John Kander et Fred Ebb — Chicago en deuil d’un de ses pères

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Ce grand tan­dem de la fin du 20e siè­cle à Broad­way a mené une car­rière exem­plaire mais dis­crète. Leurs oeu­vres sont archi célèbres mais leurs noms n’évo­quent rien hormis pour une poignée d’ini­tiés. John Kan­der et Fred Ebb sont des artistes créa­teurs qui ont apporté à d’im­menses artistes de superbes chan­sons et de non moins superbes spec­ta­cles. Tra­vailleurs infati­ga­bles, ils préfèrent rester dans l’om­bre. Les mots et les notes qu’ils écrivent, ils lais­sent le soin à d’autres de les met­tre en valeur et récolter la gloire. Heureuse­ment, leurs meilleurs inter­prètes savent ren­dre un hom­mage appuyé à ceux dont ils s’es­ti­ment les serviteurs.

Cabaret, un suc­cès dif­fi­cile à reproduire 
Au début des années 60, un jeune paroli­er en quête d’un col­lab­o­ra­teur, Fred Ebb (né en 1932), se voit présen­ter le com­pos­i­teur John Kan­der (né en 1927). Ils démar­rent immé­di­ate­ment avec Flo­ra, the Red Men­ace. Si le spec­ta­cle laisse peu de traces, il a occa­sion­né des ren­con­tres fructueuses : la jeune débu­tante de 19 ans Liza Minel­li et le producteur/metteur en scène Harold Prince. Après le coup d’es­sai vient de coup de maître : Cabaret en 1966 ren­con­tre un suc­cès fra­cas­sant. L’évo­ca­tion du Berlin de 1930, la mon­tée du nazisme, et la tonal­ité déca­dente du spec­ta­cle empor­tent l’ad­hé­sion publique et cri­tique. Cabaret apporte la gloire à ses auteurs et con­forte Harold Prince à l’a­vant-garde de Broad­way. Le tri­om­phe se pour­suit avec l’adap­ta­tion sur grand écran réal­isée par Bob Fos­se. Liza Minel­li mène la danse, et Joel Grey reprend son rôle mor­bide de Maître de céré­monie. Le film rafle 8 Oscars en 1972.

Mais l’après Cabaret se révèle laborieux. Le suc­cès n’est plus au ren­dez-vous. La faute provient en par­tie sans doute des sujets décalés, bien éloignés des idéaux améri­cains. Entre une virée de retraités (70, Girls, 70), les sou­venirs de jeunesse d’un Québé­cois (Hap­py Time), ou l’hymne à la vie d’un hédon­iste grec (Zor­ba), les arti­sans Kan­der et Ebb mènent la bar­que à leur façon. Out­re leur intérêt pour les per­son­nages à la lisière du rêve améri­cain, ils affir­ment égale­ment leur prédilec­tion pour les sujets tirés du ciné­ma: Zor­ba le Grec, et plus tard Woman of the Year (avec Lau­ren Bacall) et Le bais­er de la femme araignée (1994).

Des hommes de scène et de cinéma 
La ver­sion ciné­ma de Cabaret avait fait tra­vailler les deux hommes avec Bob Fos­se, réal­isa­teur et choré­graphe remar­quable. Ils enchaî­nent ensem­ble le pro­jet Chica­go pour le théâtre musi­cal. La mise en scène d’une meur­trière chou­choutée par les médias, dans des choré­gra­phies alertes et tor­rides, donne à Chica­go un statut de spec­ta­cle culte. La reprise du spec­ta­cle plus de 20 ans après sa créa­tion est un des grands événe­ments du Broad­way des années 90. La fusion géniale du théâtre, des chan­sons et de la danse pro­duit une alchimie hyp­no­tique d’une moder­nité tou­jours d’ac­tu­al­ité. Pour pour­suiv­re dans la fab­uleuse décen­nie 70 du tan­dem, on ne pour­ra man­quer d’évo­quer le film New York, New York (1977), réal­isé par Mar­tin Scors­ese avec Liza Minel­li et Robert de Niro. Le film rend hom­mage aux big bands de l’après guerre. La chan­son titre reste dans toutes les mémoires. Kan­der et Ebb atteignent le som­met de leur car­rière, mais ils demeurent effacés der­rière leurs stars. Avec le très atten­du Chica­go au ciné­ma fin 2002, ils ont encore lais­sé le devant de la scène aux stars Cather­ine Zeta-Jones, Renée Zell­weger et Richard Gere. C’est à peine si on remar­que leurs noms en petits car­ac­tères sur les affiches.

A un âge digne d’une retraite méritée, les vétérans Kan­der et Ebb con­tin­u­ent de pro­duire un spec­ta­cle tous les trois ans env­i­ron. Finale­ment Fred Ebb s’éteint en sep­tem­bre 2004 à l’âge de 76 ans, alors que trois spec­ta­cles sont encore en chantier : Skin of Our Teeth, Cur­tains et The Vis­it. Cette col­lab­o­ra­tion exem­plaire, éclec­tique, et d’une remar­quable longévité en fait des fig­ures de référence du Broad­way en quête de grandeur et de noblesse.

En France, si le pub­lic con­naît Cabaret que Jérome Savary a mis en scène, il ignore cepen­dant qu’Alain Resnais a fait appel à John Kan­der pour com­pos­er la bande-son de son film I Want to go Home (1988). Il reste encore beau­coup à faire pour appréci­er à leur mesure ces mer­veilleux artistes, issus de la crème du théâtre musi­cal améri­cain d’aujourd’hui.

Liste des musi­cals de John Kan­der et Fred Ebb 
Musiques de John Kan­der et lyrics de Fred Ebb

1965 — Flo­ra the Red Men­ace. Livret de G. Abbot et R. Russel
1966 — Cabaret. Livret de Joe Masteroff
1968 — The Hap­py Time. Livret de N. Richard Nash
1968 — Zor­ba. Livret de Joseph Stein
1971 — 70, Girls, 70. Livret de F. Ebb et Nor­man L.Martin
1975 — Chica­go. Livret de F.Ebb et Bob Fosse
1977 — The Act. Livret de George Furth
1981 — Woman of The Year. Livret de Peter Stone
1984 — The Rink. Livret de Ter­rence McNally
1993 — Kiss of The Spi­der­woman. Livret de Ter­rence McNally
1997 — Steel Pier. Livret de David Thompson
1999 — Skin of Our Teeth, the musi­cal (pre­mière ver­sion sous le nom de Over and Over). Livret de Joseph Stein
2001 — The Vis­it (pre­mière ver­sion). Livret de Ter­rence McNally
2001 — Cur­tains (pre­mière lec­ture). Livret de Peter Stone.