
On vous connaît surtout comme comédienne de théâtre traditionnel. Qu’est-ce qui vous a amenée à la comédie musicale ?
En fait, c’est un rêve de petite fille. Lorsque je suivais des études de théâtre à l’École nationale, il n’y avait pas de formation en théâtre musical. Alors, je me suis dirigée vers le théâtre conventionnel, mais j’ai toujours aimé chanter. Pour moi, le théâtre musical est un art parfait, c’est-à-dire que je peux à la fois jouer et chanter. Lorsque les occasions se présentent, j’en suis vraiment ravie. Je crois que c’est ce que j’aime le plus faire.
Vous avez participé à la comédie musicale Chicago. Que retenez-vous de cette production ?
Chicago a été formidable : j’ai eu l’impression de réaliser mon rêve de jeune fille et d’être dans Fame… Je m’explique : lorsque le spectacle a été monté, nous avons travaillé avec l’équipe américaine (le metteur en scène, le chorégraphe et le directeur musical). Tout se déroulait en même temps mais dans des salles différentes. Soit on pratiquait la danse, soit on travaillait les scènes avec le metteur en scène dans un autre espace : en fait c’était trépidant et effervescent. En plus, avoir un orchestre sur scène, c’est un luxe que nous avons rarement. C’est en fait ce qui m’a le plus marquée. Chicago était ma toute première comédie musicale et elle reste un souvenir très cher à mon cœur.
Actuellement, vous alternez deux productions musicales. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Je me sens très privilégiée. En effet, je joue dans Belles-Sœurs, qui est la version musicale de la pièce de Michel Tremblay, sur une adaptation de René-Richard Cyr et une musique de Daniel Bélanger. C’est vraiment une expérience formidable pour moi. Tout d’abord parce que c’est une œuvre mythique. Ce qui arrive souvent dans le domaine du théâtre musical, c’est qu’il peut s’avérer catastrophique de transformer une œuvre très connue, comme Les Belles-Sœurs. Mais, dans ce cas, c’est merveilleux car je pense que la pièce en ressort magnifiée. Nous sommes donc très gâtés : nous formons une super équipe, la musique est géniale, tout comme les chansons. Et le public accueille tout ça d’une manière magnifique. C’est un très gros succès. Il est vrai que, lors de la première, nous étions fébriles, ne sachant pas comment la pièce allait être reçue. Et finalement, la réponse est exceptionnelle et nous en sommes ravis. Pour ce qui est de l’autre pièce, Les Misérables, nous en sommes à notre troisième année, soit environ 150 représentations. Cette très belle aventure se terminera, je crois, après les représentations à Montréal. Nous avons commencé à répéter avec la même équipe des trois derniers étés, avec l’impression de nous être quittés la veille. Nous révisons un petit peu le tout, histoire de se rassurer, de retrouver nos pantoufles. J’ai vraiment hâte que le public de Montréal découvre cette version car Les Misérables, ce n’est pas rien et la lecture de Frédéric Dubois, qui est aussi le metteur en scène, a quelque chose de très bien et de sobre. C’est vraiment l’histoire qui est en avant-plan et cela me touche beaucoup : il n’y a rien de clinquant !
Dans Les Misérables, vous tenez le rôle de Mme Thénardier. Est-ce un rôle facile à jouer ?
Cela demande énormément d’énergie et moi, quand je pense aux Misérables, je ne pense pas nécessairement aux Thénardier. Ce qui me touche, c’est davantage les rôles de Fantine ou d’Eponine. Les Thénardier, ce n’est pas ça du tout. Mais c’est très amusant à jouer : ce sont les clowns du spectacle ! On peut appeler ça comme ça. Le spectacle est tellement dense et tragique que les Thénardier sont un peu là pour alléger l’atmosphère, en riant, pour ensuite un peu mieux retomber dans l’histoire qui est terrible finalement. Donc facile à jouer : oui, mais ce ne sont pas des rôles en présence constante. Vocalement, cela dépend toujours de ce qu’on en fait. Il est certain qu’il y a des récitatifs qui sont particuliers, qui ne sont pas « tout cuits dans le bec ». Comme ce sont des rôles un peu plus joués, je peux décider, un soir, de laisser une plus grande place à l’actrice. Cela demande plus des acteurs que des chanteurs pour jouer les Thénardier.
Comment on s’approprie un rôle tel que celui de Mme Thénardier ?
Je n’avais jamais vu de production des Misérables. J’avais entendu, sur CD, certaines productions, notamment celle de Londres. Comment on se l’approprie ? J’y vais à l’instinct. Aussi je vais être très à l’écoute de la lecture que va en faire le metteur en scène. C’est évident que nous l’avons travaillée ensemble et que j’y ai apporté mes suggestions. Mais j’y suis allée aussi avec ce qu’il avait en vue. Je lui ai fait confiance et j’abonde dans le même sens que lui. C’est plaisant d’avoir créé ce rôle en étant vierge de toute interprétation précédente. De plus, je suis sur scène avec mon propre partenaire (Jean-Raymond Châles), qui joue Maître Thénardier ; c’est aussi l’histoire du couple et la dynamique de ce couple est amusante à créer et à travailler. J’imagine que ça serait très différent si je jouais Mme Thénardier avec un autre acteur.
