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La bible sur scène — Et Dieu dit : Que le théâtre musical soit !

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Les Dix Commandements ©DR
Les Dix Com­man­de­ments ©DR
La musique a déjà eu ce rôle au XIX e siè­cle, lors des représen­ta­tions de Moïse en Egypte de Rossi­ni. Les spec­ta­teurs se lais­sèrent porter par la musique à l’in­star de Stend­hal, pour­tant peu enclin à la représen­ta­tion de scènes bibliques et des références aux plaies d’É­gypte. La prière du dernier acte « Des cieux où tu résides, grand Dieu », qui fut ajoutée un an après sa créa­tion, mit les spec­ta­tri­ces ital­i­ennes dans de tels états nerveux qu’il fal­lut appel­er des médecins pour les calmer.

La scène comme aux­il­i­aire de l’é­vangéli­sa­tion des foules 
L’his­toire théâ­trale et musi­cale est riche d’emprunts au sacré. Dès le Moyen-âge, des mys­tères étaient joués sur les parvis des églis­es. Ce genre théâ­tral met­tait en scène des sujets religieux. Out­re un aspect diver­tis­sant, ils per­me­t­taient aux fidèles de con­naître des pas­sages impor­tants de la Bible.

Quant à l’opéra, il s’est inspiré non seule­ment de la mytholo­gie antique mais aus­si de l’his­toire sainte. L’opéra s’est nour­ri d’his­toires extraites aus­si bien de l’An­cien que du Nou­veau Tes­ta­ment. Ain­si, Marc-Antoine Char­p­en­tier a créé David et Jonathan. Cette tragédie musi­cale a été représen­tée en 1688 à Paris par les élèves du col­lège Louis-le-Grand, alors dirigé par les Jésuites. Cet « opéra chré­tien » éton­na ses con­tem­po­rains. L’u­til­i­sa­tion d’un texte inspiré de l’Écri­t­ure a don­né à cette oeu­vre beau­coup plus de den­sité dra­ma­tique qu’on n’en trou­ve usuelle­ment dans les opéras de l’ère baroque. Le danois Carl August Nielsen con­sacra égale­ment une oeu­vre à ce roi. Il com­posa Saül et David entre 1898 et 1901. Saül est ici un per­son­nage trag­ique remet­tant en ques­tion les super­sti­tions d’une société prim­i­tive tan­dis que David accepte l’or­dre établi. Plus près de nous, Alan Menken et Tim Rice ont égale­ment com­posé un ora­to­rio (pro­duit par Dis­ney !) et inti­t­ulé King David !

Le per­son­nage de Moïse a égale­ment inspiré plusieurs com­pos­i­teurs. Out­re l’opéra de Rossi­ni, Arnold Schoen­berg a con­sacré une oeu­vre à ce prophète en 1954. Le texte de Moïse et Aaron révèle ses con­cep­tions religieuses et philosophiques. Moïse conçoit Dieu comme une idée pure. Il est inimag­in­able car toute ten­ta­tive de se représen­ter son image détru­it l’idée. Il con­sid­ère que sa parole a été dénaturée par Aaron, son frère, et que celui-ci a avili l’idéal. Ce dernier argue qu’en tant que porte-parole de Moïse, il se devait d’in­ter­préter ses idées en ter­mes que le peu­ple pût comprendre.

La reli­gion comme ali­bi pour mon­tr­er l’inmontrable
Quant à Salomé, qui fig­ure dans le Nou­veau Tes­ta­ment, plusieurs oeu­vres lui sont dédiées. Dans l’opéra inti­t­ulé Héro­di­ade, créé par Jules Massenet en 1881, Salomé appa­raît comme éper­du­ment amoureuse du prophète Jean. C’est Héro­di­ade, la mère de Salomé, qui demande la tête du prophète tan­dis que la jeune femme se poignarde. Cet opéra a une dimen­sion très poli­tique puisque le roi Hérode cherche à vain­cre ses enne­mis, les Romains, et a besoin du sou­tien du peu­ple qui vénère Jean. Cepen­dant, Hérode empris­onne le prophète. Le roi tombe sous le joug des Romains. Pour vain­cre ses enne­mis, il doit libér­er ce dernier et ain­si, le peu­ple chercherait à se dégager de la dom­i­na­tion romaine. Mais Jean refuse, en échange de sa lib­erté, de proclamer qu’Hérode doit régn­er sur le pays. Salomé appa­raît ici comme une vic­time. Elle a été aban­don­née par sa mère dès sa nais­sance tan­dis que Jean l’a recueillie.

Quant à Richard Strauss, il a mis en musique le poème d’Oscar Wilde. Salomé, opéra en un acte, a été joué pour la pre­mière fois en 1905. La trou­blante jeune femme appa­raît ici comme un per­son­nage fin de siè­cle au car­ac­tère névro­tique. En digne héri­tière de sa mère, laque­lle a tué son mari pour épouser Hérode, elle est sans cesse à la recherche de nou­veaux plaisirs et de sen­sa­tions inédites. Salomé est un être mor­bide comme ses pairs décadents.

