Sait-il que la plupart des Parisiens qui ont vu les affiches de La cage aux folles pensent encore qu’il s’agit d’une nouvelle adaptation de l’impérissable comédie de Jean Poiret ? « Oui, bien sûr, mais je compte sur vous pour leur dire la vérité ! », glisse Jerry Herman dans un sourire. Sa comédie musicale, créée en 1983, a en effet tenu l’affiche 5 ans à Broadway avant de triompher dans le monde entier. « Mais je me réjouis qu’elle soit enfin montée en France. Elle ne sera jamais plus à sa place qu’à Paris ».
Jerry Herman est le dernier des titans de l’âge d’or de Broadway. Né en 1932, il a connu son premier succès avec une comédie musicale en hommage au jeune état d’Israël, Milk And Honey, qui attire sur lui l’attention du légendaire — et colérique — producteur David Merrick. Ce dernier lui confie un manuscript dont Jerry tirera Hello, Dolly ! (1964) qui tiendra l’affiche sept ans et demi ! Un triomphe qui doit beaucoup à la musique et aux paroles de Jerry bien sûr, mais aussi à la personnalité attachante des artistes qui ont interprété le rôle principal. A commencer par Carol Channing, une légende outre-Atlantique avec une voix et un visage tout droit sortis d’un dessin animé de Tex Avery ! « Carol est unique, touchante et drôle en même temps. Bien sûr, dès que nous l’avons vue, cela a influencé la production tout entière en lui donnant un côté plus cartoonesque, ce qui s’est révélé très positif. Dans un théâtre, les spectateurs savent qu’ils y a un orchestre entre eux et les comédiens, il ne faut donc pas chercher le réalisme à tout prix ». En France, c’est Annie Cordy qui a triomphé dans le rôle de Dolly Levi, cette marieuse qui décide un beau jour qu’il est temps de penser à son propre bonheur. Jerry s’en souvient encore : « Annie était merveilleuse dans ce spectacle, je l’ai adorée ».
Mame, avec Angela Lansbury, marque son troisième gros succès consécutif. Il s’agit d’une nouvelle histoire de femme mûre, un thème cher à Jerry. « En écrivant des rôles pour ces stars, j’ai eu la chance de réaliser un rêve d’enfant car ce sont ces grandes dames, Ethel Merman, Mary Martin et les autres, qui sont à l’origine de ma fascination pour cet art ». Pour autant, il n’a jamais écrit ses rôles avec un interprète spécifique à l’esprit : « Je préfère écrire pour un personnage plutôt que pour une personne », confirme-t-il.
Grandeur et décadence
Jerry Herman est aussi l’un des rares auteurs-compositeurs de Broadway et sa façon de créer une chanson est assez unique : « Est-ce que j’écris d’abord la musique ou les paroles ? En fait, je trouve un bout de phrase par çi, un embryon de mélodie par là et j’avance sur les deux en même temps. A la fin, c’est comme un puzzle dont toutes les pièces s’assemblent ». C’est un travail très rigoureux. « Je pars avec une locomotive, c’est l’idée de départ. Je détermine la fin, mon petit wagon de queue qui doit apporter une réponse, faire avancer les choses. Ensuite seulement, je mets les wagons intermédiaires, plus ou moins grands, plus ou moins colorés et qui doivent prendre place entre ces deux extrémités ».
Les années 70 vont lui être moins favorables. Dear World (d’après La folle de Chaillot de Jean Giraudoux), Mack And Mabel et The Grand Tour sont des échecs cuisants. Le public boude les productions traditionnelles au profit des opéras-rock d’Andrew Lloyd Webber ou des constructions intellectuelles de Stephen Sondheim. Aujourd’hui, Dear World et Mack And Mabel ont rejoint le canon des classiques de Jerry Herman mais à l’époque, il n’en traverse pas moins une crise profonde : « J’étais prêt à jeter l’éponge puisque je semblais faire partie d’une époque révolue ».
Heureusement, un ami producteur l’appelle à son secours pour un spectacle parodique nommé A Day In Hollywood — A Night In The Ukraine qui ne fonctionne pas du tout. Jerry écrit trois chansons… qui remettent le show sur les rails et sont acclamées par la critique et le public. Jerry réfléchit un moment « Je n’en avais jamais parlé jusqu’à cette interview mais je réalise en vous parlant que c’est cette expérience qui m’a permis de reprendre courage et de me remettre à la tâche ».
La cage aux folles, version Jerry
La tâche, en l’occurrence, c’est bien sûr l’adaptation de La cage aux folles, ce film français qui est l’un des rares a avoir connu une grande carrière en Amérique. « J’ai adoré cette histoire d’amour et je comprenais parfaitement ce que pouvait ressentir Albin en se travestissant… Attention, moi, je ne mettrai une robe pour rien au monde », s’exclame-t-il en riant. En ce début des années 80 d’un reaganisme triomphant, les droits des gays ne sont pas encore vraiment d’actualité et le sujet semble provoquant. Il s’en défend : « Je n’ai jamais été un activiste. Simplement, j’ai écrit avec mon coeur une histoire simple et honnête, susceptible de plaire à tous les publics ». Néanmoins, il est heureux que l’une des chansons du spectacle, « I Am What I Am » (Je suis comme je suis) soit devenue outre-Atlantique un classique repris dans toutes les parades homos.
