Jérôme Savary — Entre Chaillot et Opéra-Comique

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Jérôme Savary ©DR
Jérôme Savary ©DR
Votre amour pour le théâtre musi­cal est communicatif… 
Je le tiens en par­tie de mes par­ents. Ma mère, améri­caine, écoutait beau­coup de jazz. King Oliv­er, Amstrong, Duke Elling­ton ont bercé mon enfance : j’ai tou­jours été accom­pa­g­né par le swing. Mes par­ents ne sont absol­u­ment pas saltim­ban­ques puisque ma mère était ren­tière et mon père a essayé toute sa vie d’être écrivain, il n’a jamais réus­si à pub­li­er son pre­mier roman, il est mort assez jeune. Très vite j’ai voulu être artiste, j’ai fait les Arts déco, j’ai com­mencé à jouer de la trompette, fait de la BD et finale­ment choisi le théâtre. La musique m’a tou­jours accom­pa­g­né, elle a du coup tou­jours été par­tie inté­grante de mes spec­ta­cles. La musique non enreg­istrée, tou­jours en direct. J’ai vu West Side Sto­ry à l’Al­ham­bra dans les années 60, présen­té en anglais. Jérôme Rob­bins était présent… A 14 ans, j’al­lais dans les boîtes de jazz avec mon père, écouter Syd­ney Bechet et tous les grands musi­ciens de St Ger­main. Une boîte de jazz, c’est comme une comédie musi­cale en soi !

Quand vous affec­tion­nez un ouvrage, vous ne vous gênez pas pour le mon­ter à plusieurs repris­es… C’est un bon moyen de le redé­cou­vrir et de l’ex­plor­er en permanence ?
J’au­rai envie de mon­ter cer­taines oeu­vres toute ma vie : Don Gio­van­ni, Le bour­geois gen­til­homme - j’adore cette comédie-bal­let qui est un ancêtre de la comédie musi­cale. La Péri­c­hole est pour moi la meilleure opérette d’Of­fen­bach, je ne me lasserai jamais de la met­tre en scène, à con­di­tion d’avoir les moyens. C’est une opérette assez lourde et ma vision de l’oeu­vre néces­site des décors impor­tants… La pre­mière fois que j’ai mon­té cet ouvrage, c’é­tait avec 15 musi­ciens et des comé­di­ens (ils n’é­taient pas chanteurs), c’é­tait donc une ver­sion revis­itée… Par la suite je l’ai mon­té avec des chanteurs d’opéra, c’é­tait très bien aus­si. J’ai eu envie de revenir aux sources, à l’e­sprit d’Of­fen­bach. A sa créa­tion, 12 à 20 de musi­ciens étaient dans la fos­se, pas plus. La ver­sion 45 musi­ciens et 60 cho­ristes ne cor­re­spond pas à ce que le musi­cien a écrit. Cette nou­velle ver­sion est tout à fait nova­trice — l’in­trigue se déroule dans les années 50, les rythmes sont lati­nos — et retrou­ve l’e­sprit de l’au­teur. Je pense que si Offen­bach vivait aujour­d’hui, il préfér­erait ma ver­sion à cer­taines mon­tées dans les grands opéras !

Pourquoi avoir choisi de clô­tur­er votre dernière sai­son à Chail­lot avec Irma la douce ?
Le livret est absol­u­ment fan­tas­tique. J’adore Mar­guerite Mon­not, je suis un fan d’Edith Piaf pour qui elle a sou­vent écrit et que j’ai eu la chance de con­naître dans ma jeunesse. Mon axe c’est de faire une Irma la douce française et non pas améri­caine. J’aime beau­coup le film, la ver­sion de Broad­way de Peter Brook mais je vais mon­ter cette oeu­vre ‘à la parisi­enne’ : on va pren­dre un super accordéon­iste. De cette façon je suis per­suadé que l’on fera le tour du monde !