Les per­son­nages bibliques subis­sent donc l’in­flu­ence con­tem­po­raine. La référence à un texte biblique per­met aux artistes de par­ler de sujets vio­lents sans provo­quer de scan­dale : Hérode nour­rit des sen­ti­ments inces­tueux à son égard tan­dis que la cru­elle Salomé éprou­ve un désir char­nel envers Jokanaan. La moral­ité qui se dégage de ces textes religieux com­pense les aspects sul­fureux de ces oeu­vres musi­cales : Hérode, qui craig­nait Jokanaan mais s’est résolu à exaucer le voeu meur­tri­er de sa belle-fille, finit par ordon­ner la mort de Salomé. Jokanaan, l’homme saint, est alors vengé.

Le théâtre comme sub­sti­tut à l’église 
Les oeu­vres d’essence religieuse per­me­t­tent à l’e­space scénique de rem­plir les fonc­tions d’une église. L’opéra de Paris a com­mandé une oeu­vre à Olivi­er Mes­si­aen, l’un des musi­ciens con­tem­po­rains les plus spir­ituels. Celle-ci a été jouée en 1983 et s’in­spire de la vie de Saint François d’As­sise. Les textes sont les pro­pres écrits de ce saint et des cita­tions de l’É­vangile tan­dis que d’autres sont imag­inés par le musi­cien. L’ex­is­tence et la pen­sée du saint sont exposées, ce qui donne à cette oeu­vre un car­ac­tère forte­ment évangélisa­teur. Mes­si­aen sanc­ti­fie l’e­space scénique, les jeux de lumière qu’il a conçu pour le final matéri­alisent la présence du divin sur scène. Quant à Ben­jamin Brit­ten, il a conçu un opéra d’église, Noé et le Déluge, qui a été joué à l’église d’Or­ford en 1958. Les fidèles par­ticipent à cette oeu­vre puisqu’ils chantent un hymne et cer­tains cou­plets avec les chanteurs. Par la suite, Brit­ten a écrit dans les années soix­ante, trois Paraboles pour l’exé­cu­tion à l’église : « la riv­ière aux courlis », il s’ag­it d’un nô japon­ais trans­posé dans la Chré­tien­té du Moyen-âge et « La four­naise ardente ». Dans ce pas­sage de l’An­cien Tes­ta­ment, le roi Nabu­chodonosor se con­ver­tit à la reli­gion de trois Israélites. Enfin, « Le fils prodigue » est une parabole tirée du Nou­veau Tes­ta­ment. Pour cha­cune de ces oeu­vres, vingt chanteurs appar­tenant à une com­mu­nauté monas­tique sont accom­pa­g­nés d’un orchestre de cham­bre de sept ou huit musi­ciens. Ces « opéras de cham­bres » mêlent avec suc­cès des influ­ences ori­en­tales et occidentales.

La comédie musi­cale aussi !
La comédie musi­cale a elle aus­si emprun­té ses intrigues à l’his­toire sainte. Ain­si Stephen Shwartz a‑t-il com­posé God­spell ou Chil­dren of Eden. Andrew Lloyd Web­ber (musique) et Tim Rice (paroles) ont égale­ment mis en scène Joseph, une fig­ure cen­trale de l’An­cien Tes­ta­ment, dans la pro­duc­tion Joseph and the Amaz­ing Tech­ni­col­or Dream­coat. Ce spec­ta­cle a d’abord été une can­tate de quinze min­utes pour les élèves de Colet Court en 1968. La pre­mière ver­sion enreg­istrée dura trente-cinq min­utes avant d’at­tein­dre sa durée défini­tive. Les chan­sons sont mar­quées de nom­breuses influ­ences musi­cales, depuis la musique coun­try jusqu’au calypso.

Mais le plus grand suc­cès religieux de ce duo reste Jesus Christ Super­star. Cet opéra rock a été joué pour la pre­mière fois au Mark Hellinger The­ater le 12 octo­bre 1971. L’o­rig­i­nal­ité du pro­pos réside dans le fait que les sept derniers jours de Jésus sont vus à tra­vers les yeux de Judas. Celui-ci le trahit parce qu’il craint que le mou­ve­ment human­i­taire dont Jésus est à la tête ne devi­enne un culte per­son­nel. Son enseigne­ment est dénaturé par ses dis­ci­ples qui le con­sid­èrent comme le Messie. Le traite­ment de ce sujet aurait pu déchaîn­er les pas­sions et soulever la colère des fon­da­men­tal­istes. Ceci n’a jamais été le cas. Les chan­sons de Web­ber et Rice, inspirées par la musique pop, ont con­nu un grand succès.

L’his­toire sainte a donc été très sou­vent représen­tée sur scène. Forte des émo­tions que la musique pro­cure, ces oeu­vres ont per­mis non seule­ment de diver­tir le pub­lic mais aus­si de le famil­iaris­er avec des pas­sages impor­tants de la Bible ou encore de trans­met­tre la spir­i­tu­al­ité des créa­teurs de ces oeu­vres. Qui sait si Les dix com­man­de­ments de Chouraqui et d’O­bis­po ne sus­citeront pas de nou­velles lec­tures musi­cales orig­i­nales des textes religieux ?