Avant la première à Broadway, Jerry Herman rode le spectacle plusieurs semaines à Boston, une ville très puritaine et conservatrice. Un soir, il s’assoit derrière un vieux couple tout ce qu’il y a de plus traditionnel. « Ils ont blêmi au début du spectacle quand les danseuses ôtent leurs perruques et se révèlent être des danseurs. Je crois qu’ils n’ont réalisé qu’à ce moment là le sujet de la comédie musicale. Mais au moment du duo romantique ‘Song on the Sand’ où Georges et Albin évoquent l’époque révolue où ils se faisaient la cour, j’ai vu le vieux monsieur, bouleversé, saisir la main de sa femme. Le secret de La cage, c’est que comme eux, beaucoup de gens qui avaient des idées préconçues ont été touchés par le spectacle et en sont sortis avec une perception différente ». En fait, le sujet est passé d’autant plus facilement que cette comédie musicale reste finalement très traditionnelle. Sauf que le couple de héros est constitué de deux hommes bien sûr !
Lors des Tony Awards suivants, l’équivalent américain des Molières, La cage aux folles est plébiscité comme meilleur spectacle musical. Le succès en est si grand que pendant quinze ans, Jerry n’a pas retrouvé un autre sujet aussi enthousiasment. Il s’est retiré en Californie, se contentant de superviser les reprises de ses spectacles, les nombreux enregistrements de ses tubes par d’autres chanteurs et des téléfilms musicaux de prestige comme Mrs. Santa Claus. La diva des divas, Barbra Streisand, prépare en ce moment une version télévisée de Mame. A cette occasion, Jerry pourrait lui écrire quelques nouvelles chansons comme il l’avait fait à l’époque pour la version cinéma de Hello, Dolly ! dont elle fut l’héroïne.
Viva Las Vegas !
Mais surtout, il travaille à une nouvelle grande comédie musicale qui sera créée en l’an 2000 à Las Vegas ! Miss Spectacular est l’histoire d’une jeune femme rêveuse qui vit sa vie par procuration. Ses rêves prennent vie sous nos yeux et sont prétexte à des numéros plus spectaculaires les uns que les autres, comme au temps des Ziegfeld Follies. Même si Jerry s’est entouré de collaborateurs habitués aux superproductions, comme Frank Galati (Ragtime) pour la mise en scène ou John Napier (Sunset Boulevard) pour les décors, il y aura aussi de nombreuses scènes intimistes. Il est vrai qu’à côté de ces numéros à grand spectacle qui sont sa marque de fabrique, il sait aussi écrire de superbes chansons profondes et élégiaques. Sa « Miss Spectacular » tombera donc amoureuse d’un comptable très pragmatique qui ne comprend pas son besoin d’évasion par le rêve… « Vous vous rendez compte, s’enthousiasme Jerry, on m’a demandé d’écrire une ‘comédie musicale traditionnelle à la Jerry Herman’ et c’est exactement ce que je vais leur donner. De plus, je vais créer ce spectacle dans un théâtre construit spécialement pour moi »!
En attendant, il compte bien faire un petit détour par Paris à la rentrée pour la première de La cage aux folles dirigée par Alain Marcel. « Je ne manquerai ça pour rien au monde ! La cage revient dans le pays qui l’a vu naître. Je ne parle pas français mais je fais confiance à Alain pour l’adaptation. Si les gens rient ou applaudissent aux mêmes endroits que dans la partition originale, je saurai que ç’est réussi » ! Jerry Herman sait jouir du temps présent. Dans La cage aux folles, on chante que « The Best Of Times Is Now ». Comme lui, il n’est pas nécessaire de parler des langues étrangères pour applaudir à cette maxime !
Les comédies musicales de Jerry Herman
1961 — Milk And Honey
1964 — Hello, Dolly ! avec Carol Channing (version française en 1972 à Mogador avec Annie Cordy)
1966 — Mame avec Angela Lansbury
1969 — Dear World avec Angela Lansbury
1974 — Mack And Mabel avec Robert Preston et Bernadette Peters
1979 — The Grand Tour avec Joel Grey
1981 — A Day In Hollywood — A Night In The Ukraine (chansons additionnelles)
1983 — La Cage aux folles
1996 — Mrs. Santa Claus avec Angela Lansbury (comédie musicale pour la télévision)
2000 — Miss Spectacular (création mondiale à Las Vegas)
2000 — Mame (produit par Barbra Streisand pour la télévision)
Où trouver les comédies musicales de Jerry Herman ?
Il est relativement aisé de trouver Hello, Dolly ! dans les bacs des disquaires soit au rayon imports/comédies musicales (versions Carol Channing, Pearl Bailey etc.), soit au rayon musiques de films (version Barbra Streisand). La version française avec Annie Cordy a été réeditée récemment.
Il est possible de trouver Mame et La cage aux folles si votre disquaire est bien approvisionné… encore qu’on nous ait signalé qu’en prévision du spectacle à Mogador, les disquaires parisiens avaient été « dévalisés » pour ce qui est du dernier titre. Mais qu’attendent-ils pour se réapprovisionner ?
Pour les autres titres, insistez auprès de votre disquaire pour qu’il effectue la commande !