
Du dessin animé au théâtre : qu’est-ce qui vous a le plus intéressée dans cette adaptation ?
Je ne connaissais pas le film avant de m’attaquer à ce projet. L’histoire me semblait intéressante à adapter, notamment le rite de passage de l’enfance vers l’âge adulte, mais ce qui me motivait le plus c’était de transformer un dessin animé en deux dimensions vers un spectacle en trois dimensions : trouver ce que le théâtre peut apporter de plus à la technique de l’animation et jouer avec l’imaginaire de chaque spectateur.
Vous possédez un univers très personnel : comment s’en sortir face à un géant comme Disney ?
Avant toute chose nous avons conclu un accord qui me donnait carte blanche pour, d’une part, traiter l’aspect visuel comme je le souhaitais et, d’autre part, développer l’intrigue. Il est vrai que je n’ai rien à voir avec le style assez lisse de Disney. J’aime l’aspect rugueux, authentique. Prenez l’affiche du spectacle : je me suis inspirée des impressions japonaises réalisées à base de bois, artisanal. J’avais dès le départ envie que mon style soit visible, identifiable.
Vous évoquez trois aspects principaux au sujet du Roi Lion ?
Il s’agit de l’histoire, de la musique et de l’aspect visuel. J’ai tout d’abord souhaité développer le livret, surtout dans sa seconde moitié pour assombrir un peu l’intrigue et donner du corps au personnage central qui doit traverser des épreuves avant d’accéder au pouvoir.
Au sujet de la musique, vous retrouvez bien sûr les chansons d’Elton John et Tim Rice entendues dans le film. J’ai souhaité en ajouter d’autres, composés entre autres par le compositeur sud-africain Lebo M. Je voulais que l’Afrique soit palpable. La musique inclut également des dialectes africains, qui s’insèrent dans les paroles anglaises [NDLR, les paroles anglaises seront traduites en français pour la production à Mogador mais les dialectes seront conservés]. J’aime jouer avec la musique des langues.
Enfin pour l’aspect visuel, si les voix dans le film permettent de donner de l’humanité à chacun des caractères, il me fallait recréer cette complémentarité au théâtre, mais d’une autre manière. Prenez les intonations profondes et inquiétantes de Jeremy Irons, elles collent parfaitement à Scar. Pour la scène, mon défi était de trouver comment intégrer leur humanité à chaque animal, et ce au-delà de la voix. C’est une fable et il faut par conséquent la rendre humaine. Je ne pouvais pas me contenter de mettre un masque sur un acteur. Pour conserver la dualité entre l’homme et l’animal, j’ai placé le masque au-dessus de la tête de l’acteur. Ainsi vous laissez ses expressions visibles. Le reste du corps est l’animal stylisé. Pour certains personnages emblématiques, comme Scar, l’acteur peut également jouer doublement : le masque peut, dans les moments d’agressivité durant lesquels l’acteur se baisse violemment, se placer devant son visage et le rendre ainsi plus menaçant. Scar a en plus une canne, symbole suprême, qui peut signifier l’animal blessé mais aussi lui permettre aussi, en s’appuyant dessus d’une certaine manière, de montrer toute son arrogance.
Votre esthétique se traduit également dans les décors ?

Ce qui importe est la manière, unique, dont vous racontez votre histoire, ce qui peut être aussi émouvant que l’intrigue elle-même. La poésie du théâtre naît de la possibilité offerte à chaque spectateur, alors qu’il sait être assis dans une salle confinée, de s’évader à condition de savoir titiller son imagination. On oublie la réalité pour entrer dans une autre : celle de la vision que propose l’artiste. J’ai donc refusé l’aspect traditionnel du décor peint. Dans ma conception, on voit le roc apparaître, on voit les ficelles qui permettent au soleil, composé de lamelles de soie cousues avec du bambou, de se lever, mais on oublie les artifices techniques (que j’ai consciemment conservés visibles, je les trouve beaux) pour se trouver immédiatement dans la savane, dans le paysage familier des lions. Il en va de même pour les étendues sauvages : j’ai habillé des acteurs avec des robes spéciales, ils portent tous au-dessus de leurs têtes des petites parcelles d’herbe. Avec la chorégraphie adéquate, le jeu sur la dimension des masques des protagonistes, vous pouvez évoquer le voyage de deux lions dans la savane… La taille des masques apporte d’ailleurs un aspect très cinématographique au spectacle puisqu’il me permet de jouer avec le gros plan tout comme avec le plan large. J’aime les échanges comme ça entre cinéma et théâtre. D’ailleurs je joue beaucoup avec les contrastes. Ainsi le tableau d’ouverture se veut grandiose, en présentant tous les animaux africains qui viennent célébrer la naissance de Simba. Juste après la scène est noire, et l’attention du publique est attirée par une minuscule souris en ombre chinoise, souris qui va se faire dévorer par Scar. J’adore jouer avec les perspectives. Je conçois ma mise en scène en termes d’espace et en mouvement.
Quel est le symbole le plus fort du spectacle ?
Le thème du cercle, que l’on retrouve dans la chanson phare : « The Circle of Life », se retrouve partout dans le spectacle : dans la crinière ronde de Mufasa, père de Simba, dans les roues de certaines marionnettes, dans l’immense soleil… Le public peut en avoir conscience, mais dans le cas où il ne le remarque pas, cela n’est pas grave : le spectacle est suffisamment riche en soi pour captiver toutes les attentions. Le Roi Lion offre ainsi de nombreux niveaux de lecture.
Vous avez également renforcé les rôles féminins ?
Cela m’ennuyait que dans le film aucun personnage féminin ne possède une place prépondérante. D’ailleurs, souvent dans les contes traditionnels les femmes s’effacent pour laisser le champ aux mâles, ça m’agace. Dans la comédie musicale, en revanche, on aime les rôles de femmes fortes ! J’ai donc accentué la présence de Nala, la jeune lionne qui naît en même temps que Simba et j’ai opéré un changement de sexe à Rafiki, qui de narrateur et devenu narratrice ! Elle est drôle et nous permet également d’entrer dans l’histoire sans pour autant beaucoup parler. D’ailleurs, le plus souvent elle utilise un dialecte inintelligible que nous comprenons empiriquement.
Le Roi Lion s’adresse-t-il surtout aux enfants ?
Je ne crois pas au théâtre pour enfants. Je m’adresse à eux comme à des adultes. Le public est capable d’entrer dans n’importe quelle production pour peu que différents niveaux de lecture soient accessibles. Je tente de regrouper tous les morceaux qui me permettront d’aboutir à une pièce qui parle au plus grand nombre, tel fut l’un des défis du Roi Lion. L’important est que chacun trouve dans cette matière quelque chose qui lui corresponde et lui parle. De plus, l’aspect ancestral du théâtre se ressent sans intellectualiser une seconde : des éléments parlent de manière empirique, presque primitive, à chacun. Lorsque vous entendez un certain cri, comme un appel, cela vous parle immédiatement, sans vous poser de questions. Les enfants se posent moins de questions, dans leurs jeux ils créent souvent des choses qui m’inspirent dans mon travail. Ainsi lorsque j’utilise des rubans qui sortent des yeux des lionnes, un enfant va spontanément voir les larmes qui coulent alors qu’un adulte va le plus souvent se demander comment le ruban tient ! Une chose est sûre : dans chaque pays qui accueille cette production, les spectateurs sont invités à vivre intensément le moment passé dans le théâtre, nous ne ménageons pas nos efforts ! Je suis certaine que le public français sera réceptif à tout cela. Nous soignons l’adaptation et le casting. Attendez-vous à être étonnés.