arrive. Jouer des personnages, c’est se déguiser. Revêtir un costume de super héros augmente encore la part de rêve. Là où c’est intéressant, c’est que ce n’est pas juste une interprétation en surface ; on me demande d’aller chercher des choses à l’intérieur du personnage.
Vous jouez dans Zorro depuis cinq mois. Comment vivez-vous cette aventure ?
C’est un vrai cadeau. Ce qui m’excite profondément dans ce métier, c’est d’explorer des choses nouvelles à chaque fois. Avec ce rôle, je suis bien servi : il englobe le chant, le jeu avec des vraies scènes consistantes, la danse, l’escrime, les cascades, sans parler des tours de magie. Le spectacle est à la hauteur de ce que je pouvais espérer. C’est une troupe sublime mêlant plusieurs nationalités et venant d’horizons artistiques différents. Il y a une vraie fraternité et une vraie complicité entre nous. Humainement, j’ai fait de belles rencontres. Georges Beller est quelqu’un de très sensible sur lequel j’ai pu m’appuyer. Avec Yan Duffas, mon frère dans l’histoire, même si on s’affronte sur scène, il se passe de très belles choses. Avec Liza Pastor (Luisa), nous étions déjà complices sur Hair. Géraldine Larrosa (Ines), que je connais pourtant depuis six ans, m’a montré un côté extrêmement généreux, un désir d’aider les autres. Je suis très heureux avec toute cette troupe.
Prenez-vous toujours autant de plaisir ?
Le rôle évolue tout le temps. Encore maintenant, nous travaillons avec Frédéric Baptiste (metteur en scène résident) pour faire évoluer certaines scènes. Par exemple, depuis une semaine, j’attaque la scène du Diego dandy d’une manière complètement différente, plus intériorisée et moins délirante. Christopher Renshaw, le metteur en scène, est revenu nous voir il y a quinze jours, il nous a donné l’autorisation. Il sait prendre du recul.
Qu’est-ce qui vous a motivé au départ dans ce projet ?
Plusieurs éléments encourageants : une production Stage Entertainment qui, avec Cabaret et Le Roi Lion, a déjà montré qu’elle avait la capacité de monter de très beaux spectacles, une équipe artistique très compétente et le fait que je pouvais correspondre au premier rôle. Et puis il y a eu les auditions. Nous avions en face de nous des gens de théâtre qui ne nous demandaient pas juste de faire du remplissage entre deux chansons. J’ai pris des cours d’escrime et de flamenco pour être prêt pour les auditions parce que je savais qu’en face il y aurait une équipe anglaise exigeante.
Vous avez failli ne pas jouer puisque vous avez eu un grave accident pendant les répétitions…
Une semaine avant la première, je me suis pris un cascadeur de 85 kilos sur les cervicales pendant la scène de « Baila me ». Je suis resté immobilisé au sol, impossible de me relever, on m’a envoyé aux urgences. J’ai eu une compression de la moelle épinière. Le médecin m’a dit que j’étais passé à un millimètre de la tétraplégie ou de la mort.
Pas d’autre accident sur scène depuis ?
Si ! Il y a deux semaines, je me suis ouvert le crâne en me prenant une poutre en ferraille lors d‘un déplacement en coulisse. Heureusement, c’est arrivé un quart d’heure avant la fin de la représentation, j’ai continué avec une compresse sous le masque pour absorber le sang. Pour le combat final, un peu de sang c’était bien !
C’est un spectacle très physique. Vous astreignez-vous à un entraînement quotidien, à une hygiène de vie ?
Question entraînement physique, le spectacle se suffit en lui-même ! J’ai perdu cinq kilos, c’est un vrai marathon. Mais j’avoue que je ne suis pas très sérieux. J’ai tendance à me coucher à cinq heures du matin, à me lever à onze heures, ce n’est pas bien. Finalement, je vis un peu comme mon personnage qui est tout feu tout flamme !
Quels sont pour vous les points forts du spectacle ?
C’est la richesse de tout ce que nous donnons au public. Visuellement, entre la pyrotechnie, les cascades, les danses, les couleurs, le décor, les costumes, je crois que c’est très réussi. C’est très dynamique. J’aime beaucoup l’écriture du spectacle. Les rapports entre les personnages sont riches et complexes même si cela reste une histoire de super héros très grand public. Chaque personnage a plusieurs facettes à défendre. Quand on va voir ce spectacle, on a une idée de ce qu’est un musical à l’anglo-saxonne où chaque artiste est multi disciplinaire.
