D’après La Grande-duchesse de Gérolstein.
Opéra-bouffe de Jacques Offenbach.
Livret Henri Meilhac et Ludovic Halévy.
Direction musicale : Christophe Grapperon.
Mise en scène : Philippe Béziat.
Par la compagnie Les Brigands.
Avec Isabelle Druet (la Grande-duchesse), Olivier Naveau et Guillaume Paire (deux soldats), David Ghilardi (le Soldat Krak), François Rougier (le Soldat Fritz), Antoine Philippot (le Général Boum), Flannan Obé (le Baron Puck), Olivier Hernandez (le Prince Paul), Emmanuelle Goizé (le Baron Grog).
Orchestre : Nicolas Ducloux (piano), Pablo Schatzman ou Samuel Nemtanu (violon), Laurent Camatte (alto), Annabelle Brey (violoncelle), Benjamin Hébert ou Simon Drappier (contrebasse), Boris Grelier (flûte et piccolo), François Miquel (clarinette) Takénori Némoto ou Pierre Rémondière (cor), Eriko Minami ou Guillaume Le Picard (percussions).
Intrigues, incompétence, complots, passe-droits et courtisaneries… Si elle clame haut et fort aimer les militaires, cette Grande Duchesse de Gérolstein n’en offre pas moins un aperçu plaisamment ironique du théâtre des opérations. Et pourtant… “C’est tout-à-fait ça !”, s’exclama, paraît-il, le général Bismarck au sortir de la représentation, un beau soir de 1867. Offenbach, servi ici par la crème de ses librettistes – Henri Meilhac et Ludovic Halévy – , déploie un monde qui malgré toutes les bassesses ne manque pas de panache, où les gradés sont parfois dégradés au gré des toquades d’une fantasque souveraine de 20 ans, et où, comme le dit le Général Boum, tout finit par bien se passer, “pourvu que nous ne sortions pas des limites de la fantaisie”.
Après Les Brigands, Geneviève de Brabant, Le Docteur Ox, ou encore Croquefer/Tulipatan, la compagnie Les Brigands devait bien se mesurer un jour ou l’autre à ce monument d’Offenbach. D’enivrantes stratégies en soldats enivrés, de morceaux de bravoure en secrets d’alcôve, on pourra constater avec eux qu’en amour, comme sur tous les champs de bataille, une bonne dose de pragmatisme est parfois le seul moyen de sauver la situation… Et que si les histoires d’amour finissent mal en général, elles se terminent parfois bien pour les généraux.
Notre avis :
Chaque fin d’année, on salive à l’avance à l’idée de goûter à la dernière gourmandise concoctée par les Brigands pour le théâtre de l’Athénée. Et pour son cru 2013, plutôt que d’aller dénicher un titre plus ou moins absent des scènes lyriques, la joyeuse troupe a préféré adapter un standard d’Offenbach, La Grande-duchesse de Gérolstein, dont les airs guillerets et les dialogues aux allures de farce ne sauraient masquer une dénonciation de la guerre et de ceux qui la décident. Si quelques esprits chagrins pourront regretter la disparition ou la transformation de certaines pages de l’œuvre (mais que l’on se rassure : « Ah ! que j’aime les militaires ! », « Dites-lui » et « Le sabre de mon père » n’ont évidemment pas disparu !), force est de reconnaître que l’action s’en trouve resserrée, le tempo ravivé et le propos modernisé. D’ailleurs, les aménagements du livret ne sont pas sans faire écho à l’adoption du mariage pour tous, ni sans rappeler la confusion des genres de L’Île de Tulipatan donnée l’an dernier in loco, puisque Fritz en pince désormais pour un autre soldat de son régiment (qu’il finira par épouser) et que le baron Grog, au charme duquel la Grande-duchesse succombe, s’avérera être une femme.
On a sans doute déjà vu des scénographies plus ébouriffantes, des costumes plus loufoques, des décors plus exubérants, ou des gags plus débridés mais… quelle précision et quelle caractérisation dans la direction d’acteurs, et quel engagement de la part des artistes ! Dominant vocalement le plateau, la mezzo-soprano Isabelle Druet (révélation lyrique aux Victoires de la Musique 2010), voix de bronze et noble de ton, sait aussi camper une Grande-duchesse frivole, frémissante et pleine de jeunesse. En Fritz, François Rougier fait valoir un joli timbre de ténor, tout comme son « camarade » David Ghilardi. Les rôles des conjurés trouvent en Antoine Philippot, Olivier Hernandez et Flannan Obé un efficace trio de bouffons, ce dernier s’avérant particulièrement hilarant, multipliant mimiques et postures à mi-chemin entre un précieux ridicule et une chauve-souris démoniaque. Emmanuelle Goizé, Olivier Naveau et Guillaume Paire complètement avec bonheur une distribution pétulante et investie.
Les musiciens de l’orchestre, non pas en fosse mais disposés sur le plateau et habillés en soldats, et circulant astucieusement au gré des scènes comme des décors mobiles, sont, comme toujours, dirigés avec élan et savoir-faire par un Christophe Grapperon connaisseur de ce répertoire et qui, de surcroît, nous gratifie de sa belle voix de basse dans un inattendu quatuor a cappella.
Encore une fois, les Brigands signent un divertissement d’excellente qualité et plein de drôlerie, idéal pour finir cette année en sautillant et plonger dans la prochaine avec le sourire.