Et je ne parle pas de certains maquillages. Où est-on, à une conférence sur Champollion et la technique de momification ?
Votre serviteur se sent un peu déguisé dans son costume mais ouvre bien grands les yeux pour recueillir anecdotes croustillantes. Bien entendu, c’est dans le foyer que tout se passe. Les conversations ont presque autant d’enjeu que le pacte israelo-arabe, car rappelez-vous, nous sommes dans un théâtre. La moitié des candidats au casting de La cage aux folles défile nonchalamment. Les attachés de presse sont aux aguets, les Molières, c’est un peu leur nuit même s’ils n’ont pas de catégories bien à eux.
Franck Mills n’est pas encore Emmanuelle Gaume ou Alexandra Bronkers (mais j’y travaille) et se retrouve donc au deuxième balcon (formule élégante pour signifier « tout-là-haut-là-haut-là-haut »). Ah, c’est certain, on a du recul. On n’est pas collé contre Mathilde Seigner ou Marie Laforêt mais entre Monique et Marie-Jo, moins célèbres mais non moins sympathiques, partageant avec une grande solidarité leurs Tic-Tac à la menthe. En bas, ça s’affaire, les nominés montent sur scène dans un tourbillon d’étoffes très chères et de bijous étincelants.
Au premier rang du dernier balcon, la XIIIe nuit des Molières avait plus un parfum de Kookai-Eau Jeune-Faux carré Hermès que de Prada-Chanel. Aspirants comédiens, caissières de théâtre, ouvreuses et contrôleurs… Tous les petits, mais non moins importants, métiers du théâtre, étaient représentés au poulailler avec des commentaires pas piqués des hannetons. Assister à la cérémonie de tout en haut fait déjà figure d’exploit, un peu comme une après-midi bien remplie au Gymnase Club. Tout d’abord, on monte un nombre infini de marches (à la gym, on appelle ça un stairmasters) puis quand l’effort est fait, on se détend au sauna. D’ailleurs, au dernier balcon, la température devait facilement avoisiner les 70 degrés. Ma voisine de gauche, d’un certain âge, se liquéfiait sur place, s’éventant avec son programme tandis que ma plantureuse voisine de droite, caissière d’un théâtre nominé, utilisait sa carte orange pour se faire un peu d’air. Comment fait-on en bas, on s’évente avec sa carte Gold ?
Il y a évidemment du retard, ma voisine se plaint déjà « J’suis dégoûtée d’la vie, ça fait au moins dix minutes que mon magnétoscope doit enregistrer la pub et la météo… » Patience, la soirée commence enfin avec ses moments forts et ses incongruités… Une chanson de Pierre Perret pour annoncer Arthur Miller ? Si l’année prochaine, un hommage est rendu à Peter Sellars, qu’on appelle Chantal Goya. Après tout, son Soulier qui vole a initié de nombreuses générations à la magie du théâtre (moi inclus, et je n’en ai pas honte !). Puis vint Colette Renard… « C’est qui ? » murmure-t-on affolé autour de moi. Il n’y a rien de pire que de ne pas reconnaître les invités. Enfin quoi, ils sont supposés être célèbres ! Et ce Truc Miller, là ? C’est qui ? Le réalisateur de La petite voleuse ? Ah, non, c’était un des maris de Marilyn Monroe… Enfin, je crois… Il est vrai qu’à moins de disposer de jumelles de safari, il était difficile de distinguer les traits des personnalités présentes sur scène. « C’est pas Catherine Samie ? » puis, quand on annonce son nom, une seconde d’inattention a diverti mes voisines et Colette repart dans les coulisses, aussi anonymement qu’elle est venue.
Bien évidemment, nous attendions tous avec impatience le Molière du meilleur spectacle musical. L’écran s’abaisse pour montrer des extraits des spectacles nominés. Etait-ce un petit rire de jubilation ou de moquerie qui accueillit l’extrait de La fièvre des années 80 ? Etait-ce un silence religieux ou d’indifférence totale qui accueillit l’extrait de « Belle » (entendu pour la 158 256 526e fois depuis le début du mois)? La question reste ouverte.
