Livret et Musiques: Lina Lamara
Mise en scène: Cristos Mitropoulos
Décor: Christian Courcelles
Avec Lina Lamara, Pierre Delaup et Vincent Escure
Résumé : Sous une tente berbère, trois personnages et deux histoires s’entremêlent.
Dans le désert, un homme conte ses récits de voyage.
Entre la France et l’Algérie, Gaïa se retrouve face à ses souvenirs d’enfance. Elle se rappelle de Mouima, sa grand-mère berbère.
Sous cette tente berbère, le passé de Gaïa et les contes du voyageur se bousculent tandis que la musique et les chants deviennent des passerelles entre ces deux fragments.
Un voyage poétique et humoristique entre les cultures, les générations et les perceptions.
Notre avis : Au pied de Montmartre, dans une ruelle sombre, la Manufacture des Abbesses accueille cet hiver un décor bien peu parisien. On devine à l’oreille un feu qui crépite, la pénombre impose les murmures, le vent se laisse imaginer au loin, et une tente berbère invite au voyage… Comme une veillée sous le signe de l’Orient. « Nous nous sommes arrêtés pour nous reposer, dans notre quête vers la clef de Gaïa » confie mystérieusement un conteur (Vincent Escure), « elle ouvre toutes les portes ».
Cette quête intrigante est en réalité un cheminement, un parcours, une histoire. Celle de Gaïa, jeune fille à la peau cuivrée et aux cheveux d’ébène. Née d’un père algérien et d’une mère andalouse, son visage a le reflet de la méditerranée. Dans son enfance, elle a pris racine à l’ombre de sa grand-mère, partageant avec elle une complicité, échangeant des confidences, bâtissant son existence et apprenant la vie. Et voilà que sous le lourd tissu tendu, les images surgissent, les anecdotes revivent et les souvenirs des deux femmes refont surface par la voix de l’héroïne.
La préparation de la tchektchouka pour le grand repas familial, la sortie au hammam où les femmes de tous âges se retrouvent, les changements de son corps, Gaïa découvre des traditions, apprivoise les coutumes, et avance sur son chemin, tenant dans sa main les doigts fragiles de son aïeule. C’est alors l’adolescence, le temps des hommes et des dieux… La jeune fille branchée de la banlieue lyonnaise se trouve face à sa grand mère née sur le sable du Maghreb, sous le vent algérien… le même sang, les mêmes racines, la même culture, mais deux générations, deux mondes, deux vies qui se dessinent. L’amour va cependant les réunir. Car il y a bien longtemps, sous le soleil d’Alger…mais chut, c’est un secret.
Particulièrement soignée dans sa mise en scène, drôle et profond dans ses textes, remarquablement interprétée, La Clef de Gaïa est une magnifique découverte. Entre conte, voyage et confidence, son auteur, compositeur et rôle principal, Lina Lamara offre un récit sincère et touchant. Elle se livre avec simplicité, portant sur son histoire un regard lucide, réaliste et affectueux. Campant tous les personnages avec un sens du jeu parfait et d’excellentes mimiques, Lina Lamara accompagne son texte de chansons en arabe, en anglais ou en français. L’imagination s’évade alors aux premiers accords de guitare de Pierre Delaup. Par delà les anecdotes personnelles, se glissent évidemment en filigrane la question de l’identité et du mélange des cultures. Mais tout en finesse, sans aucun prosélytisme ou sentimentalisme moralisateur. Les uns s’y retrouveront, les autres découvriront, tous se laisseront emporter par cette réflexion sur les origines et le temps qui passe.
Regard perçant et propos énigmatiques, le conteur, qui parsème les anecdotes de regrets, d’espoirs et de poésie, glisse autant d’indices au public. Pour le mettre lui aussi sur le chemin qui conduit au désert et peut-être à la clef…
Comme un hommage aux racines, la Clef de Gaïa est tout simplement un beau spectacle. Un instant suspendu, qui apaise, réchauffe et donne envie de se mettre en marche. Sous cette tente berbère, Montmartre est tout proche, Montmartre est si loin!