Accueil Zoom La 13e Nuit des Molières, côté cancans — Vue d’en haut !

La 13e Nuit des Molières, côté cancans — Vue d’en haut !

0

Molière
Molière
Strass, pail­lettes, pho­tographes, caméras, lumières et dia­mants. Ca, c’est ce qu’on croit. Et ce qu’on peut voir. Mais les Molières, c’est aus­si la foule amassée con­tre les bar­rières avant l’ou­ver­ture des portes, des chas­seurs d’au­to­graphes qui vendraient leur mère pour un auto­graphe de Katia Tchenko ou de Cather­ine Samie et des fautes ves­ti­men­taires qui pour­raient facile­ment provo­quer des dépres­sions nerveuses chez les âmes trop sensibles.
Et je ne par­le pas de cer­tains maquil­lages. Où est-on, à une con­férence sur Cham­pol­lion et la tech­nique de momification ?

Votre servi­teur se sent un peu déguisé dans son cos­tume mais ouvre bien grands les yeux pour recueil­lir anec­dotes croustil­lantes. Bien enten­du, c’est dans le foy­er que tout se passe. Les con­ver­sa­tions ont presque autant d’en­jeu que le pacte israe­lo-arabe, car rap­pelez-vous, nous sommes dans un théâtre. La moitié des can­di­dats au cast­ing de La cage aux folles défile non­cha­la­m­ment. Les attachés de presse sont aux aguets, les Molières, c’est un peu leur nuit même s’ils n’ont pas de caté­gories bien à eux.

Franck Mills n’est pas encore Emmanuelle Gaume ou Alexan­dra Bronkers (mais j’y tra­vaille) et se retrou­ve donc au deux­ième bal­con (for­mule élé­gante pour sig­ni­fi­er « tout-là-haut-là-haut-là-haut »). Ah, c’est cer­tain, on a du recul. On n’est pas col­lé con­tre Mathilde Seign­er ou Marie Laforêt mais entre Monique et Marie-Jo, moins célèbres mais non moins sym­pa­thiques, partageant avec une grande sol­i­dar­ité leurs Tic-Tac à la men­the. En bas, ça s’af­faire, les nom­inés mon­tent sur scène dans un tour­bil­lon d’étoffes très chères et de bijous étincelants.

Au pre­mier rang du dernier bal­con, la XII­Ie nuit des Molières avait plus un par­fum de Kookai-Eau Jeune-Faux car­ré Her­mès que de Pra­da-Chanel. Aspi­rants comé­di­ens, cais­sières de théâtre, ouvreuses et con­trôleurs… Tous les petits, mais non moins impor­tants, métiers du théâtre, étaient représen­tés au poulailler avec des com­men­taires pas piqués des han­netons. Assis­ter à la céré­monie de tout en haut fait déjà fig­ure d’ex­ploit, un peu comme une après-midi bien rem­plie au Gym­nase Club. Tout d’abord, on monte un nom­bre infi­ni de march­es (à la gym, on appelle ça un stair­mas­ters) puis quand l’ef­fort est fait, on se détend au sauna. D’ailleurs, au dernier bal­con, la tem­péra­ture devait facile­ment avoisin­er les 70 degrés. Ma voi­sine de gauche, d’un cer­tain âge, se liqué­fi­ait sur place, s’éven­tant avec son pro­gramme tan­dis que ma plan­tureuse voi­sine de droite, cais­sière d’un théâtre nom­iné, util­i­sait sa carte orange pour se faire un peu d’air. Com­ment fait-on en bas, on s’évente avec sa carte Gold ?

Il y a évidem­ment du retard, ma voi­sine se plaint déjà « J’su­is dégoûtée d’la vie, ça fait au moins dix min­utes que mon mag­né­to­scope doit enreg­istr­er la pub et la météo… » Patience, la soirée com­mence enfin avec ses moments forts et ses incon­gruités… Une chan­son de Pierre Per­ret pour annon­cer Arthur Miller ? Si l’an­née prochaine, un hom­mage est ren­du à Peter Sel­l­ars, qu’on appelle Chan­tal Goya. Après tout, son Souli­er qui vole a ini­tié de nom­breuses généra­tions à la magie du théâtre (moi inclus, et je n’en ai pas honte !). Puis vint Colette Renard… « C’est qui ? » mur­mure-t-on affolé autour de moi. Il n’y a rien de pire que de ne pas recon­naître les invités. Enfin quoi, ils sont sup­posés être célèbres ! Et ce Truc Miller, là ? C’est qui ? Le réal­isa­teur de La petite voleuse ? Ah, non, c’é­tait un des maris de Mar­i­lyn Mon­roe… Enfin, je crois… Il est vrai qu’à moins de dis­pos­er de jumelles de safari, il était dif­fi­cile de dis­tinguer les traits des per­son­nal­ités présentes sur scène. « C’est pas Cather­ine Samie ? » puis, quand on annonce son nom, une sec­onde d’i­nat­ten­tion a diver­ti mes voisines et Colette repart dans les couliss­es, aus­si anonymement qu’elle est venue.

Bien évidem­ment, nous atten­dions tous avec impa­tience le Molière du meilleur spec­ta­cle musi­cal. L’écran s’abaisse pour mon­tr­er des extraits des spec­ta­cles nom­inés. Etait-ce un petit rire de jubi­la­tion ou de moquerie qui accueil­lit l’ex­trait de La fièvre des années 80 ? Etait-ce un silence religieux ou d’in­dif­férence totale qui accueil­lit l’ex­trait de « Belle » (enten­du pour la 158 256 526e fois depuis le début du mois)? La ques­tion reste ouverte.

