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Jérôme Pradon — Sarah, c’est moi

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Jérôme Pradon ©DR
Jérôme Pradon ©DR

Par­lez-nous de la génèse de L’Opéra de Sarah. Com­ment êtes-vous arrivé sur ce projet ?
Alain Mar­cel pen­sait à moi pour un rôle dans Le Paris d’Az­iz et Mamadou, qu’il a mis en scène à l’Opéra Bastille, mais à l’époque, j’é­tais sur Et si on chan­tait. J’aimais bien Alain et ses mis­es en scène mais quand je suis allé voir ce spec­ta­cle, ça a été un choc absolu. Je suis tombé lit­térale­ment par terre. J’ai rarement vu quelqu’un avec une écri­t­ure aus­si géniale, tant dans le texte que dans la musique. Ca m’a coupé le souf­fle. Je suis allé le voir et j’ai été très clair, je lui ai dit : « Si tu veux m’écrire un spec­ta­cle, c’est où tu veux, quand tu veux ! ». Il était estom­aqué. J’ai été le seul à lui avoir dit ça après Aziz et Mamadou.
Il m’a rap­pelé durant l’été 2004 en me dis­ant : « J’ai l’idée ». Je suis allé le voir dans sa cam­pagne. On a par­lé longue­ment. Il m’a dit qu’il voulait faire un spec­ta­cle sur Sarah Bern­hard. Puis, on en est resté là, on n’en a plus par­lé pen­dant un an. Moi, pen­dant ce temps-là, j’ai com­mencé à lire des biogra­phies. C’é­tait une femme fasci­nante, un mon­stre absolu, avec une vie hallucinante.
En 2005, Alain a com­mencé à tra­vailler sur le spec­ta­cle avec le pro­jet de le présen­ter au fes­ti­val de Jean-Marie Bes­set, près de Limoux. Il m’a don­né le texte… la veille de la lec­ture. Alain tra­vaille dans l’ur­gence, la frénésie. C’est un peu dif­fi­cile pour un acteur, mais au moins, ce me met sur les char­bons ardents. Le trac est tel… qu’il n’y en a plus ! On fonce, on ne se pose plus de ques­tions, ce qui est peut-être une bonne chose pour moi !
Ensuite, il y a eu un nou­veau stade de mat­u­ra­tion d’un an et demi suivi de lec­tures au Théâtre des Math­urins en novem­bre et décem­bre 2006. Les réac­tions des pro­fes­sion­nels ont été très pos­i­tives, mais entre temps, j’avais été pris sur Le Cabaret des hommes per­dus et Lord of The Rings à Lon­dres où j’avais un con­trat de seize mois. C’est seule­ment après mon retour qu’on a fait une nou­velle présen­ta­tion à Limoux, en août 2008. C’est là que Gérard Maro, directeur du Théâtre de l’Oeu­vre, qui était déjà intéressé, a été défini­tive­ment convaincu.

Com­ment définiriez-vous ce spectacle ?
Le principe de base est qu’un nar­ra­teur racon­te l’his­toire et que tout prend corps à tra­vers lui. C’est une pièce sur le proces­sus créatif d’un auteur com­pos­i­teur qui veut écrire un opéra sur Sarah. Et on décou­vri­ra le véri­ta­ble sens de ce con­cept dans la sec­onde par­tie, avec des petites sur­pris­es qui fer­ont com­pren­dre au pub­lic le pourquoi du titre. Il ne s’ag­it donc pas d’un opéra mais d’un spec­ta­cle musi­cal dans lequel s’en­tremê­lent le jeu d’ac­teur et le chant dans un principe de narration.

Vous avez déjà inter­prété plusieurs spec­ta­cles seul en scène : Road Movie, Crime pas­sion­nel… Qu’est-ce qui vous plaît dans cet exercice ?
Pour un acteur, c’est jouis­sif. Beau­coup rêvent d’avoir ce genre de matériel et d’avoir la chance de pou­voir inter­préter au sein du même spec­ta­cle autant de per­son­nages dif­férents. Mon pre­mier one-man-show, c’é­tait Road Movie, qui n’é­tait pas chan­té. J’é­tais attiré par cette forme, peut-être parce que c’é­tait celle qui me fai­sait le plus peur et que c’é­tait comme un défi que je m’é­tais don­né. Mais je ne me suis pas dit : « Je veux faire du seul en scène ». C’est d’abord venu par la pièce que j’ai adorée.

