Pourquoi avez-vous choisi de mettre en scène Lady in the Dark ?
Après Signé Vénus, j’avais très envie de retravailler avec la même troupe. Il est souvent convenu de dire cela mais, dans le cas présent, il existe une véritable entente entre tous les participants, ce qui conduit à un esprit de troupe comme on en rencontre rarement. Cela se traduit par un vrai plaisir de jeu lié aux compétences différentes de toutes ces personnes. Certaines seront plus à l’aise dans la comédie, d’autres dans le chant : ce mélange provoque une alchimie qui m’inspire.
Quant au répertoire de Kurt Weill, je l’avais déjà exploité dans les mises en scène de Mahagonny et Happy end. Son univers, depuis quelques années, m’est familier. En tout cas celui de ses œuvres allemandes. En revanche, la partie américaine de son travail, bien moins connue, est un terreau riche en découvertes. Lady in the Dark, œuvre de 1941, a connu un grand succès lors de sa création et n’a jamais été véritablement repris ensuite. Pour ce qui est de la France, c’est même une création. La partition est géniale, le livret, que l’on doit à Moss Hart (scénariste de A Star Is Born, N.D.L.R.), épatante. Quand on sait que, en plus, Ira Gerswhin a signé les paroles des chansons, on ne peut qu’être séduit ! Et la combinaison de ces trois talents fonctionne à plein, cette œuvre me ravit. De plus, si on envisage le théâtre américain, Lady in the Dark est un ovni : la construction en est tout à fait bizarre, rien à voir avec une comédie musicale traditionnelle. En effet, ici, deux entités sont clairement distinctes : l’une concerne la vie de tous les jours, partie entièrement parlée ; et l’autre se concentre sur les rêves, celle-là étant intégralement chantée.
Quel est le sujet ?
Toute l’œuvre se concentre sur une femme de pouvoir qui dirige un grand magazine de mode, en prise avec des problèmes inhérents à sa fonction, doublés d’une perte de repères personnels. Elle est dans une déprime totale et se décide donc à consulter un psy et lui expose ses rêves. La tentation de cataloguer cette œuvre comme entièrement axée sur la psychanalyse est grande. Ce serait réducteur à mes yeux. Ce qui m’intéresse beaucoup, c’est la manière dont est abordé le pouvoir. Comment cette femme va prendre, ou pas, les habits masculins pour exercer son métier. Vous noterez que le sujet est on ne peut plus actuel : il suffit de voir comment les femmes de tête ont du mal à créer une relation de pouvoir féminine, sans pour autant utiliser des artifices masculins.
Quelles sont les différences majeures avec Signé Vénus ?
Les enjeux sont très différents, même si nous avons affaire à chaque fois à de grandes œuvres théâtrales. Je dirais que la dramaturgie de Vénus est beaucoup plus légère que celle de Lady in the Dark, elle sert davantage de prétexte et, en ce sens, se rapproche davantage de la comédie musicale classique en utilisant la plupart de ses ressorts. Dans le cas présent, l’opposition entre les parties chantée et parlée, loin de l’enchaînement chanson/texte, provoque forcément une autre sensation pour le spectateur. En fait, j’ai plus travaillé ma mise en scène comme si je montais un opéra.
Dans votre mise en scène, avez-vous adopté un parti pris radical ?
Oui : celui de faire interpréter le personnage de Liza par deux comédiennes. Cécile Camp incarne la journaliste de mode déprimée, en résistance permanente aux attaques qu’elle ne manque pas de subir. Tina May, une grande chanteuse de jazz, représente son double rêvé, qui ne s’exprime que par le chant. Il n’est jamais indiqué dans l’œuvre originale que ce personnage doit être joué par deux comédiennes, rien ne l’interdit non plus, et il m’a semblé judicieux, au vu des enjeux de cette œuvre, de le distribuer ainsi. Le jeu de miroir n’en est que plus étrange. Par ailleurs, les deux comédiennes sont excellentes et jouent sur des registres différents, ce qui enrichit totalement la pièce.