J’avais une vue par­faite sur le bal­con d’en bas où tous nos amis de La fièvre étaient réu­nis. On pou­vait sen­tir leur exci­ta­tion et je dois dire que j’ai éprou­vé un peu de com­pas­sion pour eux. C’est vrai, ils sont jeunes, beaux et tal­entueux mais pen­saient-ils sincère­ment que La fièvre pou­vait rem­porter ce prix ? A l’oc­ca­sion, j’i­rai les con­sol­er dans leur loge. Non, sincère­ment, je donne l’im­pres­sion d’être ironique mais j’éprou­ve une cer­taine sym­pa­thie pour cette petite bande, allez savoir pourquoi.

Il sem­ble que tout le monde pen­sait que Notre Dame de Notre Dame était le favori et je suis sûr que même Colette Renard (ou Cather­ine Samie !) peut chanter « Belle » les yeux fer­més (qui ne pour­rait pas d’ailleurs ?). En choi­sis­sant L’Ul­ti­ma Réc­i­tal, la pro­fes­sion a peut-être voulu faire la dis­tinc­tion entre un spec­ta­cle qui tourne dans des théâtres depuis plusieurs années et qui a com­mencé dis­crète­ment et une grosse machine, pop­u­laire, certes, mais reposant sur une médi­ati­sa­tion out­ran­cière et plus ori­en­tée show-biz. Je ne juge pas, je ne fais que pos­er la ques­tion. En tout cas, il faut cer­taine­ment recon­naître à Notre Dame le mérite d’avoir don­né au grand pub­lic une per­cep­tion dif­férente du théâtre musi­cal. Si Notre Dame ouvre la voie, d’une façon ou d’une autre, à d’autres comédies musi­cales, qui songerait à s’en plaindre ?

A ce moment-là, j’ai rêvé que dans les années à venir, cette caté­gorie soit riche en créa­tions, adap­ta­tions ou repris­es. Qu’Alain Bou­blil et Claude-Michel Schön­berg soient à nou­veau récom­pen­sés dans leur pro­pre pays. Qu’Alain Mar­cel con­tin­ue à adapter des clas­siques de Broad­way ou à créer des nou­veaux spec­ta­cles. Que Pla­m­on­don se lance dans une nou­velle aven­ture. Et surtout, que plein de jeunes auteurs, encore incon­nus aujour­d’hui, aient le courage et la pas­sion d’écrire du théâtre musi­cal. Qui sait…

Puis L’Ul­ti­ma Réc­i­tal est annon­cé comme vain­queur. C’est la vic­toire de l’hu­mour et de la déri­sion. C’est aus­si la vic­toire de Gap sur Chris­t­ian Lacroix… Qu’à cela ne tienne, Mar­i­anne James s’en tire avec une pirou­ette et apporte une petite note de gai­eté et d’hu­mour dans une soirée qui com­mence un tan­ti­net à traîn­er. Denise Petit­di­di­er, direc­trice du Théâtre Mogador, (qui, pour les habitués, ne por­tait pas son sweat-shirt favori de Beau­ty and the Beast, voilà une vraie amoureuse du théâtre musi­cal !) remer­cie gen­ti­ment ses col­lab­o­ra­teurs admin­is­trat­ifs et tech­niques. Ma voi­sine se retourne vers une des ses amies et lui lance « Tu sais pourquoi Petit­di­di­er remer­cie ses col­lab­o­ra­teurs ? C’est parce qu’elle peut pas les pay­er avant le 15 ! » Ah vrai­ment, vu d’en haut, la céré­monie des Molières est sans doute beau­coup plus ani­mée qu’en bas.

Si pour cer­tains, les grands moments de la soirée furent le dis­cours de Robert Hirsch ou les divers hom­mages mater­nels ou parentaux, pour moi, je me sou­viendrai tou­jours de ma voi­sine d’un cer­tain âge qui cochait con­scien­cieuse­ment les vain­queurs sur son pro­gramme. Se trompant de ligne pour le meilleur auteur, elle raye furieuse­ment la croix qu’elle venait de faire, aus­si boulever­sée que si on lui annonçait que Fran­cis Hus­ter était homo­sex­uel. Après tout, le théâtre a quelque chose de sacré et l’ex­pres­sion ter­ri­ble­ment dra­ma­tique de ma voi­sine valait tous les hom­mages du monde. Oui, le théâtre est source d’émotions.

La soirée se ter­mine et je me pré­cip­ite dehors pour pou­voir respir­er. Des badauds sont par­qués der­rière des bar­rières métalliques, atten­dant avec impa­tience les stars (Katia Tchenko ? Cather­ine Samie ?). Un peu plus loin, un soli­taire Patrice Chéreau passe un coup de fil sur le trot­toir (à quand Chéreau met­tant en scène un Sondheim ?).

Je pense déjà à la prochaine Nuit des Molières… Qui seront les nom­inés dans la caté­gorie qui nous intéresse le plus ? La cage aux folles ? Le spec­ta­cle des Folies Bergère dont je ne peux encore rien dire (même si j’en meurs d’en­vie !) ? Le prochain Lau­rent Pel­ly sur Boris Vian ? Un Roger Louret (Les années Larus­so ? ? ?) ? Ren­dez-vous dans un an, que la récolte soit bonne ou mau­vaise… On attend avec impa­tience les prochaines pro­duc­tions, bonnes ou moins bonnes, peu importe, c’est dans la diver­sité que cha­cun trou­vera son bonheur.

En tout cas, l’an­née prochaine, j’e­spère descen­dre d’un étage.