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Jean Lacornerie – Dans la veine de Weill…

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Jean Lacornerie © Ariane Mestre

Pourquoi avez-vous choisi de met­tre en scène Lady in the Dark ?
Après Signé Vénus, j’avais très envie de retra­vailler avec la même troupe. Il est sou­vent con­venu de dire cela mais, dans le cas présent, il existe une véri­ta­ble entente entre tous les par­tic­i­pants, ce qui con­duit à un esprit de troupe comme on en ren­con­tre rarement. Cela se traduit par un vrai plaisir de jeu lié aux com­pé­tences dif­férentes de toutes ces per­son­nes. Cer­taines seront plus à l’aise dans la comédie, d’autres dans le chant : ce mélange provoque une alchimie qui m’inspire.

Quant au réper­toire de Kurt Weill, je l’avais déjà exploité dans les mis­es en scène de Mahagonny et Hap­py end. Son univers, depuis quelques années, m’est fam­i­li­er. En tout cas celui de ses œuvres alle­man­des. En revanche, la par­tie améri­caine de son tra­vail, bien moins con­nue, est un ter­reau riche en décou­vertes. Lady in the Dark, œuvre de 1941, a con­nu un grand suc­cès lors de sa créa­tion et n’a jamais été véri­ta­ble­ment repris ensuite. Pour ce qui est de la France, c’est même une créa­tion. La par­ti­tion est géniale, le livret, que l’on doit à Moss Hart (scé­nar­iste de A Star Is Born, N.D.L.R.), épatante. Quand on sait que, en plus, Ira Ger­swhin a signé les paroles des chan­sons, on ne peut qu’être séduit ! Et la com­bi­nai­son de ces trois tal­ents fonc­tionne à plein, cette œuvre me rav­it. De plus, si on envis­age le théâtre améri­cain, Lady in the Dark est un ovni : la con­struc­tion en est tout à fait bizarre, rien à voir avec une comédie musi­cale tra­di­tion­nelle. En effet, ici, deux entités sont claire­ment dis­tinctes : l’une con­cerne la vie de tous les jours, par­tie entière­ment par­lée ; et l’autre se con­cen­tre sur les rêves, celle-là étant inté­grale­ment chantée.

Quel est le sujet ?
Toute l’œu­vre se con­cen­tre sur une femme de pou­voir qui dirige un grand mag­a­zine de mode, en prise avec des prob­lèmes inhérents à sa fonc­tion, dou­blés d’une perte de repères per­son­nels. Elle est dans une déprime totale et se décide donc à con­sul­ter un psy et lui expose ses rêves. La ten­ta­tion de cat­a­loguer cette œuvre comme entière­ment axée sur la psy­ch­analyse est grande. Ce serait réduc­teur à mes yeux. Ce qui m’in­téresse beau­coup, c’est la manière dont est abor­dé le pou­voir. Com­ment cette femme va pren­dre, ou pas, les habits mas­culins pour exercer son méti­er. Vous noterez que le sujet est on ne peut plus actuel : il suf­fit de voir com­ment les femmes de tête ont du mal à créer une rela­tion de pou­voir fémi­nine, sans pour autant utilis­er des arti­fices masculins.

Quelles sont les dif­férences majeures avec Signé Vénus ?
Les enjeux sont très dif­férents, même si nous avons affaire à chaque fois à de grandes œuvres théâ­trales. Je dirais que la dra­maturgie de Vénus est beau­coup plus légère que celle de Lady in the Dark, elle sert davan­tage de pré­texte et, en ce sens, se rap­proche davan­tage de la comédie musi­cale clas­sique en util­isant la plu­part de ses ressorts. Dans le cas présent, l’op­po­si­tion entre les par­ties chan­tée et par­lée, loin de l’en­chaîne­ment chanson/texte, provoque for­cé­ment une autre sen­sa­tion pour le spec­ta­teur. En fait, j’ai plus tra­vail­lé ma mise en scène comme si je mon­tais un opéra.

Dans votre mise en scène, avez-vous adop­té un par­ti pris radical ?
Oui : celui de faire inter­préter le per­son­nage de Liza par deux comé­di­ennes. Cécile Camp incar­ne la jour­nal­iste de mode déprimée, en résis­tance per­ma­nente aux attaques qu’elle ne manque pas de subir. Tina May, une grande chanteuse de jazz, représente son dou­ble rêvé, qui ne s’ex­prime que par le chant. Il n’est jamais indiqué dans l’œu­vre orig­i­nale que ce per­son­nage doit être joué par deux comé­di­ennes, rien ne l’in­ter­dit non plus, et il m’a sem­blé judi­cieux, au vu des enjeux de cette œuvre, de le dis­tribuer ain­si. Le jeu de miroir n’en est que plus étrange. Par ailleurs, les deux comé­di­ennes sont excel­lentes et jouent sur des reg­istres dif­férents, ce qui enri­chit totale­ment la pièce.

Deux mon­des dif­férents cohab­itent, il est vrai que cer­tains comé­di­ens ne sont que dans l’un des deux… Toute­fois, Liza rêve de per­son­nes qu’elle côtoie dans la vie, ce qui jus­ti­fie leur présence dans la par­tie chan­tée. Il était donc amu­sant pour cer­tains comé­di­ens d’ap­préhen­der ces deux aspects de l’œu­vre. Je n’ai pas souhaité traiter le temps inter­mé­di­aire, en l’oc­cur­rence les séances d’analyse chez le doc­teur Brooks, avec les clichés d’usage. Jamais Liza n’est éten­due sur un canapé tan­dis que son psy prend des notes ou pense à autre chose. Ces séquences pos­sè­dent une valeur par­ti­c­ulière qui me pas­sionne. Et il faut que vous veniez voir la pièce pour décou­vrir com­ment je m’en suis sorti !

Qu’est-ce qui vous a don­né le plus de fil à retordre ?
Faire con­fi­ance à la pièce ! L’œu­vre com­porte en fait trois par­ties chan­tées d’une ving­taine de min­utes cha­cune, Kurt Weill souhaitait d’ailleurs en faire de petits opéras. La qua­trième est très courte et syn­thé­tise ce qui a précédé : c’est la réso­lu­tion de l’in­trigue qui, d’un point de vue dra­maturgique, est assez sim­ple avec un hap­py end qui sem­ble, à la lec­ture, presque for­cé. Il me fal­lait donc bien réfléchir pour faire ressor­tir la force intrin­sèque de l’œu­vre, fruit d’une pro­gres­sion intéres­sante. Une sorte de point d’orgue durant lequel on entend dans son inté­gral­ité cette superbe chan­son, « My Ship », dev­enue depuis un stan­dard de jazz.

Ce spec­ta­cle néces­site-t-il un grand apport financier ?
Il est clair que c’est grâce au théâtre pub­lic et à ses sub­ven­tions que l’on peut s’at­ta­quer à ce genre d’œu­vre. L’orchestre est com­posé de vingt musi­ciens, la direc­tion musi­cale étant assurée, comme sur Signé Vénus, par Scott Stro­man. Par ailleurs, le plateau est lui aus­si assez imposant. Je souligne égale­ment l’im­por­tance du réseau Arca­di, qui nous per­met de présen­ter Lady in the Dark en tournée. L’orchestre s’est égale­ment investi, et pas unique­ment d’un point de vue artis­tique, pour men­er à bien cette aven­ture. La par­ti­tion de Kurt Weill, qui mêle musique savante et pop­u­laire, les a séduits. Le tra­vail orches­tral, mag­nifique chez ce com­pos­i­teur, se déploie totale­ment avec le tra­vail de cet orchestre. Que musique et théâtre soient à égal­ité m’enchante.

Quels sont les com­pos­i­teurs qui vous intéressent ?
Je ne suis intéressé que par les grandes per­son­nal­ités, les com­pos­i­teurs dont le tra­vail fait évoluer le dis­cours musi­cal. Bern­stein, dont j’ai mis en scène Trou­ble in Tahi­ti, en fait par­tie. Tout comme Gersh­win et Cole Porter. Ces deux artistes ont signé une quan­tité d’œu­vres mécon­nues, voire incon­nues, leur réper­toire est une grande source d’inspiration.

En tant que spec­ta­teur, qu’at­ten­dez-vous d’une comédie musicale ?
De par mon méti­er, il m’est qua­si­ment impos­si­ble d’as­sis­ter à un spec­ta­cle sans que mon œil de met­teur en scène ne prenne le dessus ! À y bien réfléchir, j’aime surtout les inter­prètes plus que les rôles dans le théâtre musi­cal. Ain­si des œuvres un peu sim­ples comme The Rocky Hor­ror Show ou encore Hair­spray parvi­en­nent sans prob­lème à me cap­tiv­er si la dis­tri­b­u­tion est bien choisie.

Tournée :
— 7 jan­vi­er à 21h Théâtre de Sartrou­ville cen­tre dra­ma­tique (78)
— 16 jan­vi­er à 20h30 Théâtre Romain-Rol­land Ville­juif (94)
— 22 jan­vi­er à 19h30 Théâtre de Pri­vas (07) — 27 jan­vi­er à 20h30 La Piscine Chate­nay-Mal­abry (92)
— 31 jan­vi­er à 20h30 Mai­son des arts D’Enghien (95)
— 3 févri­er à 20h30 Bon­lieu Scène nationale Annecy (74)
— 7 févri­er à 21 h Théâtre de Suresnes Jean-Vilar (92)
— 8 févri­er à 17 h Théâtre de Suresnes Jean-Vilar (92)
— 13 févri­er à 20h Opéra de Dijon (21)
— 14 févri­er à 20h Opéra de Dijon (21)
— 15 févri­er à 15h Opéra de Dijon (21)
— 3 mars à 20h La Rampe Échi­rolle (38)
— 10 mars à 20h30 Mai­son des arts Thonon (74)