On parle rarement d’art ou de musique autrichiens… comme si, dans un pays de carte postale qui évoque toujours le monde de Sissi, la valse et l’opérette étaient indissociablement liées à la capitale plus qu’au pays. Vienne, ville cosmopolite, multi-ethnique, a toujours été bercée par la musique : de la musique de chambre, à la musique des églises, celle des salons, des auberges; et aussi, et surtout, partout la danse : aux bals de la cour de l’Empire et dans les guinguettes… une musique alimentée, dans tous ces genres par les plus brillants musiciens: Haydn, Beethoven, Mozart, Schubert… A cette tradition musicale, s’ajoute aussi celle du théâtre d’humour: c’est aussi la ville de la « blague ». Et puis Vienne reste surtout la patrie de la valse.
Le mot « opérette » est d’origine autrichienne
Dès le 18e siècle, on jouait à Vienne des pièces avec musique, d’origine italienne ou allemande. On utilise très vite le mot « opérette » dès 1730. Ces titres sont pour la plupart, à tendance comico-parodique, et beaucoup d’autres féeriques. En 1777, l’Empereur Joseph II fonde le « Nationaloperette », et y fait jouer Les mineurs, opérette de Umlarf, considéré comme le premier singspiel en allemand joué à Vienne. Une bonne vingtaine de compositeurs vont émerger, dont Mozart, qui lui fera de véritables opéras.
Au début du 19e siècle, apparaît Johann Nepomuk Nestroy, dont le ton sarcastique se glisse dans des parodies qui ne respectent plus rien : il va ainsi préparer le terrain à Offenbach, et par là, à l’opérette classique viennoise. Tout rapproche alors Vienne de Paris, leur raffinement, leur amour du théâtre et de l’élégance, et c’est naturellement qu’Offenbach pose ses valises à Vienne. Une première fois, où il fait représenter Les deux aveugles en 1856, puis revient en 1859, dans une ville qui lui réserve un accueil chaleureux. En 1861, il y présente Orphée aux Enfers avec sa troupe des Bouffes-Parisiens. Mais le public de Vienne ne pouvait se contenter d’oeuvres françaises: le succès d’Offenbach fit naître des vocations, qui allaient s’inspirer plus intensément des racines profondes des viennois : ouvrant ainsi la voie à Suppé et à Strauss.
Suppé et Strauss, les rois de l’opérette viennoise
Le 24 avril 1860, on découvre Das pensionat, baptisé fréquemment la première opérette viennoise, composée par Suppé: c’est lui qui le premier réussira l’amalgame de « l’esprit gaulois » et de l’esprit viennois. En 1865, comme une réponse à La belle Hélène de son maître Offenbach, Suppé propose Die schöne Galathée, pleine de gaieté et de bonhomie, avec déjà ces valses enveloppantes, et ces galops épuisants.
Le terrain était donc enfin tout préparé pour l’arrivée du roi de la valse, Johann Strauss, avec notamment sa Chauve-souris. Les années passant, l’opérette viennoise se démarque de plus en plus de l’opérette française, sans pour autant que les différences ne deviennent par trop flagrantes. En effet, jusqu’au début du 20e siècle, les sujets sont souvent empruntés au répertoire théâtral français : ainsi, La veuve joyeuse qui trouve son origine dans une pièce de Meilhac.
Les principaux succès de Suppé furent Fatinitza, Boccacio et Douna Juanita. Johann Strauss, après avoir conquis le public avec ses valses tourbillonnantes, deviendra le roi de l’opérette. Il sera la coqueluche des Viennois, tout comme Offenbach reste celle des Parisiens. Il se fait connaître avec Le carnaval à Rome et surtout, en 1874, c’est La chauve-souris, un éternel hymne à la valse. « Cette Fledermaus au parfum invincible, dont chaque note restera toujours imprégnée » dira Reynaldo Hahn. Suivent Le prince Mathusalem et La Guerre des femmes. En 1885, Strauss renoue avec le triomphe en donnant Le baron tzigane. Sang viennois, résultat d’une compilation des ses musiques et valses, est créé en 1899, quelques mois après sa mort.
Lehar et les autres
Beaucoup de compositeurs écrivirent pour l’opérette, mais peu d’ouvrages, aujourd’hui, sont encore représentés. On ne peut en revanche oublier de mentionner Franz Lehar qui, à son tour, allait offrir à l’opérette de grandes pages avec notamment La veuve joyeuse, Le pays du sourire et Le Tzarévitch. On l’a appelé le Puccini de l’opérette, ses partitions pour les chanteurs rivalisant avec les pages les plus difficiles des opéras. Souvent ses ouvrages sont plus tristes et mélancoliques. Au début du siècle, il a eu pour rival Oscar Straus (qui n’a aucun lien de parenté avec les Strauss père et fils) notamment avec le succès de Rêve de valse, et la compilation des Strauss, ainsi que de ses propres musiques pour la création de Trois valses.
La première guerre mondiale a porté un coup fatal à l’opérette viennoise même si l’on assiste encore, sur le tard, à de belles résurgences de cet esprit fin de règne : Princesse Czardas et Comtesse Maritza de Kalmann, Victoria et son hussard de P.Abraham, Sissy de Kreisler ou encore l’inépuisable Auberge du cheval blanc de Benatzky. Comme Offenbach avait symbolisé un Second empire dansant sur un volcan et courant à sa perte, l’opérette viennoise reste indissociable d’un Empire austro-hongrois achevant sa décomposition dans un feu d’artifice théâtral et musical.