Deux mondes différents cohabitent, il est vrai que certains comédiens ne sont que dans l’un des deux… Toutefois, Liza rêve de personnes qu’elle côtoie dans la vie, ce qui justifie leur présence dans la partie chantée. Il était donc amusant pour certains comédiens d’appréhender ces deux aspects de l’œuvre. Je n’ai pas souhaité traiter le temps intermédiaire, en l’occurrence les séances d’analyse chez le docteur Brooks, avec les clichés d’usage. Jamais Liza n’est étendue sur un canapé tandis que son psy prend des notes ou pense à autre chose. Ces séquences possèdent une valeur particulière qui me passionne. Et il faut que vous veniez voir la pièce pour découvrir comment je m’en suis sorti !
Qu’est-ce qui vous a donné le plus de fil à retordre ?
Faire confiance à la pièce ! L’œuvre comporte en fait trois parties chantées d’une vingtaine de minutes chacune, Kurt Weill souhaitait d’ailleurs en faire de petits opéras. La quatrième est très courte et synthétise ce qui a précédé : c’est la résolution de l’intrigue qui, d’un point de vue dramaturgique, est assez simple avec un happy end qui semble, à la lecture, presque forcé. Il me fallait donc bien réfléchir pour faire ressortir la force intrinsèque de l’œuvre, fruit d’une progression intéressante. Une sorte de point d’orgue durant lequel on entend dans son intégralité cette superbe chanson, « My Ship », devenue depuis un standard de jazz.
Ce spectacle nécessite-t-il un grand apport financier ?
Il est clair que c’est grâce au théâtre public et à ses subventions que l’on peut s’attaquer à ce genre d’œuvre. L’orchestre est composé de vingt musiciens, la direction musicale étant assurée, comme sur Signé Vénus, par Scott Stroman. Par ailleurs, le plateau est lui aussi assez imposant. Je souligne également l’importance du réseau Arcadi, qui nous permet de présenter Lady in the Dark en tournée. L’orchestre s’est également investi, et pas uniquement d’un point de vue artistique, pour mener à bien cette aventure. La partition de Kurt Weill, qui mêle musique savante et populaire, les a séduits. Le travail orchestral, magnifique chez ce compositeur, se déploie totalement avec le travail de cet orchestre. Que musique et théâtre soient à égalité m’enchante.
Quels sont les compositeurs qui vous intéressent ?
Je ne suis intéressé que par les grandes personnalités, les compositeurs dont le travail fait évoluer le discours musical. Bernstein, dont j’ai mis en scène Trouble in Tahiti, en fait partie. Tout comme Gershwin et Cole Porter. Ces deux artistes ont signé une quantité d’œuvres méconnues, voire inconnues, leur répertoire est une grande source d’inspiration.
En tant que spectateur, qu’attendez-vous d’une comédie musicale ?
De par mon métier, il m’est quasiment impossible d’assister à un spectacle sans que mon œil de metteur en scène ne prenne le dessus ! À y bien réfléchir, j’aime surtout les interprètes plus que les rôles dans le théâtre musical. Ainsi des œuvres un peu simples comme The Rocky Horror Show ou encore Hairspray parviennent sans problème à me captiver si la distribution est bien choisie.
Tournée :
— 7 janvier à 21h Théâtre de Sartrouville centre dramatique (78)
— 16 janvier à 20h30 Théâtre Romain-Rolland Villejuif (94)
— 22 janvier à 19h30 Théâtre de Privas (07) — 27 janvier à 20h30 La Piscine Chatenay-Malabry (92)
— 31 janvier à 20h30 Maison des arts D’Enghien (95)
— 3 février à 20h30 Bonlieu Scène nationale Annecy (74)
— 7 février à 21 h Théâtre de Suresnes Jean-Vilar (92)
— 8 février à 17 h Théâtre de Suresnes Jean-Vilar (92)
— 13 février à 20h Opéra de Dijon (21)
— 14 février à 20h Opéra de Dijon (21)
— 15 février à 15h Opéra de Dijon (21)
— 3 mars à 20h La Rampe Échirolle (38)
— 10 mars à 20h30 Maison des arts Thonon (74)