J’avais une vue parfaite sur le balcon d’en bas où tous nos amis de La fièvre étaient réunis. On pouvait sentir leur excitation et je dois dire que j’ai éprouvé un peu de compassion pour eux. C’est vrai, ils sont jeunes, beaux et talentueux mais pensaient-ils sincèrement que La fièvre pouvait remporter ce prix ? A l’occasion, j’irai les consoler dans leur loge. Non, sincèrement, je donne l’impression d’être ironique mais j’éprouve une certaine sympathie pour cette petite bande, allez savoir pourquoi.
Il semble que tout le monde pensait que Notre Dame de Notre Dame était le favori et je suis sûr que même Colette Renard (ou Catherine Samie !) peut chanter « Belle » les yeux fermés (qui ne pourrait pas d’ailleurs ?). En choisissant L’Ultima Récital, la profession a peut-être voulu faire la distinction entre un spectacle qui tourne dans des théâtres depuis plusieurs années et qui a commencé discrètement et une grosse machine, populaire, certes, mais reposant sur une médiatisation outrancière et plus orientée show-biz. Je ne juge pas, je ne fais que poser la question. En tout cas, il faut certainement reconnaître à Notre Dame le mérite d’avoir donné au grand public une perception différente du théâtre musical. Si Notre Dame ouvre la voie, d’une façon ou d’une autre, à d’autres comédies musicales, qui songerait à s’en plaindre ?
A ce moment-là, j’ai rêvé que dans les années à venir, cette catégorie soit riche en créations, adaptations ou reprises. Qu’Alain Boublil et Claude-Michel Schönberg soient à nouveau récompensés dans leur propre pays. Qu’Alain Marcel continue à adapter des classiques de Broadway ou à créer des nouveaux spectacles. Que Plamondon se lance dans une nouvelle aventure. Et surtout, que plein de jeunes auteurs, encore inconnus aujourd’hui, aient le courage et la passion d’écrire du théâtre musical. Qui sait…
Puis L’Ultima Récital est annoncé comme vainqueur. C’est la victoire de l’humour et de la dérision. C’est aussi la victoire de Gap sur Christian Lacroix… Qu’à cela ne tienne, Marianne James s’en tire avec une pirouette et apporte une petite note de gaieté et d’humour dans une soirée qui commence un tantinet à traîner. Denise Petitdidier, directrice du Théâtre Mogador, (qui, pour les habitués, ne portait pas son sweat-shirt favori de Beauty and the Beast, voilà une vraie amoureuse du théâtre musical !) remercie gentiment ses collaborateurs administratifs et techniques. Ma voisine se retourne vers une des ses amies et lui lance « Tu sais pourquoi Petitdidier remercie ses collaborateurs ? C’est parce qu’elle peut pas les payer avant le 15 ! » Ah vraiment, vu d’en haut, la cérémonie des Molières est sans doute beaucoup plus animée qu’en bas.
Si pour certains, les grands moments de la soirée furent le discours de Robert Hirsch ou les divers hommages maternels ou parentaux, pour moi, je me souviendrai toujours de ma voisine d’un certain âge qui cochait consciencieusement les vainqueurs sur son programme. Se trompant de ligne pour le meilleur auteur, elle raye furieusement la croix qu’elle venait de faire, aussi bouleversée que si on lui annonçait que Francis Huster était homosexuel. Après tout, le théâtre a quelque chose de sacré et l’expression terriblement dramatique de ma voisine valait tous les hommages du monde. Oui, le théâtre est source d’émotions.
La soirée se termine et je me précipite dehors pour pouvoir respirer. Des badauds sont parqués derrière des barrières métalliques, attendant avec impatience les stars (Katia Tchenko ? Catherine Samie ?). Un peu plus loin, un solitaire Patrice Chéreau passe un coup de fil sur le trottoir (à quand Chéreau mettant en scène un Sondheim ?).
Je pense déjà à la prochaine Nuit des Molières… Qui seront les nominés dans la catégorie qui nous intéresse le plus ? La cage aux folles ? Le spectacle des Folies Bergère dont je ne peux encore rien dire (même si j’en meurs d’envie !) ? Le prochain Laurent Pelly sur Boris Vian ? Un Roger Louret (Les années Larusso ? ? ?) ? Rendez-vous dans un an, que la récolte soit bonne ou mauvaise… On attend avec impatience les prochaines productions, bonnes ou moins bonnes, peu importe, c’est dans la diversité que chacun trouvera son bonheur.
En tout cas, l’année prochaine, j’espère descendre d’un étage.