Quel trait de caractère du personnage de Mme Thénardier vous fait sourire ?
Tout me fait un peu sourire. Ce qui est intéressant avec Mme Thénardier : quand elle apparaît à la première scène, ce n’est pas très joyeux, ni très drôle. Je dirais même qu’elle est méchante. Mais dès qu’arrive la scène suivante, à l’auberge, avec la chanson des Thénardier, on découvre le côté un peu plus clownesque du personnage. Nous avons ri énormément à jouer cette scène. Je virevolte alors qu’elle se prend un peu pour une fée : c’est très cocasse. C’est toujours un peu amusant de jouer ces personnages qui sont fourbes et cruels, mais qui font aussi rire.
Ce sont peut-être les toutes dernières représentations des Misérables. Qu’est-ce qui va vous manquer ?
La grandeur de cette œuvre, l’orchestre qui est présent tous les soirs et qui est formidable, mes compagnons auxquels je me suis attachée. Lorsqu’on fait partie d’un spectacle depuis aussi longtemps, on s’attache davantage que si nous n’avions offert qu’une quinzaine de représentations. Entendre cette belle musique : je pleure encore, même après 150 représentations. Et en même temps, le théâtre, on le sait, c’est l’art de l’éphémère. Donc je m’y suis un peu habituée et c’est un peu notre vie que de laisser un projet pour en entreprendre un autre. Les deuils sont moins douloureux à faire maintenant que lorsque je suis sortie de l’École de théâtre. C’est tout de même une belle aventure que je vais laisser derrière moi.
Parlons un peu des Belles-Sœurs et de votre rôle de Des-Neiges Verrette. Comment la décrivez-vous ?
Des-Neiges est un personnage formidable : c’est la vieille fille, la fille très timide, pognée. Elle est très touchante et j’ai beaucoup de plaisir à tenir ce rôle, d’autant qu’on me sollicite rarement pour ce genre de personnage fragile, plus en douceur. Nous avons beaucoup travaillé la tonalité car, au début, j’étais très confortable, ma voix était plus ronde, plus chaude, mais ça ne fonctionnait pas. Alors nous l’avons montée pour que ce soit dans ma voix de passage, pour que la fragilité excessive sorte plus. Comme la pièce Belles-Sœurs est travaillée à la manière du théâtre de Brecht plutôt que Broadway, ce sont vraiment les personnages qui chantent et je suis contente que la chanteuse s’efface un peu derrière le personnage.
De quelle façon appréciez-vous ces deux rôles qui sont en fait complètement différents ?
C’est le grand plaisir d’être actrice, de pouvoir explorer cette palette que — je pense — chaque actrice possède mais à un degré différent. Tu es plus libre et tu as accès à un éventail de personnalités à faire ressortir. C’est ce que j’aime le plus dans mon métier : pouvoir jouer la jeune première amoureuse ou la marâtre frustrée… En fait, j’éprouve un malin plaisir à jouer des personnages qui ne se ressemblent pas du tout.
Cela vous est déjà arrivé de regretter un rôle ?
Jamais ! Quand je m’embarque dans un projet, je m’y lance la tête la première et je sais que, de toute façon, je vais y trouver ce qui va me plaire. Et c’est toujours une nouvelle équipe. Non, j’exerce vraiment un métier que j’adore et je me trouve très chanceuse. Je touche du bois tous les matins. Dire que je gagne ma vie en exerçant ce métier ! Peut-être que je suis jusqu’à présent bien tombée dans mes choix de rôles.
Que pensez-vous des productions québécoises en théâtre musical ?
Bonne question ! Je pense que les meilleures sont encore à venir. En tous cas, j’ai ce souhait-là, ce grand désir, car je pense qu’il y a une place au Québec pour ce genre de théâtre. Il est certain que nous avons moins de culture de ce côté-là que New York ou Londres, mais il y a la possibilité de se confronter à des textes d’ici, peut-être à plus petite échelle. Je pense que le danger qui nous guette, lorsqu’on décide de monter une comédie musicale, c’est d’aller dans le grandiloquent, dans les énormes productions à grands frais. Avec un bon texte, un musicien « live », des chansons inédites, dans une petite salle, cela a tout son charme et toute sa place. Je travaille beaucoup actuellement, je n’ai pas vraiment le temps, mais si un jour je n’avais plus ou moins de projets, je tenterais à coup sûr de me lancer dans une telle aventure car il y a beaucoup de talents au Québec. Il faut seulement développer une autre façon de faire.
Alors l’écriture d’une comédie musicale, ce serait envisageable pour vous ?
Je ne sais pas si je l’écrirais moi-même. Je ne sais pas non plus si j’ai le talent pour le faire. Mais je pourrais placer des commandes ou encore attiser cet intérêt chez les auteurs et créer des associations entre auteurs et compositeurs. J’ai envie de faire ça toute ma vie car je suis vraiment très heureuse quand je peux chanter et jouer en même temps.