Qu’allez-vous faire après Chail­lot ? J’ai du mal à vous imag­in­er inactif… 
Je quitte Chail­lot à ma demande, je suis can­di­dat à la direc­tion de l’Opéra-Comique. Mon pro­jet et d’en faire un grand théâtre musi­cal pop­u­laire con­sacré à l’opérette, à la comédie musi­cale, à la revue. En un mot, explor­er tout un pat­ri­moine qui est le nôtre. Offen­bach, Rossi­ni (ces étrangers qui sont devenus Parisiens, qui ont écrit en français), Mist­inguett, Mau­rice Cheva­lier, revis­iter la Revue nègre, Joséphine Bak­er, le French can­can : tout cela est au pro­gramme ! Paris a besoin d’un théâtre d’é­tat con­sacré aux oeu­vres musi­cales. Nous sommes la seule cap­i­tale au monde qui n’a pas de théâtre sub­ven­tion­né — donc où les places ne sont pas chères — pour ce réper­toire extra­or­di­naire et pas du tout aus­si ringard qu’on le pense com­muné­ment. Offen­bach pour­rait don­ner des leçons à tous les com­pos­i­teurs et libret­tistes de comédie musi­cale qui tri­om­phent aujourd’hui…

Quels sont vos pro­jets de mise en scène ? Allez-vous con­tin­uer à revis­iter le réper­toire et n’avez-vous pas envie aus­si de faire plus de créations ?
Je reste un fou de jazz, j’ai un pro­jet sur les chan­sons d’Az­navour, un autre sur les par­al­lèles entre le jazz et la musique con­tem­po­raine. Stravin­sky se fai­sait envoy­er en cachette les par­ti­tions de Duke Elling­ton. J’ai envie d’un spec­ta­cle qui met en par­al­lèle L’his­toire du sol­dat de Stravin­sky et une suite sym­phonique qui s’ap­pelle Black, Brown and Beige d’Elling­ton.
A l’Opéra de Turin, je vais créer Car­men 2, le retour que j’ai écrit. Car­men ressus­cite car on lui greffe le coeur de Don José et devient chanteuse de cabaret ! Je reprends la musique de Bizet, adap­tée par mon com­plice musi­cal Gérard Daguerre. Des pas­sages jazzy côtoient des pas­sages espag­nols ou de musique pop­u­laire. On con­serve les airs, on change les paroles. L’opéra- bouffe ne fait pas unique­ment par­tie du passé, il faut aller vers l’avenir.

Qu’est-ce qui vous décide à mon­ter une comédie musicale ? 
J’aime les oeu­vres qui racon­tent des vraies his­toires et si pos­si­ble qui se situent dans l’His­toire, c’est pour cela que j’ai mon­té Cabaret. Une oeu­vre doit par­ler au pub­lic d’au­jour­d’hui. C’est pourquoi je préfère La Péri­c­hole à La grande-duchesse de Gerol­stein, mal­gré ses airs mag­nifiques. Par dessus tout, j’aime les comédies musi­cales qui swinguent.

Quelle analyse portez-vous sur l’évo­lu­tion de la comédie musi­cale en France ? 
On ne trou­ve per­son­ne pour la chanter et la danser, con­traire­ment en Angleterre où les gens sont poly­va­lents. Pour La Péri­c­hole, j’ai fait une sélec­tion très rigoureuse de vingt jeunes que j’ai fait tra­vailler depuis le mois de mai. Ils avaient déjà une for­ma­tion de comé­di­ens mais j’ai tout repris à la base. Je leur ai don­né un maître de chant qui vient de Bayreuth, une choré­graphe alle­mande à la poigne de fer et je les ai mal­traités jusqu’au point où ils arrivent à danser le French can­can et à chanter en même temps, ce qui est un exer­ci­ce très dif­fi­cile. Si je vais à l’Opéra-Comique — ou ailleurs! -, je con­tin­uerai à for­mer de jeunes tal­ents. On dis­ait du prési­dent améri­cain Gérald Ford, qu’il n’ar­rivait pas à marcher et à mâch­er son chew­ing-gum simul­tané­ment parce que c’é­tait trop com­pliqué, la syn­chro­ni­sa­tion des deux mou­ve­ments lui était impos­si­ble. La comédie musi­cale, c’est ça, il faut savoir chanter et danser en même temps. Par­fois les pas ne cor­re­spon­dent pas à la cadence de la chan­son, surtout chez Offen­bach où les change­ments de rythme sont nombreux.

En tant que spec­ta­teur, quels sont les spec­ta­cles qui vous attirent ? 
Je vois surtout les pièces à l’é­tranger. Je ne vais pas sou­vent voir les spec­ta­cles à Paris. D’une part, par manque de temps et d’autre part parce que je n’aime pas dire du mal de mes col­lègues… Je suis très copain avec Pla­m­on­don mais je n’ai pas vu Notre Dame de Paris. Je suis très heureux de voir qu’un spec­ta­cle marche c’est quelque chose de tout à fait posi­tif pour la comédie musi­cale en général. La comédie musi­cale est un art ter­ri­ble. Pour que le pub­lic vienne, il faut par­venir à l’e­upho­ris­er et pour cela, il faut avoir les moyens.