Qu’est-ce qui est le plus dif­fi­cile dans cette forme ?
Il n’y a pas de garde-fou. Quand on est seul en scène, on ne peut se repos­er sur per­son­ne d’autre. Il y a une pres­sion énorme qui n’est que sur toi.
Quand on est seul, il faut arriv­er à gér­er son énergie pen­dant deux heures, c’est un exer­ci­ce total : il faut gér­er son état du jour, impro­vis­er, rec­oller les morceaux si on se plante. Tous les écueils sont là, mais c’est pas­sion­nant… et épuisant.
Quand j’ai fait Road Movie, j’avais vrai­ment l’im­pres­sion de me dénud­er émo­tion­nelle­ment. Avec Sarah, c’est dif­férent, à cause, ou grâce au proces­sus d’écri­t­ure d’Alain Mar­cel qui me donne les textes au dernier moment ! (rires)… Je n’ai jamais le temps de penser au trac, je suis totale­ment focal­isé sur l’ex­er­ci­ce et sur le matériel qu’il me donne.

Etiez-vous fam­i­li­er avec la vie de Sarah Bern­hard auparavant ?
Pas spé­ciale­ment, mais je con­nais­sais son nom, évidem­ment. Je savais que c’é­tait une diva extrav­a­gante du début du siè­cle dernier qui avait la répu­ta­tion d’avoir un jeu suran­né, empha­tique. J’ai com­mencé à lire ses mémoires, mais bien sûr, elle n’a sélec­tion­né que ce qu’elle voulait qu’on reti­enne d’elle. Elle s’est bien gardée d’écrire le moins beau, le moins glam­our. Il faut lire les autres biogra­phies pour ça, et il y a pléthore.

On voit le moins glam­our dans L’Opéra de Sarah ?
Ah oui ! Alain ne veut pas faire une hagiogra­phie, mais il veut la mon­tr­er telle qu’elle a existé : un per­son­nage humain, avec ses qual­ités et ses défauts. Elle est fasci­nante et attachante, juste­ment à cause de ses défauts. Alors, on peut se moquer de son jeu d’après les quelques enreg­istrements qu’on a d’elle, mais c’est un pâle reflet de ce qu’elle devait être. Si elle a fasciné à ce point, c’est qu’elle avait un vrai mag­nétisme, un charisme, quelque chose de l’or­dre de l’indi­ci­ble qui sub­mergeait les gens. Elle a été la pre­mière star, la pre­mière femme à être con­nue dans le monde entier à une époque où il n’y a avait pas les médias qu’il y a aujourd’hui.
Elle a passé sa vie à faire des tournées dans le monde à une époque où il n’y avait pas d’avion. Elle a gag­né des mil­lions qu’elle a immé­di­ate­ment dépen­sés. Elle avait un train de vie fou et ruineux. Elle vivait comme une impéra­trice, c’é­tait totale­ment disproportionné.

Com­ment se passe le tra­vail avec Alain Marcel ?
C’est un excel­lent directeur d’ac­teurs. Il est très pré­cis et encore plus avec cette forme-là puisqu’on doit tra­vailler la pré­ci­sion avec la musique. Et puis, avec Alain, on finit par très bien se con­naître, il y a une sym­biose qui s’est instal­lée. Le grand plus avec ce spec­ta­cle, c’est qu’il écrit pour moi, c’est du sur mesure.

Com­ment définiriez-vous la musique d’Alain ?
Je ne peux pas la définir. Elle s’in­spire de plein de choses mais il a une veine mélodique indé­ni­able, et c’est ça qui m’a plu de prime abord.

Quels sont les autres défis que vous avez envie de relever ?
Faire plus de ciné­ma et jouer à Broad­way dans les années qui viennent !