La scène comme auxiliaire de l’évangélisation des foules
L’histoire théâtrale et musicale est riche d’emprunts au sacré. Dès le Moyen-âge, des mystères étaient joués sur les parvis des églises. Ce genre théâtral mettait en scène des sujets religieux. Outre un aspect divertissant, ils permettaient aux fidèles de connaître des passages importants de la Bible.
Quant à l’opéra, il s’est inspiré non seulement de la mythologie antique mais aussi de l’histoire sainte. L’opéra s’est nourri d’histoires extraites aussi bien de l’Ancien que du Nouveau Testament. Ainsi, Marc-Antoine Charpentier a créé David et Jonathan. Cette tragédie musicale a été représentée en 1688 à Paris par les élèves du collège Louis-le-Grand, alors dirigé par les Jésuites. Cet « opéra chrétien » étonna ses contemporains. L’utilisation d’un texte inspiré de l’Écriture a donné à cette oeuvre beaucoup plus de densité dramatique qu’on n’en trouve usuellement dans les opéras de l’ère baroque. Le danois Carl August Nielsen consacra également une oeuvre à ce roi. Il composa Saül et David entre 1898 et 1901. Saül est ici un personnage tragique remettant en question les superstitions d’une société primitive tandis que David accepte l’ordre établi. Plus près de nous, Alan Menken et Tim Rice ont également composé un oratorio (produit par Disney !) et intitulé King David !
Le personnage de Moïse a également inspiré plusieurs compositeurs. Outre l’opéra de Rossini, Arnold Schoenberg a consacré une oeuvre à ce prophète en 1954. Le texte de Moïse et Aaron révèle ses conceptions religieuses et philosophiques. Moïse conçoit Dieu comme une idée pure. Il est inimaginable car toute tentative de se représenter son image détruit l’idée. Il considère que sa parole a été dénaturée par Aaron, son frère, et que celui-ci a avili l’idéal. Ce dernier argue qu’en tant que porte-parole de Moïse, il se devait d’interpréter ses idées en termes que le peuple pût comprendre.
La religion comme alibi pour montrer l’inmontrable
Quant à Salomé, qui figure dans le Nouveau Testament, plusieurs oeuvres lui sont dédiées. Dans l’opéra intitulé Hérodiade, créé par Jules Massenet en 1881, Salomé apparaît comme éperdument amoureuse du prophète Jean. C’est Hérodiade, la mère de Salomé, qui demande la tête du prophète tandis que la jeune femme se poignarde. Cet opéra a une dimension très politique puisque le roi Hérode cherche à vaincre ses ennemis, les Romains, et a besoin du soutien du peuple qui vénère Jean. Cependant, Hérode emprisonne le prophète. Le roi tombe sous le joug des Romains. Pour vaincre ses ennemis, il doit libérer ce dernier et ainsi, le peuple chercherait à se dégager de la domination romaine. Mais Jean refuse, en échange de sa liberté, de proclamer qu’Hérode doit régner sur le pays. Salomé apparaît ici comme une victime. Elle a été abandonnée par sa mère dès sa naissance tandis que Jean l’a recueillie.
Quant à Richard Strauss, il a mis en musique le poème d’Oscar Wilde. Salomé, opéra en un acte, a été joué pour la première fois en 1905. La troublante jeune femme apparaît ici comme un personnage fin de siècle au caractère névrotique. En digne héritière de sa mère, laquelle a tué son mari pour épouser Hérode, elle est sans cesse à la recherche de nouveaux plaisirs et de sensations inédites. Salomé est un être morbide comme ses pairs décadents.
Les personnages bibliques subissent donc l’influence contemporaine. La référence à un texte biblique permet aux artistes de parler de sujets violents sans provoquer de scandale : Hérode nourrit des sentiments incestueux à son égard tandis que la cruelle Salomé éprouve un désir charnel envers Jokanaan. La moralité qui se dégage de ces textes religieux compense les aspects sulfureux de ces oeuvres musicales : Hérode, qui craignait Jokanaan mais s’est résolu à exaucer le voeu meurtrier de sa belle-fille, finit par ordonner la mort de Salomé. Jokanaan, l’homme saint, est alors vengé.
Le théâtre comme substitut à l’église
Les oeuvres d’essence religieuse permettent à l’espace scénique de remplir les fonctions d’une église. L’opéra de Paris a commandé une oeuvre à Olivier Messiaen, l’un des musiciens contemporains les plus spirituels. Celle-ci a été jouée en 1983 et s’inspire de la vie de Saint François d’Assise. Les textes sont les propres écrits de ce saint et des citations de l’Évangile tandis que d’autres sont imaginés par le musicien. L’existence et la pensée du saint sont exposées, ce qui donne à cette oeuvre un caractère fortement évangélisateur. Messiaen sanctifie l’espace scénique, les jeux de lumière qu’il a conçu pour le final matérialisent la présence du divin sur scène. Quant à Benjamin Britten, il a conçu un opéra d’église, Noé et le Déluge, qui a été joué à l’église d’Orford en 1958. Les fidèles participent à cette oeuvre puisqu’ils chantent un hymne et certains couplets avec les chanteurs. Par la suite, Britten a écrit dans les années soixante, trois Paraboles pour l’exécution à l’église : « la rivière aux courlis », il s’agit d’un nô japonais transposé dans la Chrétienté du Moyen-âge et « La fournaise ardente ». Dans ce passage de l’Ancien Testament, le roi Nabuchodonosor se convertit à la religion de trois Israélites. Enfin, « Le fils prodigue » est une parabole tirée du Nouveau Testament. Pour chacune de ces oeuvres, vingt chanteurs appartenant à une communauté monastique sont accompagnés d’un orchestre de chambre de sept ou huit musiciens. Ces « opéras de chambres » mêlent avec succès des influences orientales et occidentales.
La comédie musicale aussi !
La comédie musicale a elle aussi emprunté ses intrigues à l’histoire sainte. Ainsi Stephen Shwartz a‑t-il composé Godspell ou Children of Eden. Andrew Lloyd Webber (musique) et Tim Rice (paroles) ont également mis en scène Joseph, une figure centrale de l’Ancien Testament, dans la production Joseph and the Amazing Technicolor Dreamcoat. Ce spectacle a d’abord été une cantate de quinze minutes pour les élèves de Colet Court en 1968. La première version enregistrée dura trente-cinq minutes avant d’atteindre sa durée définitive. Les chansons sont marquées de nombreuses influences musicales, depuis la musique country jusqu’au calypso.
Mais le plus grand succès religieux de ce duo reste Jesus Christ Superstar. Cet opéra rock a été joué pour la première fois au Mark Hellinger Theater le 12 octobre 1971. L’originalité du propos réside dans le fait que les sept derniers jours de Jésus sont vus à travers les yeux de Judas. Celui-ci le trahit parce qu’il craint que le mouvement humanitaire dont Jésus est à la tête ne devienne un culte personnel. Son enseignement est dénaturé par ses disciples qui le considèrent comme le Messie. Le traitement de ce sujet aurait pu déchaîner les passions et soulever la colère des fondamentalistes. Ceci n’a jamais été le cas. Les chansons de Webber et Rice, inspirées par la musique pop, ont connu un grand succès.
L’histoire sainte a donc été très souvent représentée sur scène. Forte des émotions que la musique procure, ces oeuvres ont permis non seulement de divertir le public mais aussi de le familiariser avec des passages importants de la Bible ou encore de transmettre la spiritualité des créateurs de ces oeuvres. Qui sait si Les dix commandements de Chouraqui et d’Obispo ne susciteront pas de nouvelles lectures musicales originales des textes religieux ?