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Jonathan Kerr, à la recherche de Moby Dick

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Jonathan Kerr dans Moby Dick © DR

Jonathan Kerr, com­ment vous est venue l’idée d’adapter Moby Dick en musical ?
J’avais un air qui m’ob­sé­dait pen­dant que nous ter­min­ions l’ex­ploita­tion de Camille C et qui est devenu le thème prin­ci­pal de Moby Dick, le chant du mon­stre. Il s’ap­pelle « Je vois ». En fait, Moby Dick a été longtemps un de mes romans de chevet. Je suis obsédé par cette idée de la soli­tude. Com­ment traiter ça au théâtre ? Et quelle métaphore tir­er de ce roman incroy­able qui est bien plus qu’une sim­ple chas­se à la baleine ? Dans le roman, le cap­i­taine Achab n’ap­pa­raît pas sur le pont aux marins pen­dant un assez long temps au début de l’ouvrage (cette soli­tude, juste­ment). Je me suis dit qu’en répon­dant à cette ques­tion : « Pourquoi ne monte-t-il pas sur le pont ? », j’al­lais résoudre une part de l’énigme de l’histoire. J’ai fait de ce cap­i­taine un vision­naire (qui chante, entre autres : je « vois »). J’ai trans­for­mé un des marins en Melville lui-même qui va vivre sa plus belle mais aus­si sûre­ment sa plus douloureuse aven­ture et j’ai adjoint au cap­i­taine une « douce et ter­ri­ble amie » que j’ai appelée l’An­dalouse, qui est tout ce qu’il désire en fait.

Quel est selon vous le mes­sage de Moby Dick ?
C’est juste­ment tout l’en­jeu car on peut bien sûr rester juste au niveau de la chas­se au cétacé immac­ulé. Il me sem­ble qu’en choi­sis­sant d’ap­pel­er le cap­i­taine « Achab » (qui était à l’o­rig­ine un roi san­guinaire et voué au dieu Baal), Melville a voulu porter son roman vers l’ab­so­lutisme de l’époque dans laque­lle il vivait (la tyran­nie des hommes de mer). Aujourd’hui, cette his­toire pour­rait être dérisoire si on en restait à la chas­se à la baleine, c’est pourquoi je pro­pose un autre mes­sage et celui-ci presque inver­sé : la vie ne vaut qu’à tra­vers les com­bats que nous menons, même les plus insen­sés. Et peut-être même : heureux ceux qui par­tent chas­s­er leur pro­pre démon !

Com­ment définiriez-vous votre spec­ta­cle, notam­ment d’un point de vue musical ?
C’est bien sûr du théâtre musi­cal mais je ne peux pas m’empêcher de ten­ter de renou­vel­er sans cesse la forme que j’exploite. C’est vraisem­blable­ment pour ça d’ailleurs que Camille C a reçu le Molière inat­ten­du. Il y a du Fer­ré d’Os­tende, Achab est obsédé par l’An­dalouse (et donc le genre musi­cal his­panisant), le marin voudrait revenir à terre et chante son désir comme on jet­terait une bouteille à la mer avec le lyrisme qui va avec. Une pas­sacaille cohab­ite avec ces tan­gos qu’on pou­vait danser entre hommes et l’Andalouse fait tourn­er le cap­i­taine à la jambe morte comme une toupie. C’est une danse macabre en quelque sorte mais eupho­risante et envoû­tante. Quelque chose comme celle de Saint Saëns avec des paroles et des scènes à jouer.

En tant que com­pos­i­teur, com­ment s’est fait le choix des trois instru­ments qui accom­pa­g­nent le spectacle ?
Pour l’orchestration, j’ai tout de suite pen­sé à la harpe à cause des fanons de la baleine que les cordes de la harpe évo­quent et ce côté sirène de l’instrument atti­rant Ulysse vers le large. L’accordéon, bien sûr, pour l’atmosphère des bars à matelot et le vio­lon­celle qui par­le au ven­tre, qui rythme le tout, accen­tu­ant la cadence.

Vous avez créé le spec­ta­cle en Avi­gnon l’été dernier. Aura-t-il évolué entre Avi­gnon et la créa­tion parisienne ?
Oui, énor­mé­ment. Déjà parce qu’on avait du réduire « la voil­ure », et donc que nous avons mis main­tenant des voiles. Que j’ai écrit d’autres airs et peaufiné davan­tage la trame orig­i­nale au niveau du livret et des dia­logues. Qu’il n’y a que l’exercice du plateau pour se ren­dre compte du rythme général et des « césures » et que nous avons par­fait avec Erwan Daouphars (le met­teur en scène), Roger Lou­bet (mon arrangeur) et Mar­tin Ysae­bert (le choré­graphe) tout ce qui nous sem­blait per­fectible. Cette ver­sion est plus com­plète et, tout en gar­dant, je crois, la force qu’elle avait à Avi­gnon, a gag­né en spectaculaire.