
Viens voir le comédien…
Comme toujours, la cérémonie s’ouvre sous le signe des « Comédiens » que Charles Aznavour est, cette fois, venu chanter lui-même en même temps que recevoir une récompense spéciale pour l’ensemble de sa carrière. En coulisses, il avoue qu’il lui arrive encore d’être transporté au théâtre. « Moi qui suis un professionnel, il n’y a rien que j’aime autant que d’oublier que je suis précisément un professionnel pour n’être plus que simple spectateur. Par exemple, j’ai été transporté tout récemment par Marie Laforêt dans Master Class ». La voici justement qui passe, reine un brin boudeuse et au regard toujours aussi souverain. Elle est inaccessible. Le grand Charles, lui, ne l’est pas qui est aussi fier d’être le seul français en vie à encore remplir les salles quand il passe à Broadway que de savoir que sa chanson est devenu l’équivalent français de « There’s No Business Like Show Business », un hymne pour la profession… bien qu’il s’en défende. « Non, non, cette chanson est à la gloire de l’industrie du showbiz alors que moi, je rends hommage aux comédiens, aux ambulants, ceux qui peuplent les beaux théâtres et ceux qui sont sur les tréteaux ». En somme, les artistes plus importants que l’art ? « Ca, c’est le débat entre l’oeuf et le poussin ! », répond le grand Charles dans un sourire qui n’appartient qu’à lui.
Le Jean-Baptiste pour notre Marianne nationale !
Dans le déroulé d’une soirée comme celle des Molières, il faut bien la victoire de L’ultima récital pour faire bouger un peu le train-train habituel. « C’est la récompense suprême, jubile Marianne James. C’est la consécration de la profession alors qu’on avait déjà celle du public. C’est un vrai conte de fées ! ». Lui fait-on remarquer que sa salopette jure un brin avec les robes de soirée des autres divas de la soirée qu’elle répond, radieuse : « C’est vrai, je suis un peu habillée en citrouille ce soir mais à minuit, je vais me changer en princesse. C’est Cendrillon à l’envers. J’ai toujours fait les choses à mon rythme, à ma façon et c’est peut-être pour ça que je suis là ce soir. Je suis très très très fière ».
Après s’être beaucoup occupé de musiciens de jazz parmi les plus grands, Philippe de Visscher, de Jazz etc., a voulu se lancer dans la production de spectacles et le théâtre musical lui a semblé une évolution logique, magnifiquement récompensée ce soir. Pour la petite histoire, c’est aussi lui qui produit Jango Edwards en France depuis 10 ans et qui l’a présenté à Marianne James. « Nous nous sommes rencontrés à Cannes, précise-t-il, et j’ai proposé à Jango de prodiguer quelques conseils sur le spectacle. Il a finalement apporté peu de retouches, mais d’importance ». Il nous confie qu’après L’ultima récital, il fonde aujourd’hui beaucoup d’espoirs sur « un jeune talent, Didier Bénureau, que je vais présenter à la rentrée et qui va se révéler comme le plus grand comique de sa génération, vous allez voir ! ».
Pour Ariane Cadier, inoubliable Yvonne de Saint-Coffre dans le spectacle et finalement moins frêle qu’on ne l’imagine quand elle n’est pas dans l’environnement immédiat d’Ulrika, ce Molière ne vient pas récompenser un spectacle sur la voie de garage : « Non, je crois qu’il a encore une longue vie devant lui, en tournée entre autres. Beaucoup de gens veulent encore le voir et le Molière va en attirer bien d’autres même si Marianne et moi voulons aussi maintenant une carrière en dehors de nos personnages ». Car cette musicienne / comédienne / compositeur entend bien continuer dans cette voie. Elle a écrit un nouveau spectacle comique et musical avec son mari, comédien et acrobate, Marc Deroche (rencontré sur L’ultima récital dont il était à l’époque l’éclairagiste !) : « C’est l’histoire de deux personnes qui n’auraient jamais dû se rencontrer mais à qui il va arriver de merveilleuses choses ». Un spectacle qui devrait être créé en fin d’année ou en début d’année prochaine à Paris.
Denise Petitdidier, directrice du Théâtre Mogador, est un petit bout de femme mais ne vous y trompez pas, elle a du caractère ! D’ailleurs, quand toute la troupe de L’ultima récital fait son entrée dans la salle de presse, c’est elle et personne d’autre qui a le Molière en main ! « Jadis, il y avait le Chatelet, La Gaîté Lyrique et Mogador mais maintenant, nous sommes les seuls à maintenir vivace la tradition du théâtre musical. Il est vrai que ces spectacles coûtent excessivement cher et demandent beaucoup de personnes. Il faut donc un théâtre très grand pour pouvoir les rentabiliser ». Et après L’ultima récital qui y prend ses quartiers du 6 au 29 mai, Denise nous prépare une rentrée plus folle que jamais. « Dès le 29 septembre, nous créerons en effet la comédie musicale La Cage aux Folles tirée de la pièce de Jean Poiret. C’est Alain Marcel qui l’a adaptée en français, car elle a déjà été montée à Broadway, et qui la met en scène ». Elle n’est pas étonnée qu’on en parle déjà autant, des mois à l’avance : « Je crois que c’est mythique, tant pour la pièce de Jean Poiret que pour les films. Les différentes Cages ont été de gros succès et j’espère bien qu’on va en tirer quelque chose ! ».
Colette la douce
Un coup de chapeau enfin pour refermer l’album de cette XIIIe Nuit des Molières à Colette Renard, venue chanter ce soir un émouvant hommage aux comédiens disparus, « Les vieux théâtres de Paris » écrit avec François Rauber. « J’ai toujours voulu faire partie de ce monde. Il se trouve que je suis devenue plutôt chanteuse que comédienne mais je les aime tant ». Colette occupe une place spéciale dans le coeur des amateurs de théâtre musical puisqu’il y a plus de quarante ans, elle a créé le rôle-titre mythique d’Irma la douce, la dernière comédie musicale française (avant Les Misérables) à avoir fait le tour du monde. Un rôle de fille gouailleuse, de petite vertu mais au coeur grand comme ça qu’elle porte toujours en elle. « J’ai chanté l’hiver dernier à Paris et, bien sûr, on m’a réclamé les airs d’Irma. La musique de Marguerite Monnot (le compositeur) n’a pas d’âge et ne mourra jamais. Alors, tant que je suis là, je la chante ».
La soirée se termine. Les gagnants on tous bu du champagne un peu plus que de raison et, pour eux, la fête ne fait que commencer. Bien sûr, il y a aussi les perdants qu’il ne faut pas oublier car le talent ne se mesure pas seulement à l’aune des récompenses obtenues. Mais, comme l’a crié Marianne James / Ulrika von Glott sur la scène du vénérable Théâtre des Champs-Elysées qui n’était pas habitué à tant d’audace : « Par les couilles de Siegfried, c’est mérité » ! »