Julia Migenes — La diva qui rit

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Julia Migenes ©DR
Julia Migenes ©DR
Lorsqu’elle est née, Julia Migenes avait le cor­don ombil­i­cal enroulé trois fois autour du cou. Quand elle est finale­ment par­venu à respir­er, elle a poussé un tel hurlement que le doc­teur se serait écrié « Eh bien, elle aura de bons poumons ! » Admirable pré­mo­ni­tion ? « Non bien sûr. Aujour­d’hui, je ne vois pas ça comme un signe mais plus sim­ple­ment comme la pre­mière leçon de mon exis­tence : la lutte com­mence à la nais­sance et elle dure toute la vie. D’ailleurs, ma vie est comme ça ! », s’ex­clame la diva aux orig­ines por­tor­i­caine, grecque et irlandaise. Elle est effec­tive­ment comme ça, Julia Migenes, un vol­can cos­mopo­lite qui explose à tout moment d’un rire sonore et toni­tru­ant. Une vital­ité hors du com­mun dans le monde un peu com­passé de l’art lyrique. Il est vrai qu’elle vit un peu en marge d’un sys­tème qui appré­cie peu le mélange des gen­res. Pensez donc, une chanteuse lyrique qui fait du cinéma…

Pour­tant, ce rôle de Car­men, dans le film éponyme de Francesco Rosi, a plus fait pour pop­u­laris­er l’opéra que tous les con­certs des Trois Ténors réu­nis. Quinze ans après, on l’ar­rête encore dans la rue pour lui en par­ler. « Il y a beau­coup de gens qui me dis­ent que c’est la pre­mière fois qu’ils ont vu un opéra. Et ils aimeraient l’aimer s’il n’é­tait pas aus­si cher, aus­si snob et aus­si éli­tiste. L’opéra est devenu inac­ces­si­ble alors que pré­cisé­ment Puc­ci­ni ou Ver­di écrivaient pour un pub­lic populaire ».

Et c’est parce qu’elle partage cette vision qu’elle a elle créé Diva au bord de la crise de nerfs où elle se livre, plus qu’à un réc­i­tal clas­sique, à un vrai one-woman show, inter­calant entre deux airs lyriques des sketch­es sur l’art, l’opéra, les divas et leurs tra­vers… Des noms ! Des noms ! « C’est plein de sit­u­a­tions vécues ça et là », con­cède-t-elle dans un de ces rires qui cas­ca­dent en lib­erté dans ses pro­pos. Mais elle élude la ques­tion : « de toute façon, il a fal­lu rac­cour­cir les textes en français. Ce qu’on dit en cinq mots en anglais, il en faut dix en français. Il reste heureuse­ment une arma­ture resser­rée pour bien met­tre en valeur les chan­sons ». Si le genre est inédit en France, ces spec­ta­cles inter­calant moments d’hu­mour et grands airs lyriques sont très pop­u­laires dans les pays anglo-sax­ons et Julia a créé le sien il y a un an à Los Ange­les avant de le repren­dre cette année, à Lon­dres d’abord, puis en tournée dans toute l’Europe.

« Avoir de l’hu­mour, bla­guer ce milieu et con­tin­uer à s’en faire respecter, c’est quelque chose » ! D’ailleurs, pour sim­pli­fi­er les choses, elle est prête à des mesures rad­i­cales. « Dehors, les puristes qui sont aus­si sou­vent des inté­gristes ! Ils décrè­tent ce qui est bon et ce qui est mau­vais et sont telle­ment fixés dans leurs goûts que c’en est presque une mal­adie. Moi, je veux les gens qui aiment le clas­sique ET qui ont de l’humour » ! 

Julia, un hymne à la joie 
De l’hu­mour, la belle Julia n’en est pas dépourvue, pas plus que de car­ac­tère d’ailleurs ! Et elle a tou­jours appré­cié ceux qui n’en man­quaient pas non plus. A trois ans, elle joue dans Madame But­ter­fly le rôle du fils de Cio-Cio-San, l’héroïne. Elle se met à crier pen­dant tous les airs de la sopra­no ! Quelques années plus tard, elle fait par­tie de la troupe de créa­tion à Broad­way de la célèbre comédie musi­cale, Un vio­lon sur le toit. « Moi, j’é­tais la fille du héros, la plus sérieuse, et la chanteuse qui jouait ma soeur n’é­tait autre que Bette Midler ! Elle était mag­nifique, elle dégageait déjà une de ces éner­gies… Quand à Zero Mos­tel, Tevye, le tailleur juif, il avait une per­son­nal­ité telle­ment extraver­tie, c’é­tait fab­uleux. J’en ai tiré une leçon pour une bonne présence sur scène : il faut à la fois avoir de l’in­ten­sité et du réal­isme mais il faut aus­si de la joie et le sens de l ‘humour ».

Une autre grande comédie musi­cale à laque­lle Julia a par­ticipé il y a une douzaine d’an­nées est Rags, une his­toire se déroulant au début du siè­cle dans le milieu des émi­grants vers les Etats-Unis. Le rôle prin­ci­pal féminin a été écrit en pen­sant à elle. Elle a pour­tant com­mencé par dire non parce que l’idée de mon­ter sur scène huit fois par semaine, même à Broad­way, peut se révéler sui­cidaire pour la voix d’une chanteuse lyrique. « Les mélodies se situ­aient à un niveau qui aurait pu me faire per­dre mes aigus ». Sans elle, le spec­ta­cle fait un four en dépit de ses nom­breuses qual­ités et les pro­duc­teurs revi­en­nent à la charge. « Ils ont à nou­veau insisté mais ma réponse a été la même. Ils m’ont alors pro­posé : Fais au moins le disque et j’ai accep­té bien sûr parce que j’adore la musique « . Et c’est ain­si que l’en­reg­istrement de Rags par Julia reste le seul ves­tige de cette comédie musi­cale remar­quable qui attend tou­jours une vraie reprise. « Je ne sais pas pourquoi les comédies musi­cales ne marchent pas en France. C’est le seul pays où un bon spec­ta­cle ne dure pas un an ». 

Si le pub­lic français com­mence seule­ment à faire le suc­cès du théâtre musi­cal, cela fait en tout cas longtemps qu’il accorde sa con­fi­ance à Julia. « J’ai remar­qué quelque chose avec les Français. Quand je chante en Angleterre ou en Alle­magne, il ne faut pas trop mon­tr­er ses sen­ti­ments alors qu’en France, il y a dans l’air, venant du pub­lic, une émo­tion presque pal­pa­ble. En tant qu’artiste, je le sens tout de suite et je suis heureuse parce que je peux ain­si don­ner à mon inter­pré­ta­tion une inten­sité plus forte. C’est vrai­ment pas­sion­nant d’avoir l’op­por­tu­nité d’être sur scène avec des publics aus­si dif­férents qui deman­dent autant de subtilité ». 

Finale­ment, elle était bien pré­moni­toire la remar­que de l’ac­coucheur de maman Migenes. Julia a, certes, de bons poumons. Mais une bonne tête aussi.