Y a‑t-il des aspects qui vous plaisent moins ?
Un petit peu moins de romantisme à l’eau de rose ne m’aurait pas déplu. Mais on ne s’en tire pas si mal parce qu’au départ Zorro devait danser avec Luisa, et là je trouvais que ça ne marchait pas du tout ! Personnellement, je n’aurais pas terminé le spectacle par le baiser avec une morale un peu naïve. Je préfère le côté rugueux du spectacle.
Entre les deux facettes de Diego et Zorro, vous jouez finalement trois personnages en un. Lequel a votre préférence ?
Le plus enrichissant, c’est le vrai Diego, à la fois fanfaron et très sensible, celui qui crée les deux autres personnages : le Diego dandy et Zorro. Il les crée avec sa vision de jeune homme qui pense que c’est comme ça qu’il faut faire. On se rend compte qu’il se plante, qu’il est maladroit, c’est ce qui est drôle d’ailleurs. Au départ, il se prend les pieds dans sa cape quand il fait Zorro avec une grosse voix de stentor, il est dans un excès de préciosité quand il fait le dandy. C’est ce côté riche et complexe du personnage qui me plait. Cela va au-delà du gars qui se contente de mettre sa cape pour faire Zorro.
Vous sentez-vous proche de Diego ?
Ce rôle me touche beaucoup plus que n’importe quel autre. Il y a pas mal de points dans le spectacle qui me parlent, qui résonnent en moi. Pas mal de choses qui sont très proches de moi, des choses personnelles et douloureuses qui ressortent. Pour parler clairement, l’image du père, la recherche du père, c’est quelque chose qui me tient à cœur dans ma vie affective. C’est une lumière qui me guide et cette lumière, je pense qu’elle est présente sur ce spectacle parce que tous les soirs je me retrouve confronté à une période de ma vie qui a été très difficile et je dois surmonter cette situation. Ce parcours du personnage dans le spectacle est aussi une sorte de parcours initiatique pour moi. J’y ai pensé en jouant le personnage pendant plusieurs mois. J’ai été très perturbé. Cela fait seulement deux mois que je commence à me sentir plus libre par rapport à tout ça ; au début c’était très lourd.
En juin, dans le cadre du Festival Diva, vous allez présenter Le Journal d’Adam et Eve, un spectacle qui vous tient à coeur…
A l’origine, c’est un spectacle italien de Riccardo Castagnari inspiré de deux nouvelles de Mark Twain, « Le Journal d’Adam » et « Le Journal d’Eve ». Avec Chiara di Bari, nous en avons fait une nouvelle version très proche de nous, qui parle des rapports homme-femme et de couple en général mais de manière positive. C’est drôle, émouvant. Il y a des chansons écrites par Didier Begon, Stéphane Corbin, Hervé Devolder et moi, avec Daniel Glet (directeur musical sur Zorro) pour l’habillage musical.
D’autres projets ?
J’ai plusieurs pistes, je suis en train de passer des auditions et de rencontrer des gens qui m’ont demandé de participer à leur projet. Actuellement, je travaille sur l’écriture d’un spectacle sur mon père justement, sur sa vie qui pour moi a été un parcours assez incroyable, j’ai envie de lui rendre hommage. L’idéal serait de le jouer avec mon frère David.
Etes-vous optimiste sur l’avenir du théâtre musical en France ?
Je suis optimiste parce qu’il existe beaucoup plus de projets qui voient le jour qu’il y a quelques années. Mais on a encore besoin de mieux faire connaître aux gens ce genre de spectacle. Malheureusement, on n’a pas encore trouvé le bon angle d’approche pour communiquer et promouvoir un spectacle de théâtre musical qui ne se résume pas à un album et des tubes. Il faudrait que les médias, et la télévision en particulier, s’ouvrent à ce type de spectacle. Il faudrait aussi qu’il y ait un peu plus de solidarité au sein du petit monde du théâtre musical et moins de mesquineries. La situation est encore fragile, nous avons besoin de nous serrer les coudes, d’être positifs.