
Des goûts et des couleurs…
De ses amours de jeunesse, il lui reste une passion, celle de faire travailler ensemble des personnalités très différentes. « Si John Eliot Gardiner et Bob Wilson ou Luciano Berio et Yannis Kokkos ont envie de retravailler ensemble à l’avenir, pour moi, ce sera un succès aussi important que la note que me décerneront la presse ou le public ». Il voit cette ère qui commence comme « la synthèse des deux directions qui m’ont précédé, Jean-Albert Cartier et Stéphane Lissner, et de mes années à Strasbourg et à Lyon. Je vise une plus grande ouverture du répertoire pour aller vers des publics différents ».
Cet éclectisme qu’affiche la programmation Brossmann se retrouve bien évidemment dans ses goûts personnels. Cet été il est parti en vacances avec des CDs de Mozart (« ses concertos pour piano : j’y reviens toujours ! »), de Haendel (« il y a chez lui une économie de moyens que j’aime beaucoup ») et de… Johnny Halliday ! Encore que, dans ce dernier cas, il concède que c’est plus le Johnny chanteur de ballades qui l’intéresse que le rocker !
Il a toujours cherché à toucher le public partout où il se trouve. Hier, il était conseiller artistique pour la réalisations de films d’opéras : « C’est inimaginable le bien que ça fait au lyrique ! Même si c’est un public faible par rapport à celui du cinéma [non chanté], c’est un public énorme par rapport à celui qui vient dans nos salles ».
Aujourd’hui, il n’entend pas manquer le virage des nouvelles technologies : « le câble, le pay-per-view, Internet : il faut être présent dans tous les catalogues ». Et il se réjouit du succès du site web du Châtelet : « L’autre jour, un internaute est resté connecté trois quarts d’heure pour réserver ses places pour l’ensemble des spectacles de la saison ! Je suis sidéré de voir à quel point ce système facilite la communication entre les spectateurs et nous ».
Une programmation déjà établie jusqu’en 2003
Néanmoins, le public du Châtelet reste difficile à bien cerner. Ne disposant ni d’orchestre, ni de choeur, ni de ballet en résidence, le théâtre doit constamment inviter différentes compagnies extérieures, ce qui n’aide pas forcément à fidéliser les spectateurs. Mais cette contrainte ne présente pas que des inconvénients : « Certains chefs n’auraient jamais accepté de venir diriger un orchestre permanent. Et du coup, le personnel qui travaille ici — je pense en particulier aux techniciens — prend une place qu’il a rarement ailleurs. Ces gens s’approprient ce théâtre, c’est leur chose, ils sont la maison ».
La disponibilité des compagnies invitées se décide couramment trois ou quatre ans à l’avance ce qui oblige Jean-Pierre Brossmann à planifier sa programmation très en amont. Il a donc déjà une idée très précise des saisons à venir : « L’année prochaine, nous ouvrirons avec La belle Hélène dans une nouvelle production montée par Laurent Pelly pour la mise en scène et Marc Minkowski à la direction musicale autour de Felicity Lott et Michel Sénéchal. Et nous aurons aussi une création mondiale en décembre de John Adams, une nouvelle Nativité ». Parmi les temps forts à venir, beaucoup d’opéras qui seront créés au Châtelet, des oeuvres de Richard Strauss et une saison russe en 2002–2003 avec la reprise du Coq d’or et d’autres productions montées sous Cartier et Lissner. « Je ne fais pas table rase du passé mais j’élargirai beaucoup la palette des invitations et des représentations », confirme-t-il.
Et quid des opérettes ? Ce théâtre leur doit pourtant en grande partie sa gloire… « On en reverra quand on pourra les monter avec les moyens de l’opéra et avec des chanteurs qui peuvent les défendre… ». En attendant, il rêve d’amener sur la scène du Châtelet deux comédies musicales qui triomphent actuellement à Broadway : Le roi lion de Disney (« absolument fantastique ») et Fosse, une revue inspirée par les chorégraphies du grand Bob Fosse (« époustouflant »). Mais rien n’est encore fait de ce côté-là…
Pour le moment, toute son énergie est concentrée sur la réouverture du théâtre début octobre. C’est un moment qu’il a attendu longtemps, plus que de raison, mais il fallait bien rénover la cage de scène ! A quelques semaines de l’événement, alors que les répétitions pour le dyptique de Gluck ont commencé, on sent poindre l’impatience. « Il y a trois ans que j’ai été nommé et maintenant, le moment arrive… ». Il fait une petite pause et lance un gourmand : « … enfin ! ».