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Kim Criswell, la Broadway Touch du Châtelet

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Kim Criswell dans The Sound of Music au Châtelet (c) Marie-Noëlle Robert
Kim Criswell dans The Sound of Music au Châtelet © Marie-Noëlle Robert

Kim Criswell, qu’est-ce qui vous a décidée à devenir une artiste de musi­cal ? Y a‑t-il eu un déclic ?
J’ai tou­jours chan­té. Dès cinq ans, j’étais soliste à l’église. Quand La Mélodie du Bon­heur est sor­ti, ce film est tout de suite devenu mon film préféré : je voulais être Julie Andrews ! Je crois que c’est le pre­mier film — avec Mary Pop­pins — qui m’ait influ­encée. Vous aurez donc com­pris que j’adorais Julie Andrews. Je fai­sais tout pour l’imiter. A quinze ans, j’ai joué Maria dans une pro­duc­tion locale de La Mélodie du Bon­heur, dans ma petite ville du Ten­nessee. Je chan­tais avec l’accent anglais de Julie Andrews mais je dis­ais mes dia­logues avec mon accent du Sud ! Autant vous dire que c’était une ver­sion très étrange !

Vous avez fait par­tie de la pro­duc­tion orig­i­nale de Nine à Broad­way. Quel sou­venir gardez-vous de cette expérience ?
Et dire que la ver­sion ciné­matographique de Rob Mar­shall va bien­tôt sor­tir ! Fig­urez-vous que Rob et moi étions amis à l’époque, nous débu­tions tous deux à Broad­way. Rob est venu voir Nine parce que sa copine Kim était dedans ! (rires) Nine a pris deux ans de ma vie, j’avais une ving­taine d’années, ce fut une expéri­ence extra­or­di­naire… mais pas tou­jours plaisante ! 21 femmes, un homme… Cela ne donne pas tou­jours de très bonnes « vibes » ! On nous encour­ageait à être en com­péti­tion, ce qui ne fai­sait pas ressor­tir le meilleur de nous. On nous pous­sait à être des garces les unes envers les autres. Je n’ai pas vrai­ment appré­cié cet état d’esprit.  Mon but est de trou­ver un envi­ron­nement heureux dans lequel tra­vailler. La méchanceté, les com­porte­ments désagréables, c’est une honte !
J’ai néan­moins gardé beau­coup d’amies du cast : Lil­iane Mon­tevec­c­chi, Karen Akers… les rôles prin­ci­paux, quoi. Les filles du cho­rus, je les ai per­dues de vue. Pour ma part, j’étais dans le cho­rus et j’étais dou­blure de deux des trois rôles féminins prin­ci­paux. Puis, j’ai repris le rôle de Clau­dia, et beau­coup de filles ne l’ont pas apprécié.
J’ai en tout cas appris une leçon : si on a une dou­blure, on peut choisir de s’en faire une amie ou une enne­mie. J’ai choisi l’option « amie ».
Quand, plus tard, j’ai été tit­u­laire du rôle de Griz­abel­la dans la pro­duc­tion de Los Ange­les de Cats, je n’ai jamais traité ma dou­blure comme j’avais été traitée sur Nine !
La chose pos­i­tive dans tout ça, c’est que j’ai appris quel type de com­porte­ment était appro­prié. Raul Julia, par exem­ple, qui jouait le rôle de Gui­do, était adoré de tous. Il était tal­entueux, gen­til, avec des idées fortes. C’est mon mod­èle ! Comme c’était mon pre­mier show à Broad­way, et qui plus est un hit, j’ai eu le temps d’assimiler !

Dans les années 90, vous vous êtes instal­lée à Lon­dres. Par­lez-nous de ce choix.
On m’a pro­posé de jouer le rôle-titre d’Annie Get Your Gun en province puis dans le West End, mais avant ça, j’avais fait beau­coup d’enregistrements en Angleterre avec la mai­son de dis­ques EMI. Je suis par­tie là-bas… et je ne suis jamais rev­enue aux Etats-Unis. J’avais joué dans cinq shows à Broad­way, j’avais joué Cats à Los Ange­les, j’avais fait des tournées, et à ce moment-là de ma vie, enreg­istr­er des dis­ques était ce que je trou­vais de plus excitant.
Je n’avais plus d’illusions con­cer­nant Broad­way : c’est un job, la plu­part du temps on a envie d’y aller, mais par­fois non ! Le West End, c’est pareil, mais je trou­ve néan­moins que Lon­dres est plus viv­able que New York. Les acteurs de plus de soix­ante ans qui choi­sis­sent de vivre à Man­hat­tan doivent sou­vent se con­tenter d’un stu­dio, ou sinon, ils doivent aller vivre en ban­lieue. J’ai une meilleure vie à Lon­dres. Et puis, j’ai épousé quelqu’un que j’avais ren­con­tré sur Annie Get Your Gun. Le mariage s’est ter­miné depuis mais il a duré suff­isam­ment pour que je reste en Europe. Ici, j’ai des oppor­tu­nités que je n’aurais pas eues si j’étais restée à New York et mes amis de là-bas sont par­fois jaloux. Si j’étais une Broad­way girl, je n’aurais jamais pu jouer la Mère Supérieure dans La Mélodie du Bon­heur au Châtelet. Tout ça, c’est grâce à l’Europe !

Vous avez l’air de beau­coup aimer le tra­vail en studio…
Pour Annie Get Your Gun, que j’ai d’abord enreg­istré avant de jouer sur scène, j’incarnais le rôle prin­ci­pal, j’étais dans les stu­dios d’Abbey Road, j’étais accom­pa­g­née par un orchestre sym­phonique. Com­ment ne pas aimer ? Vous savez, en télé ou au ciné­ma, ce qui compte, c’est que la caméra aime votre vis­age. Regardez Jude Law ou Nicole Kid­man, je ne dis pas qu’ils ne sont pas beaux au naturel, mais à l’écran, ils sont sim­ple­ment extra­or­di­naires ! La caméra les rend encore plus beaux. Et bien, c’est la même chose avec un micro… Moi, la caméra ne m’aime pas, mais j’ai la chance que le micro aime ma voix !
C’est vrai­ment fun d’enregistrer des albums et j’ai dû en faire une bonne quar­an­taine. Ce qui est intéres­sant, c’est, dans cet espace lim­ité qu’est un stu­dio, devant votre micro, d’essayer de faire com­pren­dre à l’auditeur la scène qu’il entend. Ce n’est pas juste une chan­son : c’est du théâtre musi­cal, et vous incar­nez un per­son­nage. Il faut donc inclure dans votre inter­pré­ta­tion des élé­ments de jeu, bien entendu.

Vous avez inter­prété Porter, Berlin, Gersh­win, Bern­stein, etc. Vous êtes dev­enue une  spé­cial­iste des musi­cals du répertoire…
Je suis heureuse que John McGlinn [NDLR : chef d’orchestre] ait lancé cette idée de restau­r­er et enreg­istr­er cette série d’anciens musi­cals. Ce que j’aime par­ti­c­ulière­ment, c’est la finesse des orches­tra­tions de l’époque. Aujourd’hui, tout est joué « forte », alors qu’avant, il n’y avait pas de micros pour ampli­fi­er les voix. On ne chan­tait donc pas en même temps que des per­cus­sions ou des cuiv­res, la voix se posait par-dessus des cordes ou des vents légers. Les orches­tra­tions d’antan lais­saient un espace pour la voix. De nos jours, on chante accom­pa­g­né par des trompettes !

Vous avez beau­coup joué en France : au Châtelet, à l’Opéra Comique, à l’Abbaye de Roy­au­mont… Com­ment cela se fait-il ? Vous aimez vous pro­duire en France ?
C’est d’autant plus sur­prenant que je suis une Améri­caine igno­rante qui ne par­le pas un mot de français ! Mais vis­i­ble­ment, les gens sont assez arrangeants ici. Le pub­lic a tou­jours été extra­or­di­naire­ment chaleureux alors que le théâtre musi­cal n’est pas une tra­di­tion, mais je crois que les Français aiment quand les choses sont faites avec authen­tic­ité et sincérité. Oui, j’aime bien jouer ici, c’est fun !

Quels sont les rôles que vous rêver­iez de jouer ?
Aujourd’hui, j’arrive dans une autre caté­gorie d’âge. Si on me pro­po­sait de rejouer Annie Oak­ley, je répondrais que je suis assez vieille pour être sa mère ! En opéra, on peut se per­me­t­tre d’être plus âgée que le rôle mais pas dans le théâtre musi­cal. Je suis dans une tranche d’âge où je peux aujourd’hui jouer Gyp­sy : j’ai joué tous les rôles créés par Ethel Mer­man, il me manque Mama Rose , c’est évi­dent ! J’aimerais aus­si beacu­oup jouer Do I Hear a Waltz, de Rodgers et Sond­heim. Et puis aus­si Mame, Hel­lo Dol­ly… Toutes ces héroïnes qui ne sont